Le PC de bureau a-t-il du plomb dans l’aile ? En France, les ventes d’ordinateurs individuels sont poussives : + 0,1 % en volume et + 3,2 % en valeur en 2000, selon IDC France. Et, aux États-Unis, où 52 % des foyers ont au moins un PC, ce n’est guère mieux : + 0,3 % en 2000, toujours selon IDC. Le taux de pénétration n’a guère évolué depuis 1999, constate cet organisme qui surveille chaque mois les ventes de PC. Résultat : le leader mondial Compaq a décidé de supprimer 5 000 emplois pour maintenir ses marges. Depuis le premier trimestre 2001, Apple, Gateway et Hewlett-Packard sont déficitaires. Le désarroi de la profession est tel que certains analystes soutiennent qu’IBM, qui a déjà renoncé l’an dernier à la vente directe d’ordinateurs au grand public, pourrait céder sa filiale PC…Dans le même temps, les ordinateurs portables ont connu en France une croissance de 37 % en 2000. Et le marché des ” smart handheld devices ” (mobiles, consoles de jeux et autres PC de poche aux capacités étendues) explose : les assistants numériques (Palm et Pocket PC) ont par exemple enregistré, au cours du dernier trimestre 2000, un bond de 110 000 unités, rien qu’en France. Nomades, légers, puissants et spécialisés, ces matériels communicants sonnent-ils le glas de l’ordinateur de bureau, trop lourd et trop polyvalent pour les usages de travail et de loisir de demain ?Le micro-ordinateur répond-il encore aux besoins du grand public ? Bruno Lussato, professeur de management et d’organisation au Cnam, coauteur avec François de Closets de L’Imposture informatique (Fayard):
Hélas, non ! C’est le grand paradoxe du PC. Il est incontournable, mais très mal fichu ! Je m’explique. Dans sa configuration actuelle, il est présenté comme une machine universelle, capable de gérer textes, sons, images, liaisons internet, etc. Ce qui en fait une machine compliquée, dont Monsieur Tout-le-monde n’utilise au plus que 10 % des capacités, et qu’il doit renouveler tous les dix-huit mois parce que les logiciels sont périodiquement frappés d’obsolescence !Pourquoi le PC est-il si cher ? Patrice David, directeur produit marketing France d’Apple:
Parce que ses composants le sont ! Aujourd’hui, un ordinateur doit être multimédia : outre l’écran, dont le prix est extrêmement élevé, il est équipé de cartes graphiques, de lecteurs, de logiciels… Tout cela a un coût, qui échappe en grande partie au constructeur dans la mesure où la fabrication des composants est sous-traitée.N’existe-t-il pas sur le marché des outils plus simples et moins coûteux ? Christian Davy, directeur produit marketing France d’Apple:
Pas pour le moment. Un appareil léger proposant une liaison Internet rapide ainsi que des fonctionnalités simplifiées n’existe pas à moins de 5 000 ou 6 000 francs !Pourquoi une machine simple et fonctionnelle n’arrive-t-elle pas à voir le jour ? Les petits assistants électroniques ne peuvent-ils pas faire office de PC ? Christian Davy :
Non. Nous les avons testés. Aucun ne répondait de façon satisfaisante au cahier des charges. Tantôt, c’est leur système d’exploitation qui a des ratés, tantôt, ce sont les logiciels embarqués qui sont insuffisants, tantôt les écrans sont trop petits. Aucun n’offre, à ce jour, une liaison Internet à haut débit. La plupart de ces matériels ont une mémoire vive de 16 Mo, alors que le moindre PC de base tourne à 128 Mo. Ces machines se contentent pour le moment de jouer le rôle de complément de l’ordinateur…Les rois du ” monde PC “, Intel et Microsoft, se lancent sur le marché des baladeurs MP3 ou des consoles de jeux…Olivier Ezratty, directeur du marketing de Microsoft France:
Oui, mais cela n’a rien à voir avec la fin du PC. On assiste effectivement à une explosion des machines numériques intelligentes. La télé interactive, les consoles de jeux, les baladeurs, les téléphones mobiles, les PC de poche ou l’e-book ont besoin pour fonctionner de systèmes d’exploitation comme Windows CE ou Stinger. Il est naturel qu’un éditeur de logiciels comme Microsoft se tourne vers ces marchés émergents…Reste à savoir si ces nouveaux appareils vont détrôner l’ordinateur individuel ou lui donner un nouveau souffle…Olivier Ezratty : Chez Microsoft, nous sommes persuadés que le PC se nourrira de ces matériels communicants. Tous ont besoin d’un outil fédérateur capable de traduire, de fabriquer ou de centraliser les données qu’ils traitent. Or, jusqu’à preuve du contraire, le PC de bureau et, dans une moindre mesure, l’ordinateur portable sont les seuls appareils qui disposent à ce jour des capacités de mémoire, de liaison Internet et de vitesse de processeur leur permettant de gérer des applications lourdes et complexes sur grand écran.Apple croit-il aussi à la pérennité du PC ? Patrice David :
Absolument. Nous pensons que l’intrusion des nouvelles technologies dans notre quotidien ?” que nous appelons dans notre jargon ” digital lifestyle ” ?” loin de signer la fin de l’ordinateur personnel, le place au centre de cette révolution. Nous mettons sur le marché des ordinateurs grand public connectables à tous types d’appareils : caméras, appareils photo, chaînes hi-fi, PC de poche, etc. Et capables de gérer, outre les applications bureautiques traditionnelles, des sons, des images, du cinéma, des jeux vidéo ou des liaisons à l’Internet à haut débit. La télé interactive pour surfer sur l’Internet, vous y croyez ?Olivier Ezratty :
Soyons sérieux ! La télé interactive est tout sauf un PC. En plus, en France, elle est cantonnée au salon : avez-vous déjà tenté de surfer en famille ? Engueulade garantie !Le PC omnipotent, complexe et cher a donc de beaux jours devant lui…Bruno Lussato :
Oui, mais avouez que c’est rageant ! Les fabricants devraient proposer une gamme complète de PC, du plus simple au plus complexe. Or, ce n’est pas le cas : tous les produits sont conçus pour accueillir des logiciels et des matériels dernier cri dont à peu près personne n’a vraiment besoin…Comment expliquez-vous ce refus des constructeurs d’aller au plus simple ? François de Closets :
C’est la logique infernale du marché des PC qui veut ça : fabricants, éditeurs de logiciels, sociétés de conseil informatique, boîtes de formation, tous ont intérêt à rendre le PC compliqué, bourré de bugs et renouvelable régulièrement ?” car les logiciels sont toujours plus gourmands en espace mémoire. Songez aux centaines de milliards de dollars que représente ce marché captif ! La position monopolistique de certains acteurs comme Microsoft, qui contrôle les trois-quarts du marché des systèmes d’exploitation et des logiciels bureautiques, y est sans doute pour quelque chose…Les usagers ont-ils vraiment profité de ces nouvelles fonctionnalités ? Patrice David :
J’en suis convaincu. D’ailleurs, si nous proposons des machines aussi élaborées, c’est parce que les usagers le demandent ! Un iMac première version coûterait aujourd’hui probablement moins de 5 000 francs. Mais il serait invendable, car incapable de traiter la plupart des informations numérisées par les appareils, qui, depuis, ont été introduits sur le marché ! L’ordinateur personnel, remplacé par des terminaux ” vides “, reliés à d’immenses bases de données consultables à la demande sur l’Internet, est-ce un scénario crédible ? Patrice David :
Non. Chez Apple, nous ne partageons pas ce point de vue. Notre but est de rendre l’usager final autonome et totalement maître des informations qu’il traite.Quand voyez-vous l’apparition de telles machines nomades multifonctions ? Christian Davy :
Je vais répondre par une boutade. Imaginons que demain Vivendi Universal frappe à la porte d’un constructeur de matériel et lui dise : ” Nous voulons un matériel doté d’un écran tactile ultrasimplifié capable de rendre captifs nos centaines de millions d’abonnés à SFR, Cegetel, CanalSat, Universal et Vizzavi. ” Je ne donne pas dix-huit mois au fabricant pour réagir ! * Acronyme du système d’exploitation Windows de Microsoft et d’Intel.
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