Si l’année 2009 a été marquée par une forte croissance des réseaux sociaux, l’ampleur du phénomène ne se dément pas en 2010. Les chiffres publiés par le cabinet InSites Consulting sont, à ce titre, édifiants. En effet, 72 % des internautes font partie d’au moins un réseau social, ce qui correspond à 940 millions d’utilisateurs à travers le monde. Le plus populaire d’entre eux, Facebook, compte plus de 400 millions d’utilisateurs (dont 15 millions en France), soit 51 % des internautes. Il est suivi par MySpace (20 %) et Twitter (17 %). Ces réseaux tissent sur la Toile un incroyable entrelacs de connexions, relations, échanges, qui relient les internautes entre eux. Une multitude de relais tant privés que professionnels qui sont devenus le creuset d’un nouveau ferment de communication. Des milliards d’informations y circulent ? textes, images, photos, vidéos, liens, etc. ? dans un bouche-à-oreille électronique massif et ultrarapide. L’internaute est à la fois lecteur et/ou diffuseur de contenu, relayeur d’opinion, prescripteur au sein d’une communauté élargie, qui consomme de l’information tous azimuts. “ L’information prend un virage social : les gens découvrent des contenus grâce aux publications de leurs amis, et peuvent les commenter ensemble. Le fil d’actualité permet de prendre connaissance des contenus en temps réel ”, souligne un responsable de Facebook US. La puissance de pénétration que constituent ces relais tend à influer sur les comportements et les manières de consommer. Au point de surpasser le quatrième pouvoir exercé par la presse et les médias traditionnels ? L’avenir nous le dira assez rapidement. Ce nouveau pouvoir n’a pas échappé aux fondateurs mais également aux utilisateurs de ces réseaux sociaux.
Les apéros géants
25 mars 2010 : 4 000 personnes se réunissent, à Rennes, pour un apéro géant lancé par le réseau social Facebook. Un événement semblable est organisé le 12 mai à Nantes, le 13 mai à Montpellier, où chaque rendez-vous rassemble plus de 9 000 personnes. Après les flash-mob, ces mobilisations éclairs dans la rue ou un lieu public, les apéritifs géants marquent le passage à grande échelle d’une communication virtuelle à un acte bien réel, qui se répercute à travers toute une communauté. Plus pernicieuse est la mobilisation de lycéens et collégiens, orchestrée le 10 mai autour d’un rapport de l’institut Montaigne sur les rythmes scolaires. L’information est sciemment relayée sur les réseaux sociaux de manière tronquée, erronée, sans que nul ne puisse découvrir l’origine du message. “ C’est le cas type d’un message viral négatif, diffusé dans le but de nuire, où les réseaux sociaux sont utilisés à des fins politiques, comme vecteurs de protestation et de déstabilisation ”, pointe Louis-Serge Real del Sarte, auteur du livre Les Réseaux sociaux sur Internet. Ces rassemblements de foule inquiètent les pouvoirs publics, qui ne peuvent ni les contrôler ni les empêcher, faute de détecter les organisateurs. Selon Simon Tripnaux, blogueur et utilisateur de Facebook et Twitter, “ la viralité de l’information et l’effet amplificateur du média effraient les autorités parce qu’ils ne maîtrisent absolument pas cet outil ”.Le jeune Mark Zuckerberg était bien loin d’imaginer ces phénomènes lorsqu’il fonda Facebook en février 2004, un service en ligne destiné à connecter les étudiants d’Harvard entre eux. Il s’étend rapidement aux autres universités américaines, puis sur Internet. Des communautés d’amis ou des groupes forment sur la Toile un réseau très dense, où l’interactivité joue à fond : débats, commentaires, invitations, sondages ou autres questionnaires animent les pages Facebook. En quelques années le mouvement s’amplifie au point de devenir un vrai phénomène de société. Cet engouement s’étend à la multitude de réseaux sociaux qui fleurissent sur le Web. Des communautés virtuelles se constituent dans tous les domaines : sport, loisirs, culture, activité professionnelle, mouvance politique, religieuse… Elles répondent à la volonté des individus de se rassembler autour d’un thème fédérateur et d’interagir sur le groupe. “ En termes de trafic, ces réseaux apportent une plus-value émotionnelle, qui ne se retrouve pas dans les médias traditionnels ”, reconnaît Simon Tripnaux. Il n’est donc pas étonnant qu’à un moment donné, ces communications virtuelles trouvent un écho dans le réel. “ Je trouve formidable l’idée selon laquelle ces internautes, reliés “ numériquement ” seulement depuis quelques années, puissent se retrouver dans la vraie vie pour partager de bons moments ou soutenir certaines causes. Les réseaux sociaux ont très certainement un rôle “ socialisateur ” aujourd’hui, et plus seulement en ligne, et je pense que nous devons nous en réjouir ”, réagit Christophe Ramel, blogueur très actif sur le Web et via Twitter. Selon Facebook, de plus en plus de personnes utilisent le réseau pour créer des groupes de soutien et mobiliser l’aide aux sinistrés en cas de catastrophe. En France, la page Tempête Xynthia, soutien aux victimes, créée à l’initiative de Rémy, étudiant de 17 ans, a rapidement réuni des dizaines de milliers de fans. De nombreuses initiatives collectives de nettoyage et de collecte de denrées s’y sont depuis organisées.
Tous amis de barack !
La puissance de ces plates-formes prend toute sa mesure avec le développement des réseaux d’influence qui s’organisent à travers ce média. Barack Obama a été le premier homme politique à pressentir leur impact, en confiant à l’un des cofondateurs de Facebook, Chris Hughes, l’organisation de sa campagne sur le Net. Ce dernier a réussi à fédérer 500 000 militants à travers 8 000 groupes, en mettant les internautes au cœur du dispositif de campagne. Ils faisaient office de relais d’audience vers leurs différentes communautés. Le sénateur de l’Illinois comptait à ce moment-là 320 000 “ amis ” sur Facebook (contre 5 300 pour sa rivale Hillary Clinton). Il a également misé sur les réseaux professionnels, en invitant les chefs d’entreprise à donner leur avis sur les mesures qu’il souhaitait mettre en place. Une stratégie qui a porté ses fruits auprès d’une nouvelle génération imprégnée de culture numérique.La plate-forme Orkut est sous un autre aspect très symptomatique du pouvoir d’une communauté sur Internet. Moins connu que son concurrent Facebook, ce réseau social, créé en janvier 2004 par Google, compte 50 millions d’utilisateurs à travers le monde. Sa particularité : les membres sont à plus de 53 % des Brésiliens (26,5 millions de personnes), et à 20 % des Indiens. Ces communautés très géolocalisées se sont littéralement approprié le média, un détournement que n’avait pas prévu son fondateur. “ La singularité de ce type de réseau social, à caractère fortement identitaire, lui donne une dimension nouvelle en termes de pouvoir ”, analyse Jean-François Gervais, expert Web et auteur de Web 2.0 ? Les Internautes au pouvoir. Une popularité extraordinaire, assimilée à un phénomène de société au Brésil, qui génère son lot de dérives : affaires de mœurs, atteintes aux droits de l’homme, incitation aux émeutes dans la capitale en 2006… Les autorités brésiliennes ont sommé Google Brésil de retirer du site les pages incriminées, voire de le fermer totalement. Plus pittoresques sont les demandes des communautés indiennes, qui régulièrement exhortent Google à faire des développements dans des dialectes locaux. “ L’auteur de l’attentat manqué sur Time Square, à New York, avait un profil sur Orkut. Ses amis ont du souci à se faire ”, révèle l’expert.
Le marketing s’en mêle
En plaçant les internautes au cœur de la communication, les réseaux sociaux ont très vite acquis un pouvoir commercial qui n’a pas échappé aux entreprises. Les membres liés par une passion partagée ou un centre d’intérêt commun ne sont pas de simples consommateurs mais également des prescripteurs de tendance. Ils prennent une part active à ce qu’un anglicisme recouvre sous le terme de social shopping, qui se développe sur les plates-formes collaboratives. Ce système de recommandations, relayé par des notations ou l’émission d’avis, sert de référence avant l’acte d’achat. Des sites tels que Tripadvisor, sur lesquels les internautes notent les hôtels, ou Deezer, où chacun peut s’inspirer des influences musicales de ses amis, orientent les choix de ceux qui les consultent. “ À partir de la viralité d’une information issue du Web s’élabore un modèle comportemental, basé sur la confiance en son réseau. Mais l’effet de seuil doit être important ”, précise Jean-François Gervais. Amazon ou la Fnac ont repris les mêmes leviers, en mettant en avant les avis ou commentaires des utilisateurs qui servent de locomotives à la prescription d’un produit. Mais le système est pervers et peut se retourner contre les entreprises. Quand les internautes sont mécontents, ils n’hésitent pas à le faire savoir sur leurs réseaux. Le boycott de certaines marques ou le buzz négatif autour d’un produit ont des répercussions immédiates sur les ventes.Quand la science-fiction rejoint la réalité, le scénario devient plus inquiétant. Celui du film 8th Wonderland, sorti dans les salles au mois de mai, donne à réfléchir. Des millions de personnes, disséminées à travers le monde et déçues par les gouvernements en place, créent le premier Pays virtuel sur Internet. Les citoyens votent par référendum des motions censées améliorer leur existence dans le réel. Cela commence par des actions potaches et finit par des dérives ultraréactionnaire, jusqu’à des actes de terrorisme. Les gouvernements en place sont effrayés : comment combattre les excès d’un pays qui n’existe pas ? “ C’est une manière de montrer la force des actions communautaires issues d’Internet dans la vie réelle ”, résume l’un des coréalisateurs, Jean Mach. Avec les développements de l’Internet, les possibilités de toucher des audiences se multiplient à l’infini. Tous les scénarios sont envisageables sur des réseaux communautaires de plus en plus actifs, dont l’impact va aller en se renforçant avec les applications sur téléphones mobiles. “ Nous vivons une mutation importante. Celle d’un monde qui continue à s’élargir et redéfinit les univers anciens, avec de nouvelles règles du jeu ”, conclut le sociologue Jean-Claude Kaufmann.
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