Serge Tisseron est psychiatre et psychanalyste. Il a écrit plusieurs ouvrages sur la bande dessinée, les images, les secrets de famille. Dans ses derniers livres, Comment l’esprit vient aux objets (Aubier, 1999) et Petites Mythologies d’aujourd’hui (Aubier, 2000), il explique comment les nouvelles technologies modifient la vision que nous avons de nous-mêmes et de notre environnement.Vous avez commencé par vous intéresser aux images ?” à ce qu’elles nous apprennent d’Hergé dans les albums de Tintin, par exemple ?” et aux relations que nous entretenons avec elles. Depuis deux ans, vous travaillez sur les nouvelles technologies. Quel est le lien ?Les nouvelles technologies rendent l’image omniprésente ?” des écrans apparaissent partout ?” et elles modifient cette image. En effet, nous avons vécu pendant des siècles dans l’illusion qu’il existait deux types d’images : d’un côté la fiction (peintures, chimères…) et de l’autre, la réalité ou ses reflets (miroir, photographies…). Et il y avait d’une part les objets, que l’on pouvait toucher ou déplacer, et d’autre part les images, que l’on regardait. Les nouvelles technologies permettraient donc, paradoxalement, de ne plus confondre les images avec la réalité ?Avec les technologies numériques, le grand public manipule les images comme jamais il ne l’avait fait. L’image est désacralisée. Le rôle essentiel qu’elle occupait dans la perception de soi laisse place à d’autres repères moins visuels, comme les sensations, le plaisir…La réalité virtuelle est donc moins dangereuse qu’on ne le dit pour les enfants et les adolescents ?Toutes les images sont dangereuses quand nous les laissons nous mener par le bout du nez. Tout dépend du crédit que nous leur accordons : y croyons-nous ou non ? Le risque, c’est de se laisser berner par l’illusion du réalisme. Or, la manipulation des clichés numériques nous aide à comprendre que toute image n’est qu’une construction, une représentation, une interrelation. Les jeux vidéo réalistes ne sont donc pas dangereux ?Non, même si le discours publicitaire qui met en avant l’aspect réaliste de certains jeux, contribue à nourrir cette inquiétude. Les adolescents savent que les jeux vidéo ne sont que des jeux. Quand un ado accorde trop d’importance aux jeux vidéo, c’est souvent le symptôme, et non la cause, d’un repli sur soi. Il pourrait aussi bien s’enfermer dans les bouquins ou dans d’autres passions excessives ou dangereuses. Vous êtes plus optimiste que vos confrères sur l’impact des nouvelles technologies !Il ne faut pas sous-estimer les bouleversements qu’elles créent. Mais les enfants savent s’y adapter ?” mieux, peut-être, que les adultes. Ce qui peut expliquer l’inquiétude de leurs parents ! Prenons, par exemple, les objets dont la nature est ” réversible “, cette nouvelle catégorie d’hybrides avec lesquels nous apprenons à vivre. En quoi avons-nous modifié notre manière d’utiliser les machines ?Avez-vous remarqué que le mode d’emploi disparaît ? Notre relation avec les machines n’est plus définie dans un rapport utilitaire prédéterminé. Nous vivons dans l’ère du ” plug and play ” : nous branchons les machines, elles prennent vie et nous les découvrons à tâtons, dans un corps-à-corps comparable à la confrontation avec une personne.A quels besoins répondent finalement les objets numériques ? Nous en ont-ils créé de nouveaux ?Les objets communicants répondent à l’angoisse de l’abandon, la grande angoisse actuelle. Les enfants sont ballottés entre plusieurs foyers, les couples se font et se défont, nous changeons d’entreprise au gré des licenciements ou des fusions. Bref, nos vies sont faites de ruptures douloureuses.
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