C’est au plus haut sommet de l’Etat que lancement de Disney+ a été soupesé en France. Prévu initialement le 24 mars, il a finalement été repoussé au 7 avril à la demande du ministre de l’Economie Bruno Lemaire qui a appelé en personne le PDG de la Walt Disney Company, Bob Chapek, comme le rapporte Le Figaro.
Le gouvernement craignait que le déploiement de la plate-forme provoque une congestion des réseaux, alors même que le trafic Internet venait de croître considérablement à cause du confinement. La menace était-elle bien réelle et reste-t-elle d’actualité ?
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Un carton probable en France
Si le gouvernement s’en est mêlé, c’est à la demande express des opérateurs comme l’a précisé le secrétaire d’Etat au numérique Cédric O au micro de BFMTV le 23 mars. Les FAI redoutaient que le service rencontre autant de succès qu’aux Etats-Unis le 12 novembre dernier.
« Quand Disney+ s’est lancé aux Etats-Unis, en 48 heures ils ont eu 10 millions d’abonnés et c’était un risque pour le réseau », a déclaré Cédric O.
Il est effectivement probable que Disney+ suscite l’enthousiasme en France où plus de six millions de foyers sont déjà convertis à Netflix. Le catalogue est alléchant avec ses marques prestigieuses (Disney, Pixar, Marvel, Star Wars, etc) et tous publics, tandis que le prix de l’abonnement à 6,99 euros est attractif.
Outre-atlantique, le nombre d’abonnés a atteint rapidement des niveaux stratosphériques avec un total de 28,6 millions d’abonnés au mois de février. Mais surtout, la situation de confinement devrait inciter les gens à y souscrire. Toutes les conditions sont donc réunies pour que ce soit un carton.
La stratégie réseau de Disney+ : passer par des CDN
En France, Disney a choisi d’être distribué en exclusivité par Canal+. Seuls ses abonnés pourront donc accéder au service depuis leur box ou leur décodeur. Pour les autres, il faudra passer par l’application comme la plupart des utilisateurs que compte déjà le service à travers le monde.
Conscient du potentiel de sa plate-forme, la Walt Disney Company a soigneusement préparé son offensive d’un point de vue technique. Elle a commencé par racheter à prix d’or la société de streaming BAMTech dès le mois d’août 2017. Et elle s’est fait la main avec un programme pilote aux Pays-Bas, avant de déployer son service à grande échelle aux Etats-Unis.
Concernant son architecture réseau, elle a choisi de passer par des fournisseurs de CDN (Content Delivery Network), des réseaux de diffusion de contenus sur Internet qui sont capables de livrer de gros volumes de trafic et sont eux-mêmes interconnectés avec les différents fournisseurs d’accès à Internet. Pour reprendre les termes de l’Arcep, l’interconnexion constitue le fondement d’Internet. C’est la relation technique et économique établie entre les différents acteurs pour se connecter et échanger mutuellement du trafic. Sans elle, le maillage du réseau est moins bon, moins stable et les Internautes rencontrent des problèmes de connexion.
Mais revenons à Disney, sur le sol américain, la société aurait fait appel à six acteurs : Verizon Media, Akamai, Fastly, Limelight Networks, CenturyLink et Amazon Web Services.
Des problèmes lors du lancement américain
Cette préparation bien huilée n’a pas empêché que des incidents surviennent le 12 novembre dernier aux Etats-Unis. Certains internautes n’ont ainsi pu accéder au service. Ce n’était pourtant pas un problème de capacité.
Dans une interview accordée à Recode, le président de la division grand public de Disney, Kevin Mayer, a affirmé que l’architecture réseau était solide et conçue pour faire face à des dizaines de millions de personnes streamant simultanément.
Il a reconnu, en revanche, un souci logiciel qui était passé inaperçu jusqu’à ce que l’audience explose.
« C’était un problème de programmation et nous allons le recoder », a-t-il déclaré.
En France, Disney+ aurait choisi d’avoir principalement recours à Akamai déjà prestataire de Facebook, Microsoft ou Apple et qui concentre 8% du trafic Internet dans notre pays, d’après les derniers chiffres communiqués par l’Arcep.
Akamai a refusé de répondre à nos questions. Impossible pour lui de commenter l’actualité d’un client. Et Disney+ ne nous a pas donné non plus de détails sur son architecture dans notre pays. Nous pouvons juste supposer que des serveurs cache ont été installés par des CDN au plus proche des utilisateurs dans les cœurs de réseau des opérateurs, ainsi que chez des hébergeurs neutres comme Equinix, Interxion ou Telehouse.
Les opérateurs préfèrent Netflix
Cette stratégie réseau de Disney+ a été critiquée par les FAI et en premier lieu par Orange.
« Le mode de distribution de Disney n’est pas contrôlé par les opérateurs. Le lancement de Disney va être en OTT, sans aucun contrôle de notre part », a déploré Stéphane Richard dans Le Figaro.
A contrario, le patron d’Orange n’a cessé de citer Netflix et ses liens directs d’interconnexion avec les FAI, dits de « peering », en exemple. Voilà qui nécessite quelques explications.
Lorsqu’un fournisseur de contenu conséquent veut lancer son service, il a deux options. Il peut utiliser des CDN comme Disney+, ou monter sa propre infrastructure. C’est le cas de Netflix dont la stratégie est particulièrement robuste et sophistiquée. Il fait appel à plusieurs data centers du service de cloud d’Amazon Web Services mais gère aussi son réseau de CDN au plus proche des utilisateurs. Cela l’a conduit à installer ses serveurs directement dans les cœurs de réseau des grands opérateurs nationaux, ainsi que chez des hébergeurs comme Telehouse.
Un manque de visibilité
Si les opérateurs préfèrent le peering, c’est pour plusieurs raisons. Il y a notamment, et de plus en plus souvent, des intérêts commerciaux en jeu.
« Les fournisseurs d’accès à Internet souhaitent recevoir les flux directement via des peering et non via des transitaires. Selon le Baromètre de l’Interconnexion Arcep, la majorité des peering sont payants, ce qui signifie que le fournisseur d’accès à Internet perçoit de l’argent pour ce peering », nous explique Vivien Guéant, expert réseau et fondateur du site Lafibre.info.
Mais ce n’est pas tout. Les opérateurs obtiennent aussi davantage de visibilité avec une architecture comme celle de Netflix qu’avec celle de Disney+.
« Disney+ utilise plusieurs CDN. Cela signifie que les opérateurs ne décident pas par quel CDN le flux rentre sur leur réseau. Il y a donc une incertitude sur le CDN utilisé et les liens empruntés par les CDN pour envoyer les flux », souligne Vivien Guéant.
« Les opérateurs détestent l’inconnu. Ils préfèrent avoir des interconnexions sur lesquelles il est possible de prévoir le trafic deux ans à l’avance, de façon à planifier les augmentations de capacités », conclut-il.
Six mois de préparation
Malgré cela, les opérateurs ont tout de même pu se préparer à l’arrivée de Disney+. Car un lancement aussi majeur est anticipé au moins six mois à l’avance par les CDN.
« Le client, comme Disney+, transmet ses prévisions. Il s’agit ensuite de définir des capacités et de les budgétiser. Il faut alors fournir les serveurs, trouver de l’espace dans les data centers, installer les serveurs, puis renforcer les capacités d’interconnexion entre les CDN et les opérateurs, c’est-à-dire tirer des câbles supplémentaires. Tout cela s’ajuste de trimestre en trimestre », nous explique Nicolas Pisani, expert en diffusion de contenus sur Internet.
Toutefois, même en ayant planifié consciencieusement sa venue en France, Disney n’est pas à l’abri d’une surprise. Le nombre de connexions pourrait dépasser ses espérances.
« Il est très difficile d’anticiper le nombre d’internautes qui va se connecter à l’occasion d’un gros lancement. Ce sont les services marketing des fournisseurs de contenus qui établissent les prévisions. Elles sont rarement précises et parfois même éloignées de la réalité.
Quant au nombre de gens pré-inscrits, il ne préjuge pas du nombre réel de ceux qui vont utiliser le service, ni de l’intensité avec laquelle ils vont le faire », nous indique encore Nicolas Pisani.
HBO et OSC en savent quelque chose. La diffusion de la dernière saison de Game of Thrones l’année dernière a régulièrement fait planter les plates-formes prises d’assaut par les fans.
Il est trop tard pour redimensionner les interconnexions
Il y a donc une inconnue concernant le pic de connexions que Disney+ va générer. Mais le plus gros problème est ailleurs. Lorsque les différents acteurs du réseau ont commencé à étudier son arrivée en France, personne ne savait qu’elle surviendrait en plein confinement, ni que le trafic Internet aurait augmenté à ce point. Il est aujourd’hui trop tard pour ajuster les capacités.
« L’interconnexion, c’est du temps long. Il est très difficile d’upgrader massivement des interconnexions en huit jours », nous confirme Nicolas Pisani.
La capacité de réaction des opérateurs va donc se trouver extrêmement réduite dans le cas où Disney+ serait dépassé par son succès.
« Faute de pouvoir contrôler parfaitement par où le trafic rentre sur leur réseau, les FAI ont dimensionné les liens avec une marge, pour pouvoir absorber un pic de consommation imprévu » nous rappelle Vivien Guéant. « Le problème c’est que le confinement a réduit les marges, il reste moins de capacité disponible qu’en temps normal, pour faire face à une arrivée de trafic non prévue comme Disney+ ».
Les craintes des opérateurs vis-à-vis de Disney+ étaient donc légitimes. Toutefois, on peut s’interroger sur l’intérêt d’avoir fait reporter de deux semaines le lancement en France, un délai trop court pour changer fondamentalement les interconnexions.
Dégrader la qualité vidéo pour réduire la bande passante
Les opérateurs continuent pourtant de justifier ce report.
« Un lancement le 24 mars serait intervenu au tout début du confinement en France, alors qu’il y avait de grosses inconnues sur l’accroissement du trafic des utilisateurs dans ces circonstances exceptionnelles », nous affirme Orange.
Même son de cloche du côté de Bouygues Telecom. « Les premiers jours du confinement, nous avons observé une hausse très importante du trafic et il nous était difficile de prévoir si cette vague allait durer ou même s’amplifier dans le temps», nous confie l’opérateur.
Admettons que les opérateurs naviguent aujourd’hui moins à vue. Mais surtout, Bouygues Telecom souligne que la situation a évolué favorablement depuis que les principaux acteurs de l’Internet ont réduit leurs débits.
« Cela nous place désormais dans une situation stable et maîtrisée », se félicite Bouygues Telecom.
Netflix, Amazon, Google et Facebook, qui sont les principaux pourvoyeurs du trafic Internet, ont effectivement accepté de dégrader la qualité de leurs vidéos de manière à occuper moins de bande passante. Dans la foulée, Disney + a fait de même en Europe et compte réitérer l’opération en France.
Encore un peu de patience pour nos fans français, notre service de streaming #DisneyPlus arrive bientôt … mais à la demande du @gouvernementFR, nous avons convenu de reporter le lancement jusqu'au mardi 7 avril 2020.⬇️(1/5)
— Hélène Etzi (@HeleneEtzi) March 21, 2020
« En prévision d’une forte demande pour Disney+, nous mettons en place de manière proactive des mesures pour réduire l’utilisation globale de la bande passante d’au moins 25% à l’instar des pays qui ont lancé Disney+ le 24 mars dernier », nous a déclaré un porte-parole.
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Disney+ nous a également affirmé que le lancement du service s’était bien déroulé en Italie, au Royaume-Uni, en Allemagne ou encore en Espagne qui connaissent pourtant eux aussi une situation de confinement et une hausse du trafic Internet.
Il faut donc espérer maintenant que la dégradation des vidéos suffise à contenir le pic de trafic généré par Disney+. Mais la vigilance devra rester de mise jusqu’à la fin du confinement.
Sources : Le Figaro, La Fibre info, l’Arcep
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