L’Internet corporation for assigned names and numbers (Icann), régulateur mondial d’Internet, a mis son veto à la vente pour 1,1 milliard de dollars du .org à une société de capital-investissement Ethos Capital, affirmant que c’était « la bonne chose à faire ».
En novembre 2019, Ethos Capital avait remporté le rachat de l’extension de domaine, ce qui impliquait un changement de modèle : du non lucratif au commercial.
Une « mascarade »
Dès l’annonce, le rachat a suscité de vives inquiétudes et les réseaux d’opposition se sont structurés. Tim Berners-Lee, inventeur du Web, a dénoncé une « mascarade ». L’Electronic Frontier Foundation (EFF), un collectif américain de défense des libertés numériques, a lancé une pétition, qui recueille jusqu’à présent plus de 27 000 signatures.
Créé par NTEN, une société technologique à but non lucratif, le site savedotorg.org réunit également 871 organisations et relaie la pétition précédemment mentionnée. Ces deux sites utilisent le nom de domaine .org.
I'm very concerned about the sale of .org to a private company. If the Public Interest Registry ends up not being required to act in the public interest, it would be a travesty. We need an urgent explanation. #SaveDotOrg
— Tim Berners-Lee (@timberners_lee) November 27, 2019
« Les profits au-dessus de l’intérêt public »
Depuis les prises de position contre la vente se sont multipliées, jusqu’à impliquer directement la justice américaine. La veille du vote de l’Icann sur la vente, le 16 avril, le procureur général de Californie, Xavier Becerra, leur a adressé une lettre conseillant sur un ton ferme de refuser la vente.
Derrière cette missive, clé dans l’affaire, une autre lettre : celle des anciens PDG et présidente de l’Icann, Mike Roberts et Esther Dyson. « Furieux », ils y accusaient le régulateur d’Internet d’avoir « abandonné son devoir fondamental de protéger l’intérêt public » et exhortaient l’État fédéral à intervenir [PDF]. À la suite de quoi, le procureur général de Californie a déclaré que l’accord plaçait « les profits au-dessus de l’intérêt public ».
Ce rachat inquiétait effectivement les associations qui utilisent en majorité l’extension. Lancé en 1985, .org qui appartient au Public Internet Registry (PIR) est principalement utilisé par des organismes à but non lucratif, représentant 11 millions d’utilisateurs dans le monde en 2019 – soit le 3e répertoire mondial.
« Avec ce rachat, la commercialisation du « .org » ne servirait plus à développer les actions d’une association à but non lucratif (PIR) mais à rémunérer des actionnaires (Ethos Capital) », expliquait Pierre Bonis, patron de l’Afnic, association qui gère le .fr, dans les colonnes de La Croix, le 10 février dernier.
11 millions d’utilisateurs
Parmi les bénéficiaires du .org de nombreuses institutions internationales ou organisations non-gouvernementales (ONG) : le site de l’Organisation des Nations unies, celui de la Banque mondiale (worldbank.org), ou encore du Comité international de la Croix-Rouge (icrc.org) ou de Médecins sans frontières États-Unis (doctorswithoutborders.org).
Comme le rappelait, Amy Sample Ward, à la tête de NTEN qui avait remis une lettre en main propre au conseil d’administration de l’Icann :
« .org abrite certains des services les plus essentiels en matière de droits de la personne, de liberté d’expression, de santé et d’éducation dans le monde. Il est primordial de garder le domaine de premier niveau sûr et fiable », d’après les documents obtenus par nos confrères de, The Register.
Qui est derrière Ethos Capital ?
Outre les oppositions proprement fondées sur le fondement de ce rachat, la forme questionnait également. Plusieurs zones d’ombre entourant Ethos Capital questionnent. Peu d’informations sont disponibles sur cette société qui semble avoir été récréée pour le rachat de l’extension.
« Ethos Capital offre aux investisseurs une appréciation à long terme du capital en investissant dans un portefeuille diversifié d’investissements non cotés géré par Ethos Private Equity, la plus grande société de capital-investissement en Afrique subsaharienne », peut-on lire dans la présentation lapidaire sur le site de l’entreprise.
Le fonds d’investissements a été fondé en 2019 par l’ancien directeur général de l’ICANN, Fadi Chehadé, et l’investisseur Erik Brooks, qui a orchestré l’acquisition en 2018 par Abry Partners de « Donuts », une autre extension de noms de domaine.
Un « dangereux précédent » ?
Face à la pression, l’Icann qui avait jusqu’au 4 mai pour se prononcer s’est donc finalement inclinée, jugeant que « l’intérêt public est mieux servi en refusant ». Ethos Capital a réagi rapidement en dénonçant auprès de l’AFP une décision qui créait « un dangereux précédent ».
D’après l’entreprise, il « ouvre la voie au rejet unilatéral par l’Icann de transferts futurs en raison de pressions intéressées de la part de parties extérieures à la transaction ».
Mais derrière l’interêt public, se nicherait également l’intérêt particulier de l’Icann. Comme l’écrit The Register :
« Les initiés soupçonnent que l’Icann a finalement refusé la vente simplement parce que l’organisation a plus peur du procureur général de Californie que d’Ethos Capital. Le procureur général a le pouvoir d’assigner des documents internes, et il est donc en mesure de dénoncer ce que certains décrivent comme des décennies de mauvaise gestion au sein d’une institution qui a le monopole des systèmes de dénomination et d’adressage d’Internet. »
Source : The Register
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