Après avoir investi près de 55 000 francs et travaillé sans compter pendant un an, un ancien employé de Lastminute qui tient à garder l’anonymat s’est vu licencié pour faute grave : ” Ma faute ? Refus d’obtempérer, propos diffamatoires, et, cerise sur le gâteau, je suis parti un vendredi à 15 heures “, s’amuse-t-il.Amer, il se rappelle l’époque où Lastminute était gérée comme une start-up : ” Nous avions tous des responsabilités, mais, surtout, chaque information était partagée par tous, nous nous sentions tous concernés par le succès de l’entreprise “, se souvient-il.Pour preuve, même les stagiaires investissaient dans Lastminute : ” L’une d’elles, qui ne gagnait rien, a mis 20 000 francs dans l’entreprise. “
Retour au management façon vieille école
En mars 2000, l’esprit start-up est remis en cause par l’arrivée en France d’un nouveau directeur général, Denis Philippon. ” Il a dit qu’il allait calmer ces acharnés du travail que nous étions, arguant que les électrons libres ne font pas bon ménage avec la rentabilité “, ajoute l’ancien employé.Peu après l’arrivée de Denis Philippon est créé un groupe de huit responsables qui a pour but d’encadrer les quelque 40 employés de Lastminute : ” Nous avons assisté à la fin de la communication horizontale.”Cinq mois plus tard, Lastminute rachetait le vendeur de voyages discount Degriftour pour 650 millions de francs. Une clause du contrat stipulait que la direction de Degriftour garderait les rênes du management. Dans un e-mail intitulé ” Jour de fusion.com ou ma nouvelle vie dans un placard “, une salariée de la start-up se rappelle la vague d’enthousiasme, puis la peur et, enfin, le dégoût causés par les conséquences du rachat de Degriftour.Après un discours encourageant de l’équipe de management sur le futur leadership européen de la start-up, “je remarque les trois dirigeants de Degriftour qui arrivent en limousine noire et viennent dire un petit
bonjour aux Netslaves [esclaves du Net, NDLR] avant de filer célébrer l’événement dans un grand restaurant parisien. Vive l’égalité et la fraternité dans le monde de la Net-économie, non ?”
L’eldorado refusé
C’est sans doute sur ce point précis que les anciens employés de la start-up expriment leur amertume : le changement de discours consécutif au rachat et à l’e-krach a cassé la fraternité entre les employés, alors même qu’ils voyaient partir en fumée leurs investissements. Depuis mai 2000, le cours de l’action a été divisé par 5, passant de 2,5 livres à 0,46 livre. Conséquence, plus de compensation financière pour les employés de la première heure.La rationalisation des dépenses par un ” dégraissage progressif indépendant de tout plan social clair ” ne peut être acceptée par des employés qui se sont battus pour le rêve d’un eldorado de la nouvelle économie. “Imaginez qu’on vous présente une émeraude et qu’on vous dise : ce sera bientôt pour toi. Que vous vous battiez pour, puis qu’on vous l’ôte des yeux en expliquant que vous n’y avez plus droit ! “, raconte le premier employé.Sur ce dernier point, Martha Lane Fox, cofondatrice de Lastminute en Angleterre, se veut rassurante : ” Les chances de survie de Lastminute sont bien plus importantes depuis le rachat de Degriftour. Et c’est justement grâce au type de management appliqué depuis août que nous arriverons à atteindre le point mort fin 2002. “
Un problème de discours
Aussi, au nom d’une finance saine qui fera monter les actions au grand bonheur des petits porteurs (donc des anciens employés de Lastminute), la direction justifie l’attitude de ses responsables. Matha Lane Fox estime d’ailleurs que ces derniers sont très respectueux des employés.Mais, à ce niveau, le problème vient de la confrontation d’un rêve de gestion de l’entreprise à la mode start-up avec les réalités d’une structure plus grande qui ne tolérerait plus le partage des tâches et la consultation des employés.Ce que les anciens salariés de Degriftour remettent en cause n’est d’ailleurs pas tant le climat boursier que le discours séducteur et parfois menteur de la direction, qui n’a pas hésité à leur demander confiance pour vendre ses actions mais n’a jamais écouté leurs avis sur la gestion de celles-ci.Aujourd’hui, Laurent Thérézien, directeur de Lastminute pour l’Europe occidentale, quitte la start-up. Comme quoi le management n’est pas non plus toujours d’accord avec sa direction.
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