Qu’ont en commun la SSII Open Wide, une SSLL sortie de la ruche de Thales fin 2001, l’Association des bibliothécaires français, Sun Microsystems et l’éditeur spécialiste du décisionnel Prelytis ? Tous, avec
70 autres entreprises au 7 décembre, ont signé la pétition, lancée par eucd.info demandant le retrait du projet de loi portant sur les droits d’auteur.Pour rappel, ce projet de loi, dit DADVSI (Droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information), vise à transposer une directive européenne, l’EUCD (European Union Copyright
Directive) votée en 2001.Ce projet a mis en ébullition le monde du logiciel libre pour plusieurs raisons. Plus particulièrement, un amendement suscité par Vivendi Universal et la BSA (Business Software Alliance), entre autres, vise à considérer comme de la
contrefaçon ‘ un logiciel manifestement destiné à la mise à disposition non autorisée au public d’?”uvres ou d’objets protégés par un droit littéraire et artistique qui ne comprend pas les mesures pour, en
l’état de la technique, préserver ces ?”uvres ou objets protégés contre un usage non autorisé ‘.En bref, interdire les logiciels de lecture et d’échange de fichiers ne disposant pas de gestion de droits numériques (DRM). Les réputés serveurs de streaming et lecteurs de vidéos, tel VideoLAN, mis au point par des étudiants de
l’École centrale de Paris, seraient ainsi interdits.Mais d’autres logiciels libres pourraient être concernés. ‘ La définition proposée est tellement vaste qu’elle pourrait englober des logiciels tels que les offres commerciales de Sun Microsystems,
Java System Web Server ou même OpenSolaris ‘, écrit sur son blog Gilles Gravier, responsable marketing chez Sun.
DRM et open source sont incompatibles
Une assertion corroborée par Lionel Thoumyre, responsable Nouvelles Techniques à la Spedidam : ‘ Il y a un vrai risque sur le logiciel libre, à savoir celui de l’interdiction de logiciels qui ne sont
pas en conformité avec cette norme floue et inapplicable. ‘De plus, ‘ la commission Sirinelli [chargée de rédiger certains amendements et mise en place par le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, ou CSPLA, NDLR] refuse de nous
indiquer quels logiciels sont concernés. On se demande pourquoi. Nous constatons simplement que l’existence même d’un serveur Web comme Apache ne pourra plus être garantie avec ce texte. En effet, la DRM n’est efficace que si
tous les maillons de la chaîne sont contrôlés. Or DRM et open source sont intrinsèquement incompatibles ‘, explique Loïc Dachary, cofondateur d’eucd.info.‘ Le CSPLA a adopté le rapport Sirinelli à la majorité. Rien n’a été fait pour compenser les déséquilibres dans la composition de cette commission. Ce qui est étonnant, c’est que les premiers
concernés, à savoir les artistes, étaient sous-représentés. Alors que Microsoft, par exemple, était là deux fois, en tant qu’éditeur, mais aussi par le représentant de la BSA. Le plus gênant dans ce texte est que, pour faire respecter un
droit légitime, celui de la propriété intellectuelle, on en vienne à remettre en cause des droits fondamentaux : la protection de la vie privée et la liberté de communication ‘, constate Lionel Thoumyre.Il est rejoint en cela par Patrick Benichou, PDG d’Open Wide : ‘ Ce texte part d’une bonne intention, à savoir protéger les droits des artistes. Mais sa mise en ?”uvre est
dangereuse.
C’est le principe de liberté du partage des connaissances qui est bafoué.
Si tout ce qui contient du droit d’auteur ne peut s’échanger qu’au travers de solutions contenant de la DRM, les logiciels libres sont concernés. Et donc, une société comme Open Wide est directement menacée. La Sacem a
même indiqué qu’il allait falloir changer les licences du libre et arrêter de publier les codes sources. On risque d’arriver à une situation où le logiciel libre aurait une mauvaise réputation, voire serait illégal. Ce qui freinera son
développement et inquiétera nos clients. ‘
Une absence de réflexion
‘ Le logiciel libre en tant que tel n’est pas concerné ‘, justifie Hervé Rony, président du SNEP (Syndicat national de l’édition phonographique) et, donc, représentant des
majors et labels indépendants.‘ Ce qui est en cause, c’est seulement ce qui transite par le logiciel. Il faut arrêter la désinvolture sur la propriété intellectuelle. Il n’y a pas si longtemps, nous avons poussé les FAI à réagir,
et aussi les éditeurs tels Kazaa ou Grokster qui, manifestement, se moquaient de nous. Nous sommes pour le juste milieu et voulons rendre compatibles la technologie et la loi, trouver un juste compromis sur la protection des ?”uvres. Nous
sommes objectivement inquiets pour notre métier. ‘Une inquiétude étonnante si l’on s’en tient aux seuls chiffres. Si le chiffre d’affaires lié à la vente de supports physiques a effectivement baissé, il est strictement compensé par les revenus générés par les
ventes de musique en ligne.Les partisans du logiciel libre sont aussi inquiets, d’autant plus que le texte devrait être adopté selon la procédure d’urgence (une seule lecture) le 20 décembre. Soit, quelques jours avant les fêtes de fin
d’année dans une assemblée traditionnellement désertée à cette période : ‘ Ce texte mérite une vraie réflexion afin d’étudier les effets de bord, et éviter qu’il reflète uniquement la vision
intéressée des majors ‘, estime Alexandre Schneider, PDG de Prelytis.Le Gouvernement a, lui, estimé nécessaire de devoir légiférer dans l’urgence, la France étant menacée de sanctions par Bruxelles, car elle a trop tardé pour transposer la directive EUCD.
Une restriction des libertés
‘ Avec ce texte, la France aurait la pire des transpositions de la directive. Les logiciels de VoIP fonctionnant en poste à poste devraient intégrer une DRM, c’est aberrant. En outre, ce texte interdit
toute technique de reverse-engineering. Il s’agit là d’un vrai problème d’intelligence économique, et nous alertons les députés sur cette question ‘, indique Christophe Espern,
cofondateur d’eucd.info.Selon la FSF France, la transposition de la directive européenne n’exigeait pas de mise en place de DRM. Un avis partagé par Maître Gérard Haas, avocat : ‘ La législation actuelle est déjà très
efficace. A force de vouloir trop protéger les auteurs, on restreint la liberté de l’utilisateur. Et d’autres modèles économiques sont possibles. ‘A l’image, entre autres, de celui proposé par le Spedidam qui s’appuie sur une ‘ licence globale optionnelle ‘. Concrètement, au moment de prendre son abonnement,
l’internaute peut choisir de réaliser ou non des téléchargements. S’il veut télécharger, il s’acquittera d’une rémunération complémentaire auprès de son FAI. Lequel la reversera à une société de gestion unique chargée de
répartir les sommes aux trois collèges d’ayants droit.‘ Un sondage mené par Médiamétrie indique que la grande majorité des internautes sont prêts à payer cette licence. Donc, clairement, il n’y aurait pas d’impact et, mieux, les FAI pourraient même
valoriser cette offre commercialement ‘, explique Lionel Thoumyre.L’objectif de la Spedidam est ici de légitimer le P2P en en tirant une rémunération sur les flux, tout en tenant compte des droits déjà appliqués sur les supports, à l’exception des disques durs.
‘ Aujourd’hui, au vu de la capacité des disques durs, on ne pourra jamais compenser la perte avec une rémunération sur ce support. Mais il n’est pas exclu qu’une part de l’industrie revienne à
l’assaut sur ce point particulier ‘, anticipe Lionel Thoumyre.‘ Ceux qui défendent cette loi sont les mêmes qui, il y a cinq ans, voulaient interdire Internet. Ils ne mesurent absolument pas les effets collatéraux qu’elle peut avoir ‘, conclut
un acteur pourtant issu de l’industrie musicale…
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