L’Autorité de régulation des télécommunications est-elle en train de redéfinir ?” imperceptiblement, et presque à son corps défendant ?” les rôles dans le téléphone hexagonal ? En retenant FirstMark Communications et Fortel pour les deux licences nationales de boucle locale radio, l’ART a ainsi déjoué la plupart des pronostics. Sa démarche est d’autant plus inattendue que la totalité des licences régionales de boucle locale a aussi été accordée à des outsiders (Belgacom, BLR Services, Broadnet, Landtel…).
Au-delà de l’identité des lauréats (dont les services d’accès seront, en principe, disponibles au début de 2001), la surprise réside également dans celle des opérateurs… recalés. Le premier d’entre eux, 9 Telecom, filiale française de Telecom Italia, rate d’assez peu la licence nationale, il est suivi de Cegetel et de Tele 2. Le coup est rude aussi pour la filiale de Vivendi, même si cette dernière affirme que ” cela n’affecte en rien [ses] intérêts stratégiques “.
Cegetel et Siris rentrent bredouilles
A la question que tout le monde se posait depuis des mois, à savoir si l’ART, compte tenu des ambitions et du positionnement du numéro deux français du téléphone, pouvait refuser une licence nationale à Cegetel, l’organisme a répondu sans ambiguïté. ” Il s’agissait d’un concours sur la base de critères objectifs, afin de retenir les meilleurs dossiers “, assure Jean-Michel Hubert, son président. Tele 2 figure également parmi les candidats malheureux, malgré sa capacité reconnue à stimuler la concurrence.
Restent enfin les cas de Winstar ?” qui se présentait pourtant comme ” le ” numéro un mondial de la boucle locale radio ?” et, surtout, de Siris. Pour la filiale française de Deutsche Telekom, le revers est sévère, surtout en termes d’image puisqu’elle arrive… avant-dernière dans la compétition pour l’attribution des licences nationales, et finit quinze fois dernière pour celle des vingt-deux licences régionales. En somme, une candidature bâclée, qui tranche avec le positionnement habituel de cet opérateur. Du côté des lauréats, FirstMark et Fortel ont assurément de quoi se réjouir. Le premier, parce qu’il arrive en tête du concours pour les deux licences nationales. Or, l’affaire était loin d’être gagnée. Présenté à la fin de 1999 comme un impétrant essentiellement motivé par des considérations financières (Michael Price, l’un des deux fondateurs de FirstMark, est l’ancien responsable du secteur télécommunications de la banque Lazard à New York), l’opérateur a très habilement retourné la situation. De fait, FirstMark France ?” qui vise en priorité le marché des entreprises ?” rassemble finalement, et fort opportunément, la fine fleur du capitalisme français (Suez Lyonnaise, Bernard Arnault, Rallye Casino et BNP Paribas).
En matière de services, la firme devrait être opérationnelle dans quatre grandes villes (dont Lyon et Bordeaux) d’ici à la fin de l’année. Elle étendra ensuite sa couverture à près de cent cinquante grandes villes, représentant plus de la moitié de la population française, d’ici à 2004, moyennant un investissement global de l’ordre de 5,5 milliards de francs (840 millions d’euros). L’équilibre de ses résultats est prévu en 2004. Au-delà des traditionnels services d’accès (Internet à hauts débits avec des tarifs de 35 % inférieurs à ceux de France Télécom), FirstMark compte aussi concurrencer l’offre de liaisons spécialisées courtes distances, réputées plutôt chères, de l’opérateur public.
Fortel, celui que l’on n’attendait pas
Mais, le choix le plus inattendu concerne celui du second opérateur national. En retenant le consortium Fortel, l’ART a véritablement créé la surprise. Avec son actionnariat atypique (47,5 % Marine Wendel, la holding d’Ernest-Antoine Seillière ; 47,5 % UPC ; 5 % TowerCast, une filiale de NRJ), Fortel n’avait guère de légitimité dans les télécoms, hormis la présence d’UPC, un câblo-opérateur néerlandais, dont les résultats financiers sont assez inquiétants. L’ART ne s’y est d’ailleurs pas trompée mais se veut sereine, en raison de la présence de Microsoft (8 %) au capital d’UPC.
Il n’empêche, le scepticisme reste de rigueur. Surtout lorsque Fortel ?” qui vise essentiellement le grand public ?” assure qu’il est prêt à investir 17 milliards de francs, une somme jugée astronomique, dans l’aventure… Certes, la présence de TowerCast, avec ses nombreux sites d’émission, représente un atout non négligeable. Mais la partie est assurément loin d’être gagnée. ” Etant donné les coûts de déploiement en matière de boucle locale radio, il y a sans doute un marché pour les entreprises, mais certainement pas pour le grand public “, juge France Télécom avec une relative neutralité, puisque l’opérateur s’était, de lui-même, exclu de la compétition.
Les spécialistes l’emportent haut la main
Autre enseignement, et non des moindres, l’ART n’a finalement retenu que des spécialistes de la boucle locale radio. ” La question n’était pas de retenir un généraliste ou un spécialiste, relativise un membre du collège, mais bien de retenir les meilleurs dossiers. ” Néanmoins, sa décision ouvre très sérieusement le jeu avec l’arrivée de nouveaux opérateurs, un peu comme si elle doutait des capacités réelles des acteurs traditionnels (9 Telecom Cegetel, Siris et Tele 2) à véritablement bousculer le dernier bastion du monopole de France Télécom. Même constat pour ce qui est des licences régionales. A l’exception de Belgacom (qui décroche sept régions), ce sont, une fois encore, les spécialistes qui s’imposent. Broadnet (qui compte Microsoft et AT&T parmi ses actionnaires) est celui qui s’en sort le mieux avec quatorze régions. De quoi se constituer un vrai réseau national ?” dans lequel il se dit prêt à investir 2,6 milliards de francs (400 millions d’euros) pour les seules infrastructures ?” dans la bande des 26 GHz !
Avec respectivement huit et sept régions, BLR Services (LD Com, Teligent et Artemis) et Landtel (qui vient de racheter Kertel à PPR) créent aussi la surprise. A noter que la région Ile-de-France et son bassin de douze millions d’habitants ont été attribués à Broadnet et à Landtel.
Les acteurs sont donc en place et la bataille de l’accès hauts débits va enfin commencer. Difficile d’en prévoir l’issue, alors que le dégroupage devrait devenir réalité. Seule certitude : ce dernier constituera un peu la carte de la dernière chance pour les recalés de la boucle locale radio. Un atout qui sera néanmoins difficile à jouer, vu les ambitions des uns et des autres. Deux ans et demi après la fin annoncée du monopole, la plupart des concurrents de France Télécom ont encore à faire leurs preuves. Et l’opérateur public ?” fort occupé aussi sur la scène internationale avec le récent rachat de l’opérateur britannique Orange ?” compte les points avec, semble-t-il, une relative sérénité.
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