Plus de 110 appartements perquisitionnés, des dizaines d’ordinateurs saisis… Après plusieurs semaines de ronde sur le net, la patrouille spécialisée dans la lutte contre l’extrême droite, la cellule ” ST 43 ” de la police judiciaire, a achevé avec succès son ” opération Napster ” ! Objet du délit : un échange en ligne de fichiers musicaux MP3 racistes ou antisémites, interdits en Allemagne. Gerhard Mees, l’un des patrouilleurs de la police judiciaire fédérale (BKA), énumère les quelques titres en vogue sur le réseau : Hourra hourra, y’a un nègre qui brûle ! ou encore Chasseur de Turcs. “ Les chansons du groupe Gestapo sont aussi particulièrement demandées “, précise-t-il. “ Si Napster est mort, la diffusion de musique néonazie se poursuit sur d’autres sites d’échange en ligne.” Ils sont huit à surfer vingt-quatre heures sur vingt-quatre sur le net. “Quand on est sur une piste, il nous arrive de surfer jour et nuit, explique Gerhard Mees. Dans les “chatrooms” [canaux de discussion, ndlr] nocturnes, je peux dénicher un indice qui nous permet de remonter à la source du délit. ” Gerhard Mees récupère alors le numéro d’identification de l’ordinateur (IP). Avec l’autorisation d’un juge, il obtient l’identité et l’adresse des contrevenants auprès du fournisseur d’accès à internet.
Des “rondes” à visage découvert
Les policiers, formés et recrutés en interne, ne se comportent jamais en pirates. “J’utilise les mêmes outils que n’importe quel internaute “, précise Gerhard Mees. Pas question de ” cambrioler ” un site sans l’autorisation d’un juge. “ Nous effectuons nos “rondes” dans l’espace public et il nous est interdit de dépasser les frontières du privé“, ajoute-t-il. Gerhard Mees ne cache d’ailleurs pas son identité. “ Souvent, j’utilise BKA comme pseudo. Certains me demandent si je suis vraiment flic. Je réponds toujours par l’affirmative. Bien sûr, personne ne me croit…“, plaisante-t-il. La patrouille travaille dans l’un des trois sites du BKA en Allemagne, installé sur les hauts de Meckenheim, une petite ville tranquille de Rhénanie du Nord. Ce centre est spécialisé dans la sécurité d’État, c’est-à-dire principalement la lutte antiterroriste et anti-extrémiste. Il était donc logique que la cellule internet contre l’extrême droite s’installe ici en janvier 1999. Les autres équipes, chargées de lutter notamment contre la pédophilie sur le net, sont installées à Wiesbaden.La cellule ” ST 43 ” [sécurité d’État 43] recherche avant tout les responsables de la diffu- sion sur le net d’images et de documents d’extrême droite prohibés par la loi. En Allemagne, il est interdit de dessiner une croix gammée ou de crier ” Sieg Heil ” ou ” Heil Hitler “. “ Nous refusons de retourner à un régime totalitaire. Nous voulons ainsi protéger notre démocratie “, explique Andreas Köhler, officier de police à la section antiterrorisme. La lutte contre les néonazis est un sujet qui préoccupe les Allemands. Le passé national-socialiste est toujours très présent dans les esprits, et la recrudescence des délits d’extrême droite, dirigés notamment contre la communauté juive, est inquiétante. Agressions racistes, attentats antisémites ou propagande néonazie n’ont jamais été aussi nombreux qu’en l’an 2000. Le ministère de l’Intérieur a enregistré 60 % d’augmentation concernant les actes xénophobes et antisémites. Au premier trimestre de cette année, les délits constatés sur le réseau des réseaux constituaient 5 % de l’ensemble. Selon le BKA, ceux-ci augmentent proportionnellement à la progression du nombre d’utilisateurs. Selon les chiffres des services de renseignement (Verfassungsschutz), le nombre de pages d’extrême droite écrites en allemand a multiplié par trente en trois ans.Le milieu néonazi a découvert internet comme un outil de propagande efficace et peu coûteux. “Avant, il y avait des tracts imprimés clandestinement et distribués sous le manteau. Les néonazis se rencontraient dans les arrière-salles de cafés. Aujourd’hui, leurs idées se propagent sur le net “, constate Andreas Köhler. Récemment, la patrouille a coincé l’auteur de ” Fraternité aryenne “, un site néonazi allemand. Celui-ci incitait à la haine raciale, diffusait un mode d’emploi pour construire des bombes et proposait toutes sortes d’insignes nazis à télécharger. L’auteur, localisé à Darmstadt, a été arrêté dans sa chambre en plein travail.Mais le principal problème de la cellule ST 43, c’est que le net ne connaît pas de frontière. Face à la haine raciale propagée depuis des serveurs basés à l’étranger, les patrouilleurs de Meckenheim restent souvent impuissants devant leurs écrans. Gary Lauck, un néonazi bien connu des services de police internationaux, est ainsi devenu l’ennemi public numéro 1 des autorités allemandes. Opérant à partir des États-Unis, son site diffuse une pro- pagande nauséabonde sur toute la planète. On y trouve notamment un jeu dont le but est de tuer… six millions de Juifs. Mais outre-Atlantique, ses agissements ne sont pas condamnables en justice, car la loi américaine garantit une plus grande liberté d’expression.
Une menace difficile à circonscrire
Les fournisseurs d’accès à internet d’outre-Rhin sont venus discuter avec le BKA à Meckenheim et ont accepté de collaborer avec la police. AOL Allemagne a ainsi créé un service spécial pour surveiller les contenus échangés et hébergés sur ses serveurs et exclure, le cas échéant, les membres indésirables. “ Il n’y pratiquement plus aucun contenu d’extrême droite sur les sites diffusés à partir de l’Allemagne “, assure Andreas Köhler. Pour le reste du monde, la situation est plus compliquée. Le BKA a trois solutions : convaincre les hébergeurs américains de fermer un site, informer la police ou saisir la justice américaine. Le BKA est également en contact avec les ONG, notamment juives, qui ont de l’influence sur l’opinion publique américaine. Les hébergeurs qui tiennent à leur réputation ou qui veulent pénétrer le marché allemand sont heureusement obligés de tenir compte des remarques.
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