Février 2000. La folie atteint le Nouveau Marché. Une société de mesure d’audience internet jusque-là inconnue, Netvalue, a vu son titre gagner 240 % entre son prix d’introduction et sa première cotation. Elle est valorisée 4,2 milliards de francs (636 millions d’euros). À l’époque, le prospectus d’introduction annonçait un chiffre d’affaires prévisionnel de 48,6 millions d’euros en 2002. Aujourd’hui, ces prévisions ont été divisées par 10 : Netvalue ne réalisera que 5 millions d’euros de chiffre d’affaires cette année.À cours d’argent frais, les fondateurs ont cédé la société à son concurrent, Netratings. Le marché de la mesure d’audience par panel représentatif n’a pas été à la hauteur de ses promesses. Les acteurs du secteur ?”Jupiter Mediametrix, start-up américaine, Netratings (filiale du puissant AC Nielsen) et Netvalue (l’outsider français)?” ont dû se rendre à l’évidence.Et fusionner, pour ne laisser qu’un seul acteur : Netratings, le seul à disposer d’une trésorerie adéquate (87,4 millions de dollars, soit 89,01 millions d’euros, au 30 juin). Un trésor de guerre qui lui a permis de mettre la main sur Netvalue pour 18,1 millions d’euros, après s’être partagé les restes de Jupiter Mediametrix avec la société d’études marketing américaine Comscore en mai dernier.
Les panels sont devenus myopes
Cette concentration pose directement la question de la viabilité économique de la mesure d’audience internet par panel. “Le marché attendait un chiffre de référence, explique François Blum, président de Netratings France. Les grands acteurs traditionnels ne comprenaient pas pourquoi il y avait trois mesures différentes de l’audience internet chaque mois. Depuis la fusion, de grandes marques viennent à nous. Et nous atteindrons l’équilibre dès le début 2003.” Aucun acteur ne l’avoue, mais la concurrence a provoqué une guerre des prix, certains vendant leurs rapports à 50 % de leur valeur (45 000 euros par an) pour gagner des parts de marché.Les clients de Netratings ?”régies publicitaires et annonceurs?” attendent pour leur part beaucoup plus qu’une fusion capitalistique. “Nous avons besoin d’analyses plus fines des comportements de l’internaute. Les panels ne nous fournissent qu’une segmentation par critères socio-démographiques”, explique Stéphanie Kaczmarek, directrice générale adjointe de Zenith Optimédia Interactive. Impossible de savoir qui achète quoi et pour combien sur Amazon.Dans le même ordre d’idée, chez Carat Interactive, on demande une “segmentation des carrefours d’audience”, c’est-à-dire une analyse détaillée de la fréquentation des différentes parties des sites les plus visités. Enfin, tous sont unanimes, à l’instar d’Amaury Delloye, directeur commercial de Real Media, pour qui “le panel sert de point de départ mais reste peu performant pour mesurer les petites audiences qualifiées.”
Bientôt l’heure de gloire du méga-échantillon
Par exemple, pour un site comme Laredoute.fr, sur les 8 000 personnes d’un panel, moins d’une cinquantaine d’entre elles visite effectivement le site chaque mois. Pour répondre à ces préoccupations, un nouveau type d’étude en ligne a fait son apparition : le méga-échantillon. Celui-ci ne rassemble plus 8 ou 10 000 personnes mais plusieurs dizaines de milliers. Aux États-Unis, le précurseur de ce nouvel outil, Comscore, étudie les comportements de plus de 1,5 million d’internautes. En suivant autant de personnes, il devient possible d’établir des profils plus fins, voire même des estimations de chiffre d’affaires pour les marchands en ligne.En France, trois acteurs se sont développés sur ce marché. Le premier à se lancer a été BVA TFC Research, au début 2001. Son panel regroupe 15 000 personnes mais n’a pas ” démontré sa viabilité économique : seuls 40 clients payaient les 700 euros mensuels de l’abonnement “, et est en cours de réorganisation, explique Francis Berger, PDG de la société. Flairant le marché, Christophe Raynaud, ancien de Château Online, a créé Samaris, une start-up spécialisée dans le développement de technologies liées aux méga-échantillons : ” Nous avons 80 000 internautes dans notre base. Nous ne visons pas une commercialisation directe, mais un partenariat avec une société d’études. “Enfin, Netvalue a créé sa propre offre après une tentative avortée de partenariat avec Comscore. Le premier reprochait ses tarifs prohibitifs au second, qui trouvait pour sa part son allié potentiel trop centré sur la technologie. Commercialisée en France depuis cet été, et en Allemagne et Grande-Bretagne à l’automne sous le nom de ” mégapanel “, celle-ci comprend 100 000 internautes par pays.Quoi qu’il en soit, les méthodes de constitution du panel sont peu ou prou similaires. Le principe est d’offrir aux internautes un logiciel à télécharger en échange de leur participation. Netvalue a choisi un anti-virus (Opistat.com), BVA et Samaris une barre de navigation (Netboussole.com) s’intégrant à l’explorateur.
La bonne affaire des cabinets
À sa création, Comscore avait opté pour un système d’accélération du téléchargement de fichiers, qui permet d’obtenir des données beaucoup plus poussées que ses concurrents. Aujourd’hui, il propose un anti-virus, en partenariat avec Symantec. Mais, comme le souligne Lennart Brag, PDG de Netvalue, ” Comscore recrute tous ses panélistes depuis les États-Unis, alors que le recrutement local est indispensable pour obtenir des données qualifiées. “Alors, solution miracle, le méga-échantillon ? Oui, pour les cabinets d’études, qui le commercialisent deux à trois fois plus cher que le panel classique. Alors qu’il coûte, de l’aveu de Lennart Brag, “beaucoup moins cher à créer.” En revanche, il n’est pas sûr que les clients y trouvent leur compte.Leurs techniques de constitution comportent de nombreux biais. Leur représentativité est ce qui prête le plus à polémique. Les internautes doivent indiquer eux-mêmes leurs caractéristiques socio-démographiques. Rien ne les empêche de mentir et de fausser les résultats. Les méga-échantillons devraient donc être redressés pour être valables statistiquement et être considérés comme des panels. “Un méga-machin c’est tout sauf un panel”, ironise pour sa part François Blum.
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