Alors que Moneo s’apprête à arriver en région parisienne, les commerçants protestent contre ce porte-monnaie électronique trop cher pour eux et très peu utilisé par leurs clients. Lancé en fin 1999, Moneo n’avait fait, jusque-là, que peu de vagues. Alors que l’expérimentation touche à sa fin, les fédérations de commerçants demandent une concertation avec BMS (Billettique-Monétique-Services), société chargée du développement du porte-monnaie électronique Moneo, et leurs banques pour mieux en appréhender les avantages et les inconvénients.“Le porte-monnaie électronique, à raison de 25 à 30 milliards de transactions en liquide par an, intéresse le commerce français pour rationaliser la gestion des espèces, commente Jean-Marc Mosconi, délégué de Mercatel (association regroupant les représentants du commerce français et les industriels de l’informatique, de la monétique et des services). Mais les commerçants ne sont toujours pas convaincus de l’intérêt économique de la démarche. Il y a eu un manque de concertation entre eux et BMS.” Pour le Conseil du commerce de France et la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française, “les coûts globaux pour le commerçant sont tels qu’ils risquent d’aboutir à une hausse des prix répercutée sur les consommateurs. Par ailleurs, le temps d’attente aux caisses sera notablement allongé, et la sécurité générale du système reste à démontrer.”
Moins de 1% des clients payent par Moneo
Boulangère dans le centre de Tours, madame Landry ne voit pas dans Moneo un service très pratique pour ses clients : “Je réalise peu de ventes avec Moneo. Elles sont faibles en juillet et en août. Mais c’est normal, car il y a moins de clients locaux dans la ville. Le reste de l’année n’est pas fulgurant non plus. Avec environ quatre clients payant par Moneo sur les quatre cents qui passent chaque jour la porte de la boutique, cela représente moins de 1 % de mes paiements. Nous comptions sur l’arrivée de l’euro pour qu’ils adoptent le porte-monnaie électronique. Mais ils ne l’ont toujours pas fait. De plus, Moneo entraîne une perte de temps, car son lecteur est un appareil séparé de la caisse. Il faut donc saisir l’opération deux fois. Il occasionne par ailleurs des communications téléphoniques toutes les nuits (télécollecte) et lors de la recharge de la carte du client.” La position est tout autre au magasin Relay de la gare de Quimper, où l’on reconnaît des avantages à ce nouveau mode de paiement : “Il n’y a pas de monnaie à rendre, et donc pas de perte de temps. Et comme nous appartenons à une grande entreprise, les frais bancaires ne concernent pas les boutiques”, affirme l’une des vendeuses. Au-delà des divergences liées à la spécificité des métiers, les premiers griefs des commerçants portent sur les frais supplémentaires occasionnés : commission pour le traitement des flux financiers, installation d’un terminal de paiement adapté, communication téléphonique lors de la télécollecte et du rechargement… Arguments auxquels les banques opposent l’opportunité d’entrer dans le monde du numérique : “Avec Moneo, nous nous adressons à des commerçants habitués aux petits montants, comme les boulangers, les buralistes, les marchands de journaux ou les gestionnaires de caisse rapide dans les supermarchés et les pharmacies, explique Didier Dufresnois, responsable monétique commerçant chez BNP Paribas. Par ce biais, nous permettons à ceux qui ne l’utilisaient pas encore d’accéder au paiement électronique. Le commerçant paie une commission sur chaque transaction. Ce qui peut, certes, constituer un frein à l’usage. Chez BNP Paribas, celle-ci tourne autour de 0,6 %. Le problème est que, dans l’esprit de ces commerçants, le paiement en liquide était gratuit auparavant. Or, ils ne tiennent pas compte du fait que la manipulation d’espèces leur coûte cher en temps et en sécurité.”
Un service qui ne devrait pas incomber au commerçant
Autre facteur de trouble : les commissions varient entre 0,4 et 1 % selon la banque. “Les conditions sont identiques à celles qui s’appliquent aux transactions par carte bancaire classique, mais sans facturation des coûts fixes de traitement. Soit environ 15 cents”, précise Fabrice Constantin, directeur commercial de BMS. Environ la moitié des banques proposent également des forfaits mensuels. Ceux-ci prennent en compte soit le simple traitement des flux financiers, soit ce traitement et la location du matériel. Pour Jean-Marc Mosconi, de Mercatel, “les offres actuelles sont des offres de lancement. Mais il semblerait qu’en régime de croisière la commission s’établisse plutôt à 0,8 ou 0,9 %. Pour les commerçants, c’est trop lourd, car il faut ajouter à cela les frais de télécommunication et d’équipement. Et ce pour des avantages encore peu tangibles. Ce n’est, pour l’instant, qu’un instrument venant se joindre aux autres moyens de paiement, sans faire disparaître les espèces.” Toutefois, les commissions ne sont pas le seul point d’achoppement entre les commerçants et BMS. “Certains contestent également le rechargement express. Ils considèrent que c’est un service bancaire qui ne devrait pas incomber aux commerçants. De plus, cela fait perdre du temps à la caisse et génère des surcoûts téléphoniques”, ajoute Jean-Marc Mosconi. Ce rechargement express en caisse constitue la différence majeure entre Moneo et les autres porte-monnaie électroniques européens. Dès que le solde est inférieur à 10 euros, le client peut recharger jusqu’à 30 euros sur sa carte à partir du terminal du commerçant. En théorie, cette opération devrait s’effectuer trois fois sur quatre de façon locale. Tandis qu’une fois sur quatre, c’est le terminal qui appelle le centre de vérification. Mais, en réalité, “les consommateurs vont également recharger leurs cartes dans les bornes bancaires. En fait, seul un rechargement sur dix appelle le centre”, précise Fabrice Constantin.Une autre spécificité de Moneo énerve les commerçants : si le porte-monnaie est porté sur la carte bancaire du client, celui-ci peut choisir, pour un montant compris entre 10 et 30 euros, d’utiliser soit Moneo soit sa carte bancaire. Or, “les taux de commission changent entre la carte bancaire et le porte-monnaie. Ce qui, en conséquence, modifie les marges bénéficiaires des commerçants. Et c’est un acte de gestion qui leur échappe, ajoute Jean-Marc Mosconi. C’est pourquoi, à leurs yeux, Moneo est un système d’éducation du consommateur cher payé.”Enfin, le dernier frein évoqué est l’évolution technologique du monde de la monétique. Depuis 1999, en effet, ce monde a beaucoup bougé : mise à niveau des terminaux pour passer à l’euro, passage du masque français BO’ au standard international EMV (Europay-Mastercard-Visa), mise en place des spécifications bancaires CB 5.2. “Comment va-t-on à la fois faire passer les anciens terminaux à CB 5.2 et à Moneo sans prendre toute la mémoire disponible ?” s’interroge Jean-Marc Mosconi. Par ailleurs, il existe encore peu de solutions pour intégrer Moneo au système d’encaissement des grandes chaînes de magasins. Ni pour intégrer les terminaux qui lui sont spécialement dédiés dans le système d’information global.Avant sa mise en service le 5 novembre prochain en Ile-de-France, BMS, les banques et les différentes unions devaient encore se rencontrer pour essayer d’aplanir les difficultés que soulève ce porte-monnaie électronique. Une première réunion, prévue le 8 octobre dernier, n’a cependant pas eu lieu…
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