Licences de plus en plus restrictives, prix revus à la hausse, man?”uvres pour s’octroyer des brevets : les éditeurs de logiciels font feu de tout bois pour lutter contre le piratage et sauvegarder leur propriété intellectuelle. A les croire, si les milliards investis en recherche et développement n’étaient pas battus en brèche par la copie illicite ou la rétroconception (reverse engineering), il y aurait moins de contrats sibyllins et de dispositifs restrictifs pour l’utilisateur. En attendant, c’est la fuite en avant.Voilà bientôt deux ans que les fabricants de PC n’ont plus le droit de proposer un CD Windows complet avec leurs machines. Ils ne peuvent livrer qu’un CD de récupération qui restaure le disque dur dans son état d’origine. Ce CD étant lié à l’empreinte matérielle du PC d’origine, il devient impossible de l’utiliser pour installer Windows sur une autre machine, même s’il a été désinstallé au préalable. Impossible également de l’utiliser pour réinstaller Windows si l’on a bricolé son PC en changeant de disque dur ou de carte mère, par exemple. Une contrainte difficile à accepter.Pourtant, un mécanisme similaire a été introduit dans Office XP. Avant de pouvoir utiliser la suite, il est désormais nécessaire de “l’activer” par téléphone ou par internet. Le programme est alors lié à une unique configuration matérielle. Et là encore, toute nouvelle installation requiert une activation chez Microsoft, même si le logiciel a déjà été désinstallé.
Trop d’abus dans les contrats de licence
Après les changements de tarification de l’année dernière ?” Software Assurance chez Microsoft, facturation par processeur chez Oracle ?” ce sont les contrats de licence utilisateur qui subissent des aménagements inattendus. Sun et Microsoft sont allés jusqu’à modifier les leurs de façon rétroactive. A l’installation du dernier correctif de Windows 2000 ou du Kit JDK Java 1.4, les utilisateurs ont découvert une nouvelle clause qui autorise le fournisseur à “accéder aux informations de la machine et à mettre automatiquement à jour certains composants.” Si l’on refuse, il n’est plus possible d’installer ni le kit de développement, ni les correctifs de Windows. De quoi irriter bien des utilisateurs et les amener à regarder un peu plus du côté des logiciels libres. “Pour beaucoup, ce genre d’abus a été un déclic. Il n’y a jamais eu autant d’intérêt pour le logiciel libre que depuis que des éditeurs en situation de monopole abusent de leur position dominante”, explique Eric Raymond, cofondateur de l’Open Source Initiative, une association qui vise à promouvoir l’usage de logiciels à code source ouvert en entreprise. Jusqu’en 2000, en effet, le logiciel libre était regardé comme une curiosité ou une mode dans la foulée des dotcom. Mais le procès Microsoft, le succès de Linux et les changements de licence en pagaille n’ont fait que doper l’innovation dans le camp des logiciels à code source ouvert. Freshmeat, qui maintient une base de donnée des projets open source, a par exemple vu son nombre de contributions tripler entre 2000 et 2001. Depuis, tout va très vite. Le site recense aujourd’hui plus de 14 000 projets de toute sorte.Côté serveurs, l’innovation générée autour de solutions open source n’est plus à démontrer. Le logiciel libre a joué un rôle essentiel dans le développement de l’internet. La plupart des outils de développement ou d’infrastructure utilisent d’ailleurs son modèle de développement collaboratif. Et des produits comme le serveur web Apache ou le langage de script PHP sont aujourd’hui parmi les plus utilisés du web, devançant souvent des outils commerciaux. D’autres, comme les serveurs d’applications Zope ou Tomcat ou, encore, les SGBD comme mySQL ou PostgreQL, n’attendent qu’un faux pas de BEA ou d’Oracle pour s’immiscer en entreprise. Ils mettent en avant leur robustesse, mais aussi un tarif forfaitaire dérisoire, quand le produit n’est pas gratuit, là où les ténors du marché facturent au nombre de processeurs ou d’utilisateurs connectés.
En lutte pour contrer l’hégémonie de Microsoft
La même frénésie secoue le poste de travail. Il y a encore deux ans, personne n’aurait imaginé que l’on puisse trouver un jour des clones de la suite Office, de Photoshop, et même des outils de portage d’applications Windows, totalement libres de droit et modifiables à sa guise. Or, on ne compte pas moins de deux interfaces graphiques, six traitements de textes, cinq tableurs et trois navigateurs. “L’open source ne cherche pas à ce qu’un logiciel l’emporte sur un autre, ajoute Eric Raymond. Il recherche la liberté de choix et d’usage. Le mécontentement général qu’a suscité le changement de licence d’Office et de Windows XP nous a bien sûr amené de nouveaux adeptes, mais il a surtout motivé les développeurs. Tous veulent créer une véritable alternative pour contrer l’hégémonie de Microsoft.” C’est le cas, par exemple, de Sun qui, après avoir ouvert le code source de Staroffice, milite actuellement pour la création d’un outil de travail de groupe compatible avec les clients Exchange et Notes/Domino. Red Hat, de son côté, met tout son savoir- faire en ?”uvre pour proposer prochainement une édition poste de travail de Linux avec toute une panoplie d’outils bureautique. Enfin, Lindows poursuit son projet ambitieux de créer un Linux capable d’exécuter des applications Windows. Ce type de solutions rencontre d’autant plus d’intérêt qu’en cette période de récession, tout ce qui peut réduire les coûts, est regardé avec attention.Suivant cette même logique, le logiciel libre est devenu un moyen d’éviter aux développeurs de se faire rançonner quand un fournisseur se met à exiger des royalties sur un format jusqu’ici gratuit. C’est ce qui s’est passé avec les formats GIF et MP3 Pro. Du jour au lendemain, les développeurs se sont vu réclamer une dîme pour utiliser ces formats longtemps considérés gratuits. Dans les deux cas, la communauté a réagi en mettant au point un format équivalent mais libre de droits (PNG ou Ogg Vorbis).
L’Etat américain pousé à légiférer
Pour d’autres, néanmoins, l’intérêt du logiciel libre n’est ni dans l’accès au code source, ni dans la réduction des coûts. Le logiciel libre les intéresse avant tout pour des raisons éthiques. Ils souhaitent reprendre le contrôle sur leurs applications pour ne plus être tributaires des désirs d’un unique fournisseur. D’autant que, depuis deux ans, les grands éditeurs américains essaient de se protéger davantage en poussant l’Etat à légiférer en matière de contrats de licence. Si elle est adoptée, la loi sur l’Uniform Computer Information Transaction Act (Ucita) devrait par exemple, interdire la rétroconception, interdire à l’utilisateur de dévoiler les bogues trouvés ou, encore, autoriser l’éditeur à désactiver un logiciel ou des composants à distance. La rétroconception est pourtant la garantie de ne pas se retrouver emprisonné dans un format propriétaire et non documenté. Si elle était prohibée, de nombreux logiciels, libre ou non, n’auraient jamais pu voir le jour. Un mémo interne de Microsoft (Halloween Document) prétendait que l’éditeur allait utiliser des formats de fichiers et des protocoles secrets pour contrer Linux.Signe encourageant, le mois dernier, après deux ans de lutte, les promoteurs de l’Ucita ont fini par lâcher du lest et adouci leur projet, notamment sur le report des bogues et sur la rétroconception, dans un objectif d’interopérabilité. Il n’empêche. Les partisans du logiciel libre restent sur le pied de guerre. Car une autre épée de Damoclès plane au-dessus de leurs têtes : celle de la brevetabilité des logiciels.
🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.