Présenter en ligne un objet totalement modélisé en trois dimensions (3D) augmente sérieusement l’interactivité d’une page web. Didier Lieven, Webservices Manager sur le site de La Redoute, juge cette interactivité indispensable pour la vente en ligne. “Dans un magasin, les gens manipulent les objets (une chaussure de sport par exemple) sous toutes les coutures avant d’acheter. Une représentation de l’objet en 2D, que ce soit dans un catalogue ou sur l’écran d’un ordinateur, n’offre aucune interactivité et constitue un frein à l’acte d’achat. Or internet et la 3D lèvent ce frein. Ce couplage, associé à une fonction de zoom sur l’objet par exemple, entre dans notre stratégie pour palier les manques du papier.”L’enrichissement d’un catalogue mis en ligne avec des objets modélisés en 3D, ou représentés par une succession de photos, est certainement la plus ancienne utilisation sur le web et la plus répandue. Aujourd’hui, l’évolution des matériels et des accès à internet aidant, de nouveaux débouchés apparaissent, comme les jeux à vocation marketing ou de nouvelles interfaces de navigation. Toutefois, même si l’intérêt des sites internet pour la 3D est évident, les projets restent marginaux.À cela plusieurs raisons. Tout d’abord, il est utopique d’acheter un logiciel pour se lancer soi-même dans ce genre de projet. La conception et la réalisation d’objets en 3D sont une affaire de spécialistes. D’autre part, les coûts s’avèrent parfois rédhibitoires ; les temps de développement se comptent en semaines et les technologies souffrent d’une absence de standard. Plus inquiétant encore : les SSII spécialisées sont concurrencées, et parfois dépassées, par des graphistes free-lance qui procurent d’étonnants résultats à des coûts relativement bas, tout en respectant des délais nettement plus courts. Difficile, dans ces conditions, de faire la part des choses.
Le pragmatisme de la pseudo 3D
Chez La redoute, la décision a été prise de ne pas utiliser de véritable modélisation 3D mais une série de photos d’un même objet, prises sous différents angles. Elles sont ensuite affichées une par une, rapidement, afin de donner l’impression d’un objet qui tourne sur lui-même. Généralisée dédaigneusement sous l’appellation QuickTime VR par les hommes de l’art, cette technique n’est pas de la véritable 3D. L’interactivité est limitée et se borne, par exemple, à agrandir quelques endroits à l’aide d’une petite fenêtre faisant office de Zoom.Une véritable modélisation tridimensionnelle procure bien plus que cela : l’objet tourne dans tous les sens et quelques lignes de programmation permettent d’en changer la couleur, d’ajouter ou de retirer des éléments, comme des options sur un véhicule automobile ou une poussette, voire de réaliser une simulation aussi vraie que nature, tel un téléphone portable qui réagit comme un vrai quand l’internaute clique sur ses boutons.Choisir entre un véritable objet 3D ou une représentation QuickTime VR se résume donc à trouver un compromis entre l’interactivité, les coûts et les délais du projet. En ce qui concerne La Redoute et l’utilisation de Quick-Time VR, Didier Lieven explique que “prendre 12 photos d’un objet, les combiner et les publier sur internet nécessite une demi-journée de travail. Un peu plus s’il y a des détails à montrer. Nous ne cherchons pas la technologie pour la technologie quand on a un résultat correct. D’autant que nous avons notre propre studio et le coût est réduit.”Bruno Auret, directeur du design des sites internet chez Fluxus, qui héberge, entre autres, le site de La Redoute, généralise l’usage de la technologie QuickTime VR. “Ça fonctionne sur des produits bien identifiés. Dans une démarche de hard selling ou d’hypermarché, on se demande si la vraie 3D n’est pas un frein : pendant le temps de chargement, on disperse l’internaute avec quelque chose de périphérique, et les retours ne sont pas probants. La vraie 3D joue sur la séduction, pas sur l’acte d’achat.”Solution pragmatique et économique, l’utilisation de la technologie QuickTime VR prend encore tout son sens avec la mise en ligne de catalogues.
Des coûts très variables
La véritable modélisation 3D et ses fantastiques capacités d’interactivité ne sont effectivement pas compatibles avec les besoins mercantiles d’un site d’e-commerce. Le temps nécessaire aux développements se révèle nettement plus long, il peut atteindre un mois. D’autre part, rien n’industrialise la modélisation de plusieurs objets différents ; la quantité de travail à fournir reste la même pour chaque objet. Enfin, le coût des projets est beaucoup plus important.Olivier Tyrbas, directeur de l’agence française de Cycore, l’éditeur du logiciel Cult3D, estime que “la modélisation d’un objet, sans compter la programmation des fonctions d’interactivité, varie entre 300 et 5 000 ?.“. Quand on ajoute la programmation en Java, JavaScript, Flash…, les prix grimpent encore. Thierry Luyer, p-dg de Gotham, la SSII qui a réalisé avec Cult3D les vues tridimensionnelles de la Formule 1 dévoilée par Renault sur son site internet le 27 janvier dernier, chiffre le coût total par objet développé entre 450 et plusieurs milliers d’euros. 3DVF Studio, une agence bretonne, regroupe un vivier de talents, free-lance pour la plupart.Son cofondateur, Olivier Perrot, facture ses réalisations entre 228 et 460 e par jour, mais “tout compris ! Le client n’a pas de licence d’exploitation à payer en sus de ce tarif.” Effectivement, outre les frais de développement et de création des objets, des éditeurs comme Cycore ou ViewPoint facturent une licence d’exploitation annuelle. Chez Cycore, son prix varie entre 580 et 17 800 ?, selon le trafic du site, montant facturé par la SSII qui la reverse ensuite à l’éditeur. Cette pratique de coûts récurrents, dénoncée par bon nombre d’éditeurs et de clients, n’est heureusement pas en passe de se généraliser.
L’absence de standard ajoute à la confusion
“Historiquement, la modélisation en 3D trouve ses origines dans la CAO. Les ordinateurs utilisés étaient très puissants, par exemple des stations Silicon Graphics”, résume François Dujardin, directeur des services chez Virtools. Aujourd’hui, les performances des ordinateurs sont suffisantes pour que tout un chacun puisse visualiser des objets ou des animations 3D sur un site internet, sans qu’il soit nécessaire de posséder une carte graphique 3D. Le processeur de l’ordinateur suffit à procurer d’assez bons résultats s’il est assez puissant, c’est-à-dire “si sa fréquence dépasse les 500 MHz”, estime Olivier Perrot de 3DVF Studio.Mais encore faut-il disposer du plug-in adéquat, c’est-à-dire du petit bout de code que l’internaute doit télécharger sur son ordinateur pour interpréter les données relatives à un objet 3D inséré dans une page web. Outre les performances intrinsèques dudit plug-in en matière de rendu 3D, celui-ci doit toucher le plus grand nombre d’internautes, qu’ils aient des PC ou des Mac, avec ou sans carte graphique 3D. Or, il n’existe aucun standard concernant les plug-in, qui sont, ipso facto, des technologies propriétaires que chaque éditeur tente d’imposer sur le marché. Certains fonctionnent sur Mac et PC, d’autres uniquement sur PC… Outre les tarifs extrêmement variables, cette absence de standard ajoute à la confusion.Mais, ce qui devait arriver est en train de se produire : un gros éditeur, Macromedia, alléché par les perspectives du marché de la 3D sur internet, profite de ces luttes intestines pour déployer son propre plug-in, Schockwave 3D. Il rallie les principaux éditeurs de logiciels de création, tels que 3DStudio Max, Maya ou TrueSpace. Déployé chez 270 millions d’internautes et assimilant le player Flash, édité par Macromedia, Shockwave 3D est utilisé sans reversement de licence. Macromedia rencontre un vif succès auprès de la communauté des développeurs 3D pour le web.Mais le plug-in n’est pas la seule technique employée. Certains éditeurs préfèrent recourir à des applets Java, et affirment qu’il n’est pas besoin de télécharger de plug-in puisque tous les navigateurs du marché possèdent une Java Virtual Machine. Ce qui ne manque pas de faire bondir Thierry Luyer, p-dg de Gotham : “C’est dans la majorité des cas un faux débat. Si nous voulons comparer ce qui est comparable, en d’autres termes si nous voulons le même degré d’interactivité dans les deux solutions, il est nécessaire pour les applications sans plug-in de télécharger la dernière version de la Java Virtual Machine pour Windows, qui pèse tout de même 1,9 Mo, et entraîne les mêmes restrictions de téléchargement en environnement sécurisé.” Ce faux débat reste entier.
Le boum des jeux en 3D
Nettement moins répandus que les catalogues en ligne, les jeux en 3D connaissent pourtant un certain engouement. Les joueurs baignent dans la marque pendant plusieurs minutes et, piqués au jeu, n’hésitent pas à déclarer de nombreuses informations pour s’enregistrer. Mais là n’est pas la seule utilisation des jeux. Ils relancent également une marque, la chargeant d’un capital sympathie.Les retours sur investissement sont quantifiables, heureusement, car les budgets sont assez élevés. Aziz Aluthman, directeur général d’Idealys, facture ainsi ses productions “à partir de 45 700 ?, diffusion comprise”, et affirme être compétitif avec des délais compris “entre 6 et 8 semaines”. Les clients sont pourtant satisfaits, comme le lunetier Bollé, qui ne regrette pas cette forme de marketing viral.Les jeux 3D sont chers, certes, et pourtant ils ne constituent pas encore le fin du fin de la 3D sur le web, à savoir les avatars. Un avatar est la modélisation d’un être humain. On imagine aisément le pouvoir d’une telle interface, au point qu’un client en a déjà formulé la demande à Jean-François Auroux, directeur des activités solutions chez Fluxus. “Il voulait un mannequin virtuel qui reprenait la morphologie de l’internaute. Ce dernier entrait ses mensurations et le mannequin apparaissait tel quel à l’écran.”L’idée était séduisante pour vendre des vêtements, mais elle a été rapidement abandonnée, vu son coût trop élevé. Bruce Tajtelbom, ex-directeur de l’infographie sur la première version du personnage numérique Eve Solal, estime que les avatars sont des projets qui “se chiffrent dans les 800 000 ?, voire plus “. Sans compter la mise en ligne !
La partie d’échecs des grands industriels
Les environnements et les interfaces tout en 3D ont toujours tenté les boutiques en ligne. On se rappelle le rêve de la Fnac, visant à mettre en ligne des rayons entièrement virtuels, annoncé avec tambours et trompettes puis abandonné dans la plus grande discrétion. On se souvient également du VRML (Virtual Reality Modeling Language), “un standard ouvert, sorte de plus petit dénominateur commun, adopté par tout le monde et utilisé par personne, souffrant d’un manque de performances et de l’absence d’implication d’un industriel”, résume François Dujardin chez Virtools.La 3D sera-t-elle mise en situation d’échec, faute de prix raisonnables et d’un manque d’intérêt de la part des grands éditeurs ? Pas sûr. L’émergence des marchés du jeu, des set top box, des téléphones portables 3G et des PDA pourrait bien favoriser l’usage de la 3D et, à terme, susciter l’engouement des éditeurs. Preuve en est la stratégie de Macromedia, qui présentera en mars la sixième version de Flash, Flash MX, qui devrait posséder un moteur 3D.
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