Passer au contenu

Laurent Petitgirard (Sacem)

‘ Les créateurs ne se battent pas seulement pour leurs revenus, mais avant tout pour leur indépendance… ‘

Bonsoir à toutes et à tous, nous sommes très heureux de recevoir Laurent Petitgirard, ancien président du conseil d’administration de la Sacem. Il répondra à toutes vos questions sur le thème ‘ Droits d’auteur,
ce que la loi va changer ‘.



Bonjour. Bienvenue à toutes et à tous, je me réjouis de répondre à vos questions sans aucun tabou.sparton : Pour l’instant, quelle est la loi en vigueur concernant les téléchargements ? Alain : Bonjour ! Pouvez-vous nous faire un petit point sur la loi. Le texte est-il voté définitivement ? Quel est son
contenu exact ? D’avance merci de vos précisions.



Le vide actuel explique la nécessité d’une loi mais il est clair qu’actuellement, le téléchargement pratiqué via le P2P est dans sa grande majorité illégal et donc susceptible d’être pénalisé.Dorian : Bonsoir Laurent, la technologie peer-to-peer est intéressante, mais elle occasionne actuellement une perte financière pour les musiciens. Quelles solutions pourraient être envisagées pour contrôler, les
rétribuer ?



Il faut bien préciser ce que vous entendrez par musicien, auteur ou interprète. Il y a une grande différence : le droit d’auteur est généralement la seule rémunération d’un auteur (différée, en plus), c’est pour cela que nous sommes
très attachés à un système de site payant, ce qui n’empêche pas d’exiger l’interopérabilité.Thomas : Quelle est votre activité maintenant ?


Je compose mon deuxième opéra, Guru, je suis le directeur musical de l’orchestre Colonne, dont je suis le chef permanent. Et j’écris également des musiques de films, ce qui me permet de produire mes ?”uvres contemporaines. Le prochain
film à sortir étant Un ami parfait, de Francis Girod, en avril 2006.Lowground : Pourquoi la traque du P2Piste et pas celle de celui qui va emprunter les dernières nouveautés musicales dans une médiathèque ??? Où est la différence ?


Le disque présent dans une médiathèque a été payé et a généré des droits qui sont répartis au centime près à chaque auteur ou interprète concerné. Et en plus, le disque peut être retiré si ses auteurs le souhaitent.gamep : N’y a-t-il pas une grande hypocrisie à dénoncer le P2P alors que chaque fabricant de disque dur, lecteur MP3 ou clé USB paie une taxe sur la copie privée censée rémunérer les auteurs ?


Les quantités ne sont pas comparables et vous parlez d’une redevance et non d’une taxe. La part des auteurs sur un CD vierge est environ 15 fois plus petite que celle sur un CD du commerce. En plus ces sommes sont réparties par
sondages, ce qui pénalise les petits. Ce qui est possible pour la copie privée, qui ne représente que 2 ou 3 % des droits des auteurs, serait impossible pour répartir la majorité des droits. Nous tenons absolument à ce que les auteurs les plus
modestes touchent leur part, aussi minime soit-elle.philippe : Le système de licence globale ne permet donc pas de rémunérer chacun ?


Question complexe. Tout d’abord, la perception : beaucoup moins d’argent sera récolté. Ensuite, l’internaute qui téléchargeait 6 titres pour 6 euros dans un mois pourra en télécharger 100, 200 ou plus. Sur les milliards de
téléchargements, les techniques de sondages vont élaguer tout ce qui n’est pas énorme. Sous prétexte de contrer les majors, il n’y a qu’elles qui survivront. Enfin, la part de la musique française va mécaniquement tomber.
Lorsqu’un internaute aura téléchargé 2000 titres dans son année, la proportion de titres anglo-saxons sera inévitablement énorme. Non seulement il y aura moins de recettes, mais une beaucoup plus grande part de celles-ci ira à l’étranger.hubsm : Comment les USA gèrent-ils le problème du P2P ? Est-ce un exemple ?


J’ai toujours du mal à citer les Etats-Unis comme exemple dans de nombreux domaines. Mais on peut se référer à un arrêt récent de la Cour Suprême qui a condamné Grokster et idem, à Sidney, pour Kazaa.Fincha : Que fait-on de la chance qu’on laisse aux artistes de l’ombre de se faire connaître réellement ?


Il est très important de ne pas confondre les problèmes et je vais prendre quelques lignes pour préciser ma pensée. La stupidité du monde médiatique, l’abrutissement programmé de certaines diffusions et l’abêtissement progressif des
‘ produits ‘ culturels me navrent autant que vous, mais cela n’a rien à voir avec le droit d’auteur proprement dit. La Sacem a une action culturelle en amont, elle incite par ses différents programmes de soutien les
producteurs à prendre des risques et à défendre des musiciens originaux. Mais une fois les ?”uvres diffusées ou distribuées, la Sacem se doit de répartir avec précision et donc de correspondre à la réalité économique de la diffusion.Fincha : Je ne confonds pas les problèmes, c’est bien à ces ‘ petits ‘ auteurs qu’on veut prendre les droits, non ? C’est bien eux qui sont menacés ?


C’est exactement l’inverse. Le droit exclusif (qui correspond aux ventes sur les sites légaux) permet de rémunérer les plus petits. Celui qui a été téléchargé 137 fois, touchera sa part des 7 centimes d’euros réservés aux
auteurs, compositeurs et éditeurs sur chaque téléchargement. Ce sera minime, mais précis. Le même, dans le cadre d’une licence rémunérée via les sondages, n’apparaîtra pas.NEMROD34 : Ne pensez-vous pas que les DRM vont donner l’effet inverse, voir le dernier CD de Coldplay, pratiquement inécoutable dans 2/3 des machines…?


Tout ce qui dans les DRM nuit à la compatibilité entre machine est à revoir, corriger et supprimer. Ce qui nous intéresse, c’est de faire respecter le droit des auteurs à une rémunération proportionnelle au succès de leurs ?”uvres et non
pas de gêner les mélomanes avec des pièges techniques.VendeurDeRêves : Des études montrent que les ‘ pirates ‘ ne diminuent pas leur consommation de biens culturels parce qu’ils téléchargent, et bien au contraire. L’argument pronostiquant la mort de
l’industrie du disque n’est-il pas un peu obsolète ?



En mars dernier, alors que j’étais encore président du Conseil d’administration de la Sacem (composé de six auteurs, six compositeurs, un auteur vidéo et six éditeurs) j’ai pu constater que nous avons perçu et réparti, en 2004, au titre
des droits sur les ventes de CD, exactement 25 % de moins qu’en 2003. Vous pouvez me proposer toutes les études contradictoires financées par des organisations de consommateurs, je vous parle, moi, d’un chiffre brut et incontestable. Même si
l’on considère qu’il y a une érosion du support, elle ne peut en aucun cas correspondre à une baisse 25 %.alohalio : Que va devenir l’autorisation du téléchargement sur les webradios ?


C’est un problème très différent, puisqu’il s’agit là d’un acte clair de copie privée autorisée. La webradio diffuse des CD qu’elle a achetés, donc ‘ licites ‘. L’internaute ne met pas à la disposition du monde
entier ce qu’il a téléchargé, mais l’utilise pour son agrément personnel, dans le cadre familial. Il n’y a donc aucun problème.maureen : Pensez-vous que le téléchargement illégal doit être puni par la loi ?


Votre question est intéressante, car vous juxtaposez ‘ illégal ‘ et ‘ puni ‘. Si vous entendez la prison, non, sauf pour un pirate professionnel qui en ferait commerce. Mais je suis
partisan de messages d’alertes, suivis de réduction de débit, voire de suspension d’abonnement. Au fond, titillons le pécheur via son péché…thomorph : Dans le meilleur des cas, dans combien de temps la loi pourra-elle être mise en ?”uvre ?


Les parlementaires sont un peu dans la mouise… Nous avons déjà beaucoup de retard. Il faut rappeler qu’il s’agit de la transposition d’une directive européenne. Je serai surpris que tout soit bouclé avant cinq ou six mois.fodi : Pourquoi la différence est-elle aussi grande entre le prix d’un CD ou d’une partition et les droits reversés à l’auteur ? Peut-on travailler à améliorer ce point (pour les artistes) ?


Le problème des CD et des partitions est différent, ne serait-ce que par la TVA : 19,6 dans un cas, 5,5 dans l’autre. N’oubliez pas les marges des intermédiaires, les frais de promotion et de publicité, de plus en plus importants dans
un monde surmédiatisé. Les interprètes, les techniciens, tout se paye. Les interprètes de groupe, représentés par la Spedidam, tiennent mordicus à leur cachet forfaitaire d’enregistrement. A l’inverse des auteurs, ils ne prennent aucun risque et ne
sont pas pénalisés par le P2P. Ne soyez donc pas surpris qu’ils soutiennent des pétitions pour une licence qui leur fournirait des revenus supplémentaires.sparton : Vous ne voyez que les CD mais les DVD, les concerts, vous en faites quoi ???


Le problème est le même : si ce DVD existe, c’est qu’il a été produit et que cet investissement n’existera que si son producteur a une chance de récupérer son investissement.thomorph : Pourquoi n’y a t-il pas consultation des internautes vis-à-vis de cette loi, puisqu’ils sont quand même en première ligne ?


Etant donné le nombre de chats et d’émissions auxquels je participe, j’ai l’impression que beaucoup s’expriment. Mais reconnaissez que si c’est l’avis du public qui compte seulement, tout sera gratuit.fhy : Le piratage est diabolisé dans l’absolu, même pour la personne qui achète ce qu’elle a téléchargé et apprécié. C’était ‘ l’éthique ‘ dans le milieu au départ. Pourquoi ne pas la tolérer et la
mettre en avant (incitations à l’appui) ?



L’éthique est une vertu supérieure qui a deux caractéristiques : elle est exemplaire et particulièrement mal partagée. Pour une personne qui va aller acheter ce qu’elle a téléchargé, dix se flattent de ne plus jamais acheter un CD.BRO : Cette loi ne transforme-t-elle pas de facto le droit d’auteur latin en copyright anglo-saxon ?


Non, c’est la licence globale qui, répartie par sondages, se rapproche des techniques anglo-saxonnes. Maintenir le droit exclusif, c’est précisément affirmer le contrôle de l’auteur sur son ?”uvre et son droit moral.Valentin : Quand on achète un CD, achète-t-on la ‘ galette ‘ ou le droit d’écouter la musique ?


Les deux, mon capitaine, mais vous n’achetez pas le droit de diffuser cette musique en dehors de votre sphère personnelle.Ratiatum : Mais vous utilisez les sondages tous les jours pour répartir les revenus tirés de l’exécution publique et de la copie privée ! Pourquoi donc attaquer les sondages qui sont vos outils quotidiens de
répartition ?



Je conteste : la Sacem répartit à 83 % au programme identifié. Les sondages ne sont utilisés que dans des domaines où l’analyse des programmes coûterait plus cher que les sommes perçues. On les utilise également pour répartir la
copie privée, mais elle ne représente que 3 % de la répartition. Les approximations tolérables pour 3 % ne le sont pas pour la majorité des droits ! Encore une fois, ce sont les petits qui en pâtiront les premiers.maureen : Certes, la concentration croissante pose d’énormes problèmes de diversité et doit être canalisée, mais faut-il rappeler que dans les industries culturelles, par définition, les créateurs ont besoin
d’argent, d’éditeurs, de producteurs, de découvreurs de talent et que le mythe de la ‘ désintermédiation ‘ totale sur l’Internet a bien vécu ?



Ce qui est important c’est de ne pas rompre le lien entre l’investissement artistique et financier sur une ?”uvre et le retour espéré de cet investissement. Pas un producteur ne va prendre un risque en sachant que son seul espoir est le
calcul par sondages d’une redevance dont les internautes seraient, à leur gré, redevables !theri : Pour les artistes sans maison de production ni diffuseur, comment fait-on pour les retrouver sur les catalogues des maisons de disques ? Je ne connais que le P2P pour me faire découvrir ça !


L’artiste sans maison de disque ni producteur est libre, sous réserve de ne pas avoir cédé ses droits, de proposer ses ?”uvres gratuitement sur le P2P. Mais alors, comment sera-t-il financé ? Je ne veux pas devenir le produit
d’appel de telle ou telle entreprise sous prétexte que tout doit être gratuit. Vous devez comprendre que les créateurs ne se battent pas seulement pour leurs revenus, mais avant tout pour leur indépendance et leur possibilité de continuer à proposer
leurs ?”uvres aux mélomanes.julien : Avec la nouvelle loi, que devient la copie privée ?


Elle est parfaitement protégée et aucunement remise en cause. Par contre, les DRM sont autorisés pour en limiter les abus. N’oubliez pas que la copie privée est autorisée ‘ dans le cercle de famille ‘. Il ne faut
quand même pas considérer toutes les familles comme Jean-Sébastien Bach et ses 23 enfants…utopiaste : Mais si dans le cadre de la copie privée on contourne des DRM, est-ce que nous sommes considérés comme pirates ?


Disons comme corsaire…Entre 2 : De nombreux auteurs, compositeurs et interprètes se sont montrés favorables au P2P, et pas des moindres !


La grande majorité sont des interprètes de groupe qui, comme je l’ai indiqué avant, ont tout à gagner car ils touchent un salaire forfaitaire. D’autres ont redouté ces amendements très mal rédigés, je le reconnais. Mais à voir le succès
remporté actuellement par la pétition lancée par les auteurs sur le site de la Sacem (sacem.fr) je pense que l’immense majorité soutient cette loi.fhy : La copie privée EST menacée par cette loi, c’est un fait. Les DRM limitent parfois drastiquement les possibilités d’archivage ! phi : Dans quel article de loi la copie privée est-elle sujette au principe du
cercle familial ?



Dans son article fondateur, dans la loi de 1985. Qu’un système vous empêche de faire 20 copies me semble naturel. Qu’il vous empêche de lire sur votre autoradio le CD que vous avez acheté est anormal et imbécile.Red_XIII : Que vont changer selon vous les normes UMTS dans l’avenir ? Téléchargement à la demande de son poste de Télévision ?


Tout téléchargement à la demande ne pose pas de problème car il est identifié, facturé et donc réparti au centime près.Merci beaucoup, Laurent Petitgirard. Le mot de la fin ?


Pour qu’il n’y ait pas de confusion, je vous dirai pour finir que : les auteurs, la Sacem et la filière dans son ensemble ne sont pas un seul instant contre les logiciels libres. Nous souhaitons seulement que les éditeurs de P2P
soient placés devant leurs responsabilités. Aucun auteur ne veut être ‘ cher ‘ et il ne s’agit pas ici de protéger des privilèges. Méfiez-vous de ces solutions qui paraissent si simples, si démocratiques, mais dont les
effets pervers seront dévastateurs. Toutes mes amitiés à toutes et à tous.Merci à tous. Rendez-vous la semaine prochaine pour un chat sur ‘ Les moteurs de recherche ‘ avec, comme invité, Olivier Andrieu.

🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.


La rédaction