Je me souviens de la fin de l’année dernière avec honte. Nous autres, journalistes, avions joué les Cassandre. ” Le bug aura lie
u “, pas question de rater ça. Nous échangions nos scénarios catastrophe avec une jubilation anxieuse, comme les gosses s’échangent des images dans la cour de récréation. Le 1er janvier, nous nous sommes réveillés avec une monstrueuse gueule de bois.Le bug n’avait pas eu lieu, les voitures démarraient, les trains roulaient, les avions ne s’écrasaient pas, les téléphones mobiles sonnaient plus fort que jamais. Nos mises en garde jaunissaient dans nos articles comme du vieux champagne qui s’évente dans les verres. J’avais recommandé à mes proches de se pourvoir en argent liquide et en eau minérale. C’était moi qui nageais, somme toute. Pourtant, à regarder ce qui s’est passé durant l’année 2000, j’en viens à penser qu’il a eu lieu, le bug.Bien sûr, personne n’a voulu l’appeler comme ça. Mais je ne vois pas d’autre moyen d’expliquer les choses. Pourquoi donc des start-up survalorisées, portées au pinacle par les investisseurs, se retrouvent-elles en dépôt de bilan ou presque ? Pas possible de l’expliquer autrement que par un bug. Et lorsque les grands de l’industrie informatique annoncent une révision à la baisse de leur chiffre d’affaires ? Ces gens sérieux, conseillés par des analystes très compétents, n’auraient pas raconté n’importe quoi à leurs actionnaires. Sûrement un plantage informatique.Et la course aux licences de téléphonie mobile de prochaine génération ? Elles devaient rapporter des milliards aux Etats. Ce fut le cas pour le Royaume-Uni et l’Allemagne, puis plus rien. Un dysfonctionnement ?” vous dis-je ! ?”, qui a fait se dissoudre des milliards d’euros dans les réseaux ; évaporés. Sans doute le sale coup d’un hacker. Et que le gouvernement français, qui encourage la diffusion de la culture, décide d’adopter le point de vue des majors sur la propriété intellectuelle et propose la taxation des CD vierges et l’interdiction de la vente de certains DVD en France ? C’est forcément un ordinateur qui s’est trompé. Saleté de bug !Remarquez, il y a au moins une autre hypothèse : le bug se situe à un autre niveau. La technique, que l’on désignait coupable fin 1999, a finalement bien rempli sa tâche. En revanche, les discours ont constitué le point faible de la chaîne, ceux qui tiennent à l’argent en particulier. La masse de profits devinables derrière les nouvelles technologies fait tourner les têtes et déblatérer les langues. A haute vitesse. Analystes, financiers, hommes de marketing ont vécu l’effet overclocking.Cette pratique consiste à faire fonctionner un processeur à une fréquence supérieure à celle pour laquelle il est prévu. Ça améliore les performances à moindre coût, à quelques risques près. Un processeur ” overclocké ” chauffe. Lorsqu’il chauffe trop, il s’y produit des bugs. Lorsqu’il chauffe vraiment trop, il fond ou alors il prend feu. On l’a échappé belle !Les discours dominants ont suivi avec peine la montée en puissance des technologies. Ils se sont égarés en simplifiant à l’extrême le propos : “ On va gagner plus d’argent, et pour le reste, on fait tout comme avant ! Les grandes entreprises décident, la Bourse tranche, les Etats disent le bien et le mal.” Manque de pot, pour comprendre ce qui se passe avec les technologies de l’information, il ne suffit pas de parler plus vite, il faut d’abord faire évoluer la pensée.Il est bien triste, le bug de lan 2000. Vous ne croyez pas ? Prenez votre temps.Prochaine chronique le jeudi 4 janvier 2001
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