Derrière la porte à code, la seule du bâtiment qui abrite le programme e-business de Renault, la direction du projet E-véhicule s’affaire depuis le 2 janvier 2001. “Comme nous travaillons en amont du marché, les dossiers des voitures en cours de développement nous passent entre les mains”, explique Bruno Simon, le directeur de projet. Son équipe rejoindra d’ailleurs prochainement le technocentre de Guyancourt, où s’élaborent les nouveaux modèles de la marque au losange.“Le problème posé par la télématique est identique à celui du remplacement de la Safrane par la Vel Satis : il faut précéder les attentes des clients plusieurs années à l’avance”, résume Bruno Simon, qui s’est frotté à cette contrainte à la direction du design. Il se défend pourtant de tout art divinatoire. Pour les futurs services télématiques, il prêche le pragmatisme : “Nous n’avons pas de certitudes sur ce qui pourrait engendrer le volume. Mais il y a bien un marché de niche. Reste à savoir si derrière tout ça se cache un véritable changement de mode de vie.” Prudence de constructeur…
L’auto, un deuxième chez soi
À l’opposé, le cabinet de conseil en stratégie Roland Berger résume en chiffres l’enjeu de la connexion de la voiture à son environnement : le consommateur européen passe, en moyenne, quelque 9 % de son temps dans sa voiture. “Demain, le client n’exigera plus seulement de recevoir de l’information tout au long de la journée, comme la radio le lui permet. Il voudra une continuité de la communication à double sens dans son véhicule, à l’instar de ce qu’il peut obtenir à son domicile ou à son bureau, par téléphone ou sur internet”, admet Hervé Guillot-Tantay, le directeur de la stratégie télématique de PSA.Mais, à la différence de son homologue de chez Renault, concurrent historique et récent allié télématique, Hervé Guillot-Tantay préfère situer la marge d’incertitude sur la question du prix de ces services : “Nous sommes sûrs qu’il y a une attente des clients. En revanche, nous ne savons pas s’ils sont prêts à y consacrer 1, 10, 100 ou 1 000 euros.”Cruciale, la question du prix le sera d’autant plus si ces constructeurs généralistes veulent emboîter le pas du haut de gamme. Mercedes ou BMW, dont les critères pour juger une offre “abordable” sont forcément différents, ont pris de l’avance. Dans leur bastion allemand, chacun propose un service d’appel d’urgence, Tele Aid et BMW Assist, couplé avec du télédiagnostic pour le premier, avec un centre d’appel qui fait office de concierge comme dans les grands hôtels pour le second. Renault et PSA ne sont pourtant pas complètement novices. En 1999, le premier avait lancé Odysline, un service embarqué de guidage et de dépannage par téléphone, mis en sommeil faute d’un nombre suffisant de clients. De son côté, depuis mai 2000, Citroën a vendu 400 exemplaires de sa Xsara Auto PC, série limitée munie d’un système de navigation permettant l’interactivité avec un centre d’appels.
En route vers la grande série
Mais aujourd’hui, alors que la dernière version d’Auto PC est devenue une option sur certaines Xsara et sur la récente C5, l’interactivité est passée à la trappe. “Si les marques haut de gamme commencent à vendre effectivement leurs services télématiques, la question qui se pose est de savoir comment faire décoller le marché pour la gamme intermédiaire”, explique Max Blanchet, directeur associé en charge du secteur automobile du cabinet de conseil Roland Berger. “Le prix pourrait être un élément déclencheur d’un marché de masse”, affirme-t-on chez un constructeur, en situant le seuil psychologique à 1 000 euros. Or, pour un simple système de navigation embarqué, il faut aujourd’hui en débourser plus de 1 500, voire le double pour les plus perfectionnés. Somme à laquelle s’ajoute l’abonnement éventuel à un service télématique. Odysline coûtait 30 euros par mois.
Déplacer les coûts du véhicule
Les services télématiques portent en fait en germe la promesse d’une baisse des prix du véhicule lui-même. “Les futurs équipements technologiques seront 50 % moins chers à l’acquisition, car la télématique permet de transférer l’intelligence, jusque-là embarquée dans le véhicule, vers des serveurs externes”, promet Olivier Lahaye, directeur de la division solutions télématiques personnelles de Motorola Europe.Aujourd’hui, le coût d’un système de navigation inclut celui du lecteur de CD-Rom mis aux normes automobiles, censé lire la carte numérique, auquel il faut rajouter celui de la carte elle-même, 150 euros par exemple pour le volume France édité par Via Michelin, puis celui du système de localisation GPS, qui positionne le véhicule sur la carte avant de calculer un itinéraire, quelque 225 euros au bas mot. De surcroît, le tout nécessite un ordinateur de bord doté d’un processeur puissant et d’une mémoire étendue. Au-delà du prix, la nature de l’offre est tout aussi déterminante. Or la voiture communicante détient potentiellement une large palette de services. “La télématique permet par exemple d’avoir accès à des informations qu’il est problématique de stocker dans la voiture, sous peine de se contenter d’une information qui est faisandée, lorsqu’on veut la consulter”, explique Bruno Simon, de Renault. Ainsi, la pertinence d’un système de navigation ne dépend plus de la mise à jour du CD-Rom embarqué.“De plus, il est possible d’aller chercher une information précise en réponse à une requête spécifique”, poursuit-il. Cette collecte d’informations peut être effectuée via un centre d’appels, directement dans une base de données ou grâce à un navigateur internet. Et elle peut être lancée aussi bien par le conducteur, pour un calcul d’itinéraire ou la gestion de son agenda, que par les passagers pour du divertissement. Le véhicule peut lui-même lancer une requête, par exemple pour se renseigner quant à une éventuelle perturbation du trafic sur l’itinéraire prévu, la réponse revenant sous forme de SMS, lu vocalement au conducteur ou directement traité par l’ordinateur de bord.Mais les prix ont beau être annoncés à la baisse et les futurs services séduisants, la voiture communicante n’a pas gagné la partie. “Il reste des incertitudes sur l’impact de la régulation, qui pourrait se piquer d’encadrer l’installation et l’usage des supports de communication dans la voiture”, met en garde Max Blanchet, de Roland Berger. Les études sont plutôt alarmistes : les tests réalisés en mars par le Transport Research Laboratory, en Angleterre, montrent que le temps de réaction d’une personne qui passe un coup de fil au volant est environ 30 % supérieur à celui d’un conducteur ayant dépassé le taux légal d’alcoolémie. Dans le même ordre d’idée, il est difficile d’empêcher un particulier de fixer son PDA sur le tableau de bord afin de le consulter en roulant, mais le risque est grand de le voir se transformer en obus lors du déclenchement de l’airbag. “Cette question de l’intégration du téléphone et des équipements télématiques est du ressort du constructeur, comme tout ce qui se passe dans l’habitacle, et c’est notre spécialité que de gérer l’interface homme-machine”, insiste Bruno Simon, de Renault.
Un véhicule à choyer
Le véhicule n’est en fait pas près de devenir un simple périphérique, pouvant évoluer à merci sous couvert de connectivité. “Les normes appliquées dans l’auto sont en fait plus contraignantes que dans l’aéronautique. La vente d’un avion est assortie d’un programme d’entretien draconien et intensif, souligne Olivier Lahaye, de Motorola. Une fois livré, le niveau de sécurité d’un véhicule doit se maintenir pendant des années.” Sauf que les constructeurs ont bien l’intention de profiter de la télématique pour rappeler à leur client combien l’entretien d’un véhicule est important. Sil est fait dans leur réseau de distribution, cela va sans dire.
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