« La neutralité du Net, tout le monde en parle, mais tout le monde ne met pas la même chose sous ce terme. » En débutant ainsi une conférence de presse consacrée au sujet, ce mercredi 24 février, la secrétaire d’Etat au Développement de l’économie numérique, Nathalie Kosciusko-Morizet, soulignait un premier problème : la neutralité du Net est aujourd’hui bien difficile à définir.
Cette notion signifie, grosso modo, que tout contenu doit pouvoir circuler sur Internet quels que soient les équipements techniques, l’émetteur de l’information, celui qui la reçoit, sans que la concurrence entre prestataires et leurs impératifs économiques interfèrent dans le processus. Voilà pour le schéma idéal. Sauf qu’aujourd’hui le monde des réseaux est bien plus compliqué qu’il y a dix ans.
Des prestataires techniques sont devenus fournisseurs de contenus, les fichiers illégaux pullulent, le streaming côtoie le téléchargement, les opérateurs de télécoms multiplient les services sur leurs réseaux, Internet est devenu mobile, etc.
Les Etats-Unis se sont déjà saisis du sujet de leur côté. En France, le secrétariat d’Etat au Numérique lance un débat national sur la neutralité du Net en faisant appel à quelques spécialistes, dont Tariq Krim, le fondateur de Netvibes, Dany Vandromme, le directeur du Renater (1), et le directeur de l’Inria (2), Michel Cosnard (3).
Une consultation publique sera lancée dans deux semaines, l’Autorité de régulation des télécommunications (Arcep) planchera sur les aspects techniques le 13 avril prochain, et la secrétaire d’Etat remettra un rapport en juin au Parlement – comme le prévoyait la loi sur la fracture numérique votée en décembre – afin que ce dernier légifère sur cette neutralité du Net.
Des enjeux de société
Les enjeux, eux, ne sont pas neutres. Une loi sur le sujet peut redéfinir à terme les usages et les modèles économiques actuellement en vigueur. Par exemple, si l’on estime que tout doit pouvoir circuler librement sur les réseaux, quid des contenus illégaux ? Et si l’on accepte que ce qui est illégal soit bloqué, filtré, faut-il agir avec la même vigueur contre le piratage de musique et de films que contre la pornographie infantile ?
Et comment concilier respect de la vie privée et chasse aux cybercriminels ? Même la Hadopi et la riposte graduée, comme l’a soulevé Michel Cosnard, posent des problèmes de respect de la neutralité du Net. « C’est peut-être un enjeu plus sociétal que technique, note le directeur de l’Inria. Il existe une confiance dans Internet, dans les réseaux. Si la vie sociale que peuvent avoir les gens sur Internet est utilisée contre eux, il y a un risque de rejet du réseau. » D’autant que des lois récentes, comme Création et Internet ou la Loppsi, en cours de discussion, prévoient des mécanismes de surveillance des réseaux.
Le débat a aussi des implications économiques. Dans un monde où les opérateurs de télécommunications fournissent maintenant des contenus exclusifs, comme Orange avec ses chaînes dédiées au cinéma ou aux séries, comment garantir un bon fonctionnement de la concurrence et éviter, par exemple, que des opérateurs brident leurs réseaux pour compliquer l’accès à d’autres contenus que les leurs ?
Entre intérêts économiques et respect de l’internaute, les experts nommés par la secrétaire d’Etat ont quatre mois pour mettre les choses au clair. Et, de l’aveu même de Nathalie Kosciusko-Morizet, c’est un délai plutôt serré vu le sujet…
1. Le réseau national de télécommunications pour la technologie, l’enseignement et la recherche.
2. L’Institut national de recherche en informatique et automatique
3. Le groupe de réflexion compte aussi Yochai Benkler, professeur à Harvard, l’avocat Winston Maxwell et la présidente de l’organisation Internet Society, Lynn St Amour.
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