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Le FBI a-t-il incité ses agents à espionner davantage les Américains ?

Selon un courriel interne obtenu par le média américain Wired, un responsable du FBI a demandé à ses employés de continuer de surveiller des Américains, via la loi FISA, une loi tout juste renouvelée qui permet de surveiller les étrangers sans passer par un juge. L’objectif du FBI serait d’encourager l’utilisation de cet outil pour montrer à quel point cet instrument serait « essentiel à sa mission ». L’agence américaine de renseignement conteste vivement cette mauvaise « interprétation ».

C’est un courriel qui passe mal auprès des défenseurs de la vie privée aux États-Unis : le 20 avril dernier, jour où le Congrès a renouvelé une loi d’espionnage dans le pays, Paul Abbate, directeur adjoint du FBI, envoyait un message à ses équipes. Dans cet email, il demandait à ses agents de « continuer à chercher des moyens d’utiliser de manière appropriée les requêtes sur les ressortissants américains », dans le respect des lois existantes, rapporte Wired, mercredi 8 mai. En d’autres termes, le haut responsable somme ses employés d’accéder aux communications privées des Américains, dans le cadre de la règlementation. Le courriel interne, consulté par nos confrères, a été envoyé le jour du renouvellement de la section 702 de la loi FISA, qui autorise la NSA ou le FBI à accéder aux « communications de non-Américains à l’étranger ».

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Et si le message passe mal, c’est que cette loi n’a pas pour objectif premier de surveiller les Américains. Elle définit au contraire les pouvoirs d’espionnage du FBI, de la CIA ou de la NSA sur les non-citoyens américains (dont nous faisons partie). Bien que le texte permette parfois aux services de renseignement d’espionner des Américains, il ne peut s’agir, en théorie, que d’une surveillance « par ricochet » et exceptionnelle. Or, le directeur adjoint du FBI, en faisant directement référence aux communications des ressortissants américains, semble encourager ses membres à davantage recourir aux écoutes téléphoniques des Américains (et non des étrangers), sans mandat judiciaire – donc sans contrôle d’un juge.

« Ces outils sont essentiels à notre mission, et nous devons les utiliser »

Dans le message consulté par nos confrères, Paul Abbate demande en effet que ses employés continuent d’avoir recours à la surveillance de citoyens américains dans le respect de la loi FISA. L’objectif serait de justifier une telle surveillance par les agences américaines de Renseignement – celle-ci était « essentielle à la mission » du FBI.

« Pour continuer à démontrer pourquoi des outils comme celui-ci sont essentiels à notre mission », écrit le directeur adjoint du FBI, « nous devons les utiliser, tout en nous tenant responsables de le faire correctement et dans le respect des exigences légales ». Et « j’invite tout le monde à continuer à chercher des moyens d’utiliser de manière appropriée les requêtes sur les ressortissants américains pour faire avancer la mission, avec la certitude que cette nouvelle exigence d’approbation préalable contribuera à garantir que ces requêtes sont pleinement conformes à la loi », poursuit-il.

Exiger le recours à un juge pour les Américains : le combat perdu des défenseurs de la vie privée

Ce message est pour le moins surprenant, car pendant les débats sur le renouvellement de ce texte controversé, le FBI cherchait à démontrer l’inverse. À savoir, que les abus des services secrets – c’est-à-dire les cas d’espionnage de citoyens américains – étaient désormais terminés. L’objectif de la loi FISA est en effet de permettre aux services secrets américains d’avoir accès aux communications privées (messages, emails, dossiers) de ressortissants étrangers, y compris à l’étranger – ce qui implique l’Europe. Les sociétés américaines comme Google, Amazon ou Microsoft sont contraintes par cette loi de répondre aux requêtes du FBI ou de la NSA, si ces agences en font la demande.

Et si le recours à cet instrument peut exceptionnellement impliquer des citoyens américains, lorsqu’un étranger ciblé communique avec l’un d’entre eux par exemple, il n’est pas censé être un moyen de surveiller des Américains. Ce qui n’a pas empêché ces dernières années l’espionnage de ressortissants américains comme des manifestants, des journalistes et même un élu du Congrès, selon différentes affaires qui ont remis en cause cette loi.

C’est ce qui avait justement poussé les associations de défense de la vie privée à exiger l’encadrement d’un juge américain, à chaque fois qu’un citoyen américain était impliqué dans ces communications surveillées. Mais ce garde-fou n’avait finalement pas été retenu par le Congrès en avril dernier : un point dont se félicite justement Paul Abbate, à la tête du FBI, dans ce fameux courriel, rapporte un autre média américain, ARS Technica, qui a aussi eu accès au message.

La loi qui renouvelle la section 702 de la loi Fisa a cependant imposé aux agences de renseignement américaines une « nouvelle exigence d’approbation préalable », dont Paul Abbate se fait l’écho. Les agents doivent désormais demander l’autorisation d’un avocat du FBI avant d’effectuer des « requêtes par lots ». S’il s’agit d’élus, de journalistes, d’universitaires et des personnalités religieuses (américains), les demandes nécessitent l’approbation d’un supérieur hiérarchique au sein du FBI. Mais si la requête peut « contribuer à atténuer ou à éliminer une menace pour la vie ou une atteinte grave à l’intégrité physique », le FBI n’a pas à passer par cette approbation.

Le FBI estime que son email a été déformé

Contacté par nos confrères, un porte-parole de l’agence de renseignement a expliqué que l’e-mail d’Abbate « soulignait la reconnaissance par le Congrès de l’importance vitale de la section 702 de la FISA pour protéger le peuple américain et a été envoyé pour s’assurer que le personnel du FBI était immédiatement au courant des changements apportés par la loi pour améliorer la protection de la vie privée et qu’il s’y conformait ».

Après la publication de l’article de Wired, le FBI a ensuite publié une déclaration, expliquant que le média américain avait déformé les mots du directeur adjoint du FBI. « L‘allégation selon laquelle le FBI aurait demandé à ses employés de violer la loi ou les politiques du FBI est catégoriquement fausse et insultante », rapporte ARS Technica. Le FBI rappelle en substance que la loi FISA n’est pas un blanc-seing permettant d’espionner massivement les Américains.

Dans le cadre du programme de surveillance, « au moins un des destinataires (l’individu “ciblé”) [doit] être un étranger dont on peut raisonnablement penser qu’il se trouve ailleurs que sur le sol américain », ajoute l’agence de renseignement. Pas sûr que cela convainc les pourfendeurs de la loi, dont fait partie l’élue de Californie Zoe Lofgren, interrogée par nos confrères de Wired. Il « semble montrer que le FBI pousse activement à une surveillance accrue des Américains, non pas par nécessité. Mais par défaut ».

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Source : Wired


Stéphanie Bascou