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Le phénomène est aussi vieux que les sociétés de services elles-mêmes

Après deux ans passés en mission chez Amadeus, je suis enfin embauché directement par l’entreprise !” Christian a franchi le pas. Il est maintenant “en fixe”,…

Après deux ans passés en mission chez Amadeus, je suis enfin embauché directement par l’entreprise !” Christian a franchi le pas. Il est maintenant “en fixe”, et s’en réjouit. Comme lui, les ingénieurs des SSII sont de plus en plus nombreux à choisir de poursuivre leur carrière professionnelle dans une entreprise utilisatrice, souvent cliente de leur propre employeur. Le phénomène est aussi vieux que les sociétés de services elles-mêmes. Mais c’est l’ampleur du mouvement qui inquiète ces dernières. Elles se voient ainsi dépossédées de leur bien le plus précieux : les ressources humaines, acquises avec tant de difficulté ces dernières années.

Un rapport de forces en faveur des entreprises

“Avant, les ingénieurs partaient chez des confrères. Aujourd’hui, presque la moitié des démissionnaires des sociétés de services vont chez leurs clients”, déplore Pierre Dellis, délégué général du Syntec Informatique. “Plus précisément les trois quarts” chez Transiciel, “un peu moins de la moitié” chez Unilog, et “la plupart” chez GFI… Si la proportion varie d’une société de services à l’autre, la tendance est unanimement dénoncée. “Plus de la moitié de nos recrutements proviennent des sociétés de services”, confirme en écho Mathias Alonso, en charge du recrutement des informaticiens chez Natexis Banques Populaires.Dans tous les secteurs d’activité, la plupart des entreprises françaises sont entrées dans cette dynamique : les laboratoires Pierre Fabre, Adecco, CIC, Informatique CDC et bien d’autres… “Après la crise du début des années quatre-vingt-dix, l’informatique est devenue stratégique, les budgets ont augmenté et les entreprises recrutent davantage”, explique Mathias Alonso. Alors, pourquoi ne pas accueillir ces consultants ? En mission depuis plusieurs mois ?” voire plusieurs années ?” au sein même de la société, leur adéquation, tant au poste qu’à la culture d’entreprise, n’est plus à prouver.Sans compter que ces ingénieurs confirmés ont naturellement un sens aigu du service, qualité des plus prisées dans les services informatiques. Théoriquement, il est interdit à un client d’embaucher un ingénieur de sociétés de services en mission chez lui (voir “Les clauses contractuelles n’empêchent rien”).Pourtant, Mathias Alonso ne dissimule pas ses recrutements, bien au contraire. “Nous jouons la transparence et la clarté avec nos prestataires.” Chez Amadeus, même son de cloche : “Environ 15 % de nos recrutements proviennent de nos prestataires. Une proportion qui reste tolérable pour nos fournisseurs”, indique le directeur des ressources humaines, Sylvain Wiest. En fait, c’est le compromis qui fait loi. Les grandes entreprises jouent ainsi plus facilement franc jeu. Normal, le rapport de forces est en leur faveur, et les contreparties éventuelles seront plus faciles à négocier. “Les sociétés de services ont d’abord intérêt à préserver de bonnes relations avec le client”, explique Pierre Deschamps, vice-président du Syntec Informatique, en charge des affaires sociales.Pour qu’une société de services accepte de lâcher son consultant, deux types d’arrangements sont négociables. Première solution : l’entreprise dédommage la SSII sous forme d’une indemnité de transfert semblable à celles des footballeurs. Un montant évalué, selon les sources, entre 50 000 et 150 000 francs. Soit, au maximum, un tiers du salaire annuel. “Pour un salaire de 300 000 francs, la prime se situe entre 60 000 et 80 000 francs”, confirme le vice-président de Syntec Informatique.Ou bien, second type d’arrangement : c’est donnant-donnant. “Nous préférons opter pour un compromis. Celui-ci consiste à prolonger la prestation de l’ingénieur avant son embauche effective par le client.” Reste que les entreprises peuvent refuser cette solution du compromis. “Nous n’acceptons aucune contrepartie”, déclare nettement le directeur des ressources humaines d’Amadeus. Question de rapport de forces. Et de déontologie. Toutefois, nombreuses sont les sociétés qui effectuent le tour de passe-passe discrètement… Dans cette partition à trois voix, chacun recherche donc ses intérêts.

Le fixe considéré comme le repos du guerrier

Principal moteur des transferts : les ingénieurs. Indiscutablement, ce sont eux qui mènent aujourd’hui la danse. Le ” passage en fixe ” a toujours été considéré comme le repos du guerrier.Passé la trentaine, après plusieurs années consacrées à acquérir de l’expérience, mais aussi à rebondir d’une mission à l’autre, avec des horaires étendus et des conditions de travail souvent difficiles, les ingénieurs aspirent à une situation plus tranquille.Mais les conditions draconiennes de mise en place des trente-cinq heures dans les sociétés de services ont très nettement accentué le mouvement. A trente-deux ans, Sophie a préféré accepter l’offre de recrutement du client chez qui elle travaillait en régie depuis environ douze mois. “J’avais bien profité des avantages de la société de services. Les conditions de mise en place des trente-cinq heures ont fortement penché dans la balance. J’ai bien plus de temps libre.”Financièrement, les consultants tirent, bien sûr, profit de la pénurie générale ?” en particulier pour certains profils. “Mon salaire a augmenté de 25 %”, raconte Christian. Depuis deux ans environ, les enquêtes successives ont en effet révélé la tendance : les entreprises utilisatrices rémunèrent mieux que les sociétés de services. Pierre Dellis confirme le retard de la plupart des plus grandes SSII en termes de salaires : “Avant, on nous reprochait de payer trop cher nos collaborateurs. Avec la pression sur les marges, les sociétés de services ont bien augmenté la part variable, mais peu le fixe.”

Les SSII ne sont pas les dindons de la farce

Mais alors, les ingénieurs seraient-ils de simples mercenaires en quête de meilleurs salaires ? Ou bien auraient-ils pris un coup de vieux en recherchant des postes plus tranquilles ?Si ces cas de figure existent, les informaticiens de tout poil clament leur désintérêt croissant pour des missions courtes, sans lendemain et menées tambour battant. Le tout au détriment de la qualité. “Lorsque j’étais en société de services, on me demandait d’implanter très rapidement une solution chez les clients, sachant qu’il y aurait des problèmes techniques par la suite. Résultat : je faisais des heures supplémentaires en cachette chez le client pour lui fournir un service de qualité.” Le comble ! Du coup, Conrad Maluenda a été embauché par l’un des clients de sa société de services de l’époque. Il est aujourd’hui directeur général de Mutame Val de France, petite entreprise d’assurance. “Dans une entreprise, les budgets et délais sont plus souples. Car, ce qui importe, c’est la qualité et la concertation avec les utilisateurs finals”, poursuit-il. Mais qu’on ne s’y trompe pas : en réalité, les SSII ne sont pas forcément les dindons de la farce. Car justement, au bout de quelques années, l’ingénieur coûte de plus en plus cher à son employeur alors que sa rentabilité reste relativement stable.Dans certains cas, les SSII ont donc plutôt intérêt à se défaire de ces collaborateurs. Quitte à débaucher à leur tour chez ce même client les ingénieurs plus jeunes à la recherche d’expérience. Un jeu de chaises tournantes, en quelque sorte…

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Corinne Zerbib