Passer au contenu

Le futur du stockage de masse s’écrit sur des bandes magnétiques 20 fois plus fines que vos cheveux

Si elle a disparu de notre quotidien la bande magnétique s’est épanouie en secret dans le monde du stockage de masse. Au point d’être, à l’heure actuelle, la seule solution viable capable d’accompagner l’explosion du volume des données produites par l’Humanité. Nous avons rencontré un des experts d’IBM en la matière.

C’est l’histoire d’une « grand-mère » des technologies qui va venir au secours de ses enfants. La grand-mère, c’est la bande magnétique, les enfants ce sont les disques durs à plateau et SSD. Car, aussi surprenant que cela puisse paraître, ces deux technologies ne sont et ne seront pas en mesure de satisfaire notre appétit démesuré en matière de stockage de données, notamment longue durée.

Lire aussi : Fujifilm et IBM stockent 580 To dans une cartouche à bande magnétique

Disparue de nos vies aussi bien dans les voitures (ah, les autoradios cassettes !), dans nos chambres, que dans nos salons (qui regrette vraiment d’avoir à rembobiner les films ?), la bande magnétique a migré discrètement dans l’atmosphère feutrée des entreprises, des administrations et des centres de données.

Il y a deux ans, IBM et Fujifilm dévoilaient un prototype de bande de 580 To. Et annonçaient une feuille de route surprenante pour le commun des mortels… mais pas pour les pros :

« Vos courriels Gmail sont tous sauvegardés sur bande magnétique et le français OVH a récemment dévoilé une vidéo de l’installation de notre système de stockage sur bande », explique le Dr Mark Lantz.

Rencontré à l’occasion du séminaire organisé entre les chercheurs IBM du laboratoire IBM de Zurich et la presse, ce chercheur, qui affiche 20 ans de maison dont 15 dans les technologies de stockage sur bande, développe une litanie de chiffres ahurissants autour de cette technologie, et des problématiques de données en général.

« Le monde génère 2,5 quintillions d’octets par jour et durant l’année 2025, l’humanité produira 175 zettaoctets », explique calmement le cinquantenaire. Oui ça fait beaucoup de MP3 tout ça. Le souci étant qu’à moins d’un saut de technologie majeur – et pas en vue à l’heure actuelle – les disques durs ne pourront pas absorber ce volume.

« A l’heure qu’il est, la progression de la densité de stockage des disques durs est de 8% par an contre 40% pour les bandes. Or, la croissance du volume de données est de 50% par an ! Et si le volume de données explose leur valeur, elle, ne progresse pas autant. Un film 4K est huit fois plus consommateur de stockage qu’un film en Full HD mais ne se vend pas huit fois plus cher », explique l’ingénieur.

D’où l’intérêt de la bande magnétique qui progresse plus vite, en a encore sous la pédale et coûte moins cher. Mais attention, on ne parle pas ici des VHS à papa et autres cassettes à données des années 80. Les bandes magnétiques modernes sont des monstres. A bien des égards.

Un kilomètre sur bande, ça stocke, ça stocke !

Oubliez les kilobits ou même les petits mégabits de vitesse de lecture, mettez derrière vous les giga-octets : les bandes magnétiques de 2021 ne sont pas choisies par les professionnels des data centers pour rien.

« A l’heure actuelle, une bonne bande magnétique c’est 20 To ou plus par cartouche et une vitesse de lecture de 400 Mo/s », développe le Dr Lantz.

Comment faire tenir autant de données dans une cartouche ? Les astuces sont nombreuses, de la chimie en passant par la façon d’écrire les données jusqu’à la taille des têtes de lecture et écriture. Mais il y a aussi l’épaisseur des bandes.

« Les cheveux humains font en moyenne 100 microns d’épaisseur. Les bandes des cartouches sont 20 fois plus fines, puisqu’elles mesurent aux alentours de cinq microns. Ce travail sur la finesse a permis d’augmenter la densité de manière importante puisqu’une cartouche embarque aujourd’hui 1 100 mètres de bande », décrit le plus simplement du monde Dr Lantz.

Dotées de grande capacité et de débits plutôt rapides, elles prennent leur place en bout de chaîne. Aux SSD reviennent les données les plus chaudes, celles auxquelles on accède le plus souvent et qui ont un grand besoin de très haute vitesse.
Ensuite viennent les disques durs, pour l’heure, majoritaires dans les centres de données. Puis, dès que la latence n’est plus un facteur critique, la bande magnétique prend rapidement le pas pour le stockage de masse plus « froid ». Elle promet surtout des améliorations de densité bien plus importantes que les autres médiums.

Une progression technologique assurée

« Les cartouches à bande magnétique sont le medium qui affiche le plus gros potentiel de progression de densité de stockage », explique le Dr Lantz.
« Selon nos estimations, nous nous acheminons dans les années qui viennent à des cartouches de 580 To de stockage, soit un demi-pétaoctet. Aucune des technologies concurrentes n’offre un tel potentiel », affirme l’ingénieur en chef d’IBM.

Un IBM qui ne produit d’ailleurs ni les bandes, ni les cartouches.

« Nous travaillons main dans la main avec Sony et Fujifilm pour qualifier leurs systèmes. Outre ces compétences de maîtrise du medium (comment organiser les données à la surface, redondance, etc. ndlr), notre savoir-faire est dans la mise en place des systèmes complets avec bras robotisés et les interfaces logicielles ».

Ainsi que, et c’est assez étonnant, dans une vision assez précise du futur.

« Nous voyons une limite à la progression forte de la densité de stockage d’ici deux décennies. Et même à ce moment-là nous entrevoyons l’utilisation de technologies de type MAMR (empruntées aux disques durs, ndlr) ».

Plus lentes, mais plus sécurisées

Après l’explosion de la capacité des disques durs entre les années 80 et 2010 et l’avènement de la mémoire flash à partir de 2010, la bande magnétique a fini par disparaître de nos vies quotidiennes. Si elle était moins en vogue il y a seulement une décennie, elle restait pourtant une technologie incontournable pour certains usages comme le stockage de données sensibles et/ou longue durée de certaines entreprises, ou branches de gouvernements.

Pour ces clients dits « institutionnels », un des avantages de la bande est que l’accès non autorisé à leur contenu est plus difficile. Le coup du « sur un malentendu de droit d’accès, ça peut passer » n’existe pas avec les bandes magnétiques grâce au « air gap » inhérent à la technologie.
Comprendre que tant que le bras robotisé n’a pas inséré la cartouche dans un lecteur, les données qu’elle contient sont coupées du monde, non chargées en mémoire, inaccessibles.

« Et de ce côté, on travaille même à comment coupler des technologies quantiques pour renforcer encore plus cet avantage », détaille le chercheur.

A cette sécurité d’accès, s’ajoute celle de la pérennité.

« On estime que ce type de média a une durée de vie de plusieurs décennies », lâche calmement Mark Lantz.

Ce alors même que les SSD et disques durs classiques sont souvent rincés en quelques années ! Ce qui ne veut pas dire que la bande est parfaite. Outre des vitesses qui ne sont plus adaptées au stockage « chaud », la bande doit faire face à un défi.

« La principale menace du stockage long terme est la disponibilité des lecteurs compatibles, car les technologies des bandes et des têtes (de lecture/écriture, ndlr) évoluent très vite. Au-delà de quelques années, on ne peut garantir de pouvoir produire, voire réparer les lecteurs », tempère ainsi M. Lantz. « C’est pour cela que nous clients migrent généralement l’intégralité de leurs données d’une génération de stockage sur bande à l’autre. »

Avantage décisif : le coût

Le montant de la facture est évidemment l’élément principal sur lequel les entreprises ont les yeux rivés. Et c’est là que la bande magnétique marque des points décisifs.

« Le TCO c’est-à-dire le Total Cost of Ownnership (coût qui prend en compte toutes les composantes, ndlr) de la bande est son argument principal », assure le Dr Lantz.
« Alors que dans tous les disques SSD et HDD ont leur propre électronique, leurs propres composants, etc., dans le cas d’un système à bandes, plusieurs cassettes se partagent un seul lecteur ».

Objets inertes, les cartouches à bandes sont bien moins chères à produire que les autres médiums. Et moins coûteuses à animer.

Car, cette partie matérielle n’est que l’une des deux composantes de la problématique de coût. La deuxième a tout autant d’importance au quotidien : la facture énergétique.

« Dès qu’un disque dur ou un SSD est dans un système, il est alimenté et consomme de l’énergie. Il existe plus de 500 centres de données exascales dans le monde et plus de 150 sont en construction. A l’horizon 2025, la facture énergétique des centres de données à disques durs devrait tripler », ajoute-t-il.

Les cartouches, qui ne consomment rien quand on n’accède pas aux données sont donc un élément de réponse à la tentative de réduction de la boulimie énergétique des centres de données.

Attention cependant à ne pas mal interpréter ces avantages de coûts de la technologie sur bande : ils ne concernent que les entreprises. Vous ne reverrez, à priori, plus jamais de bande magnétique nouvelle génération dans vos salons.

« Si le coût des bandes au To est inférieur aux disques durs, c’est parce que des dizaines de bandes se partagent la partie électronique, c’est-à-dire le lecteur. Dans un usage domestique, le coût du lecteur est bien trop élevé pour un particulier qui n’a pas ces besoins en capacités de stockage ».

Impossible pour vous et moi en effet de justifier d’acheter l’achat d’un robot qui va gérer une centaine de cartouches de 20 To !

Et après la bande magnétique ?

S’il y a plus de vingt ans de progrès en vue pour améliorer les densités de stockage de la bande magnétique, IBM s’intéresse fort logiquement au futur – car le futur, c’est un peu son cœur de métier.
Il cite comme première piste la gravure de données sur cristaux de quartz.

« C’est une technologie optique à base de laser femtoseconde qui présente un bon potentiel pour l’archivage de masse. Mais la technologie est, à l’heure actuelle, très chère et très lente », décrit le Dr Lantz.

Mais pour IBM, la plus prometteuse des technologies reste le stockage sur ADN. Un principe déjà mis en application aujourd’hui, mais dont les limites sont énormes.

« L’ADN est pour nous la technologie ultime de stockage quand on regarde les chiffres. On parle ici de centaines de pétaoctets par gramme ! Mais à l’heure actuelle, la technologie est lente et un million de fois plus onéreuse que la bande. Il faudra un vrai changement de paradigme technologique pour voir son avènement. S’il arrive. », prédit le scientifique.
Pronostiquant que « il faudra au moins une dizaine d’années avant le premier produit opérationnel et plusieurs décennies avant la première application commerciale ».

En attendant, de stocker nos vies numériques dans l’ADN, on fera donc confiance à nos bonnes vieilles bandes magnétiques.

Notre série consacrée au laboratoire de recherche suisse d’IBM :

Comment IBM devrait ouvrir la voie révolutionnaire de l’avantage quantique dès 2023
Le futur du stockage de masse s’écrit sur des bandes magnétiques 20 fois plus fines que vos cheveux

Correction du 04/03/2022 : une précédente version de cet article mentionnait qu’IBM ne produisait pas les lecteurs de bandes, ce qui est faux.  La firme en produit bien dans son usine du Mexique comme nous l’a communiqué un cadre d’IBM que nous remercions pour cette précision.

🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.


Adrian BRANCO