Longtemps en Europe, on a espéré que la conjoncture n’avait qu’un simple retard par rapport à celle d’outre-Atlantique. On a pensé que le Vieux Continent allait, à son tour, connaître la fabuleuse croissance américaine des années 1990. Il suffisait d’attendre. Cet espoir prit plus de corps lorsque, après des années d’atonie, la croissance européenne se releva et que l’on se mit, chez nous, à parler d’internet, de places de marché, de productivité, comme le faisaient les Américains.
Gains de productivité
Mais derrière cette croissance, un maître mot s’imposait : productivité. Peu importe que ces gains se situent au c?”ur de la révolution industrielle, c’est-à-dire dans les nouvelles technologies, ou qu’ils soient disséminés dans tous les secteurs d’activité. La nouvelle économie les générait, au moins outre-Atlantique, car l’Europe ne dispose pas d’un tel moteur de croissance. Les derniers chiffres l’indiquent clairement : il y a encore aujourd’hui une évolution positive de la productivité aux États-Unis. Même si elle est moins dynamique, elle a encore cru de 2,1 % au deuxième trimestre . C’est d’ailleurs dans ce phénomène que réside l’espoir de tous ceux qui pensent à un rebond de l’économie américaine l’an prochain. Se pose alors la question suivante : d’où viennent ces gains de productivité outre-Atlantique, et comment expliquer cette impossibilité européenne à atteindre des résultats équivalents ?
Recherche, enseignement, industrie
En fait, les améliorations des conditions de production sont assises sur un triptyque connu qui constitue l’économie de la connaissance : recherche, enseignement supérieur et industrie. Or, sur tous ces plans, le modèle de croissance européen est totalement en décalage. Commençons par la recherche. Un chiffre résume le c?”ur du sujet : depuis plusieurs années, les États-Unis dépensent environ 60 milliards de dollars (68 milliards d’euros) de plus que l’Union Européenne en recherche et développement (R & D). C’est gigantesque, c’est essentiel et cela n’est pas prêt de s’arrêter. L’ensemble des dépenses de recherche, publique ou privée, doit frôler les 190 milliards de dollars cette année dont près de 100 milliards pour le seul budget fédéral. La procédure reste la même, une large partie de ces fonds passe par le ministère américain de la Défense, qui le distribue ensuite aux universités et aux entreprises dans à peu près tous les domaines, mais avec une priorité évidente pour les technologies de l’information et de la communication (une large partie des fonds publics étant également destinée au secteur biomédical). Face à cette manne, tous les pays européens, quoique à des degrés divers, demeurent frileux, peu organisés et faiblement investisseurs dans la connaissance.Le second point, c’est la relation entre la recherche, les universités et l’industrie. Là, nous sommes encore plus en retard. Il suffit de se souvenir qu’en France, recherche et enseignement supérieur dépendent de deux administrations différentes, et de souligner les difficultés que les titulaires d’un doctorat peuvent avoir sur le marché du travail. Certes, la jolie expression ” formation par la recherche ” a été largement utilisée, mais sans renvoyer à une réalité quelconque dans notre pays. Quand à notre enseignement supérieur, il est globalement mal doté, peu efficace, éloigné de la vie professionnelle et, surtout, très peu productif en matière de recherche et d’applications économiques. Le juge de paix est sans aucun doute là : le nombre de brevets déposés. Or, on sait que l’Europe, sur son propre marché et également sur le marché américain, est en régression. Nous n’arrivons toujours pas à mettre en place un véritable brevet européen, simple d’usage, peu onéreux pour ceux qui le déposent et protecteur des développements technologiques. C’est dire si c’est bien au c?”ur de ce triptyque que l’Europe doit trouver les sources de sa croissance. Le sommet européen de Lisbonne avait évoqué les bases d’une société européenne de la connaissance, mais les travaux pratiques sont encore loin.
*professeur à luniversité Paris-Dauphine
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