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Le logiciel libre menace-t-il vraiment l’innovation ?

Le logiciel libre provoque une dévalorisation patrimoniale des licences et favorise l’innovation par accumulation compétitive.

Comme l’a suggéré récemment un vice-président du Gartner, Bob Hayward, l’open source peut avoir un effet négatif sur l’innovation en décourageant l’investissement chez les éditeurs commerciaux. Le Gartner estime que les ventes de
licences représentaient plus de 80 % des revenus des éditeurs (contre 20 % pour les services) au début de la dernière décennie, alors qu’elles comptent pour moins de 50 % aujourd’hui.On pourrait déduire de cette hypothèse que les éditeurs deviennent des SSII. Ce qui constituerait en soi une innovation majeure dans le mode de production et de distribution du logiciel. Bien que les chiffres du Gartner soient sujets
à caution, et que les situations varient considérablement d’un éditeur à un autre, le glissement vers les services est une réalité. Or, le Gartner attribue une partie de ce phénomène à la montée de l’open source.

La fin de la récréation en matière de dépenses

Le modèle économique du logiciel libre, en s’imposant comme courant majeur sur le marché, tend à déplacer l’essentiel de la valeur vers les services et pousse les licences vers la gratuité. Mais cette vision de Bob Hayward est
encore trop avancée et sous-estime une autre réalité.La concurrence du libre ne s’est pas encore fait sentir, jusqu’à présent, en dehors du domaine des logiciels de ‘ commodité ‘ (systèmes d’exploitation, middleware), dans lequel il existe
une tendance très ancienne à la baisse des prix. En réalité, le logiciel n’a pas échappé à une ‘ loi ‘ de croissance commune à tous les marchés émergents.Il a connu pendant près de 15 ans (de 1985 à 2000) une phase de très forte croissance, voire de surchauffe, suivie d’une stagnation depuis 4 ou 5 ans.Les grands utilisateurs sont confrontés à deux difficultés de nature à freiner leurs investissements en licences logicielles. La première : la ‘ mise au pas ‘ des services
informatiques (reprise en main par les directions fonctionnelles, toute-puissance des achats, pression sur les budgets, impératifs de gouvernance…) a sonné la fin de la récréation en matière de dépenses.La seconde : les parcs logiciels installés sont tels qu’on peut, aujourd’hui, considérer que les grands comptes sont à la fois sur-équipés et mal équipés. La valeur ajoutée des produits supplémentaires (voire des renouvellements
de licences) est de plus en plus difficile à démontrer. Les utilisateurs attendent des solutions et sont devenus ‘ technosceptiques ‘. Ils savent qu’un projet ne se gagne plus grâce à un
produit.

Le libre peut débloquer un marché monopolisé

L’arrivée du logiciel libre sur un marché dissuade les éditeurs commerciaux d’y investir. On pourrait donc en déduire qu’il paralyse, dans un certain sens, les initiatives innovantes dans les domaines où il intervient. Mais sur ce
plan, il n’y a rien de nouveau.Il y a 10 ans déjà, aucun éditeur ne pouvait espérer survivre s’il cherchait à innover dans un secteur déjà investi par l’un des majors ; il ne faisait pas bon se mettre en travers du chemin de Microsoft, Oracle ou SAP. Quels que
soient ses succès récents, l’open source n’est pas encore aussi dissuasif à l’égard des éditeurs innovants que ne l’étaient les majors des années 90.Au contraire, le logiciel libre s’avère un outil de déverrouillage de l’innovation dans les secteurs où cette même innovation était jusqu’alors entièrement contrôlée par des acteurs dominants. D’abord, parce qu’un produit open source
peut s’imposer face à un monopole ou un oligopole bien installé (OpenOffice.org, MySQL, JBoss), et donc débloquer un marché dans lequel aucun éditeur de logiciels propriétaires indépendant ne pourrait survivre.Ensuite, parce que le logiciel libre est, par définition, réutilisable, et qu’il peut donc, une fois publié, être incorporé dans des produits à forte valeur ajoutée (y compris par des concurrents de son auteur). Le logiciel libre,
tout en provoquant une dévalorisation patrimoniale des licences, favorise donc l’innovation par accumulation compétitive.* Consultant en systèmes d’information, directeur technique de Genicorp, Jean-Marie Gouarné intervient notamment dans des missions de conseil auprès d’organismes bancaires et financiers.

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Jean-Marie Gouarné*