Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, c’est bien connu. La question se pose donc de savoir si les stratégies de marketing personnalisé ne ciblent pas exclusivement les imbéciles.
En induisant les préférences futures du consommateur, le marketing one to one, méthode très à la mode d’approche individualisée au c?”ur de nombre de stratégies informatiques, repose en effet sur le postulat qu’il n’est pas schizophrène, qu’il ne change pas d’avis comme il respire. Bien entendu, un individu mentalement stable effectue ses choix de consommation de façon rationnelle, cohérente et, donc, prévisible. Le marketing personnalisé lui proposera le dernier livre de son auteur préféré, qu’il pourra lire en fumant une pipe de son tabac préféré, confortablement assis dans son fauteuil préféré, le tout livré en quarante-huit heures sans frais. La vie n’est-elle pas merveilleuse au pays des data warehouses et du marketing one to one ? Merveilleuse, peut-être, mais ennuyeuse, sûrement.
Cible mollement consentante du marketing personnalisé, plus rien ne vous surprendra : ce livre, vous l’aurez déjà lu ; cette pipe, vous l’aurez déjà fumée ; ce fauteuil, vous en conna”trez les moindres rondeurs. Il s’agira d’un ennui pernicieux, car généré par le même et non par le rien, un ennui qui prendra le masque agréable du confort, un ennui d’autant plus dangereux qu’il sera considéré comme un progrès. En s’adressant à la faiblesse de l’habitude, le marketing one to one ne mettra pas longtemps à éteindre la curiosité.
Puisque le différent, l’inattendu, l’original ne seront jamais proposés, ils ne seront jamais préférés à l’habituel, au commun, à l’ordinaire. La personnalité se forme au contact de la diversité, par l’expérience et l’erreur. Proposer inlassablement le même, c’est engendrer une armée de robots. C’est aussi s’opposer à la croissance des enfants et des adolescents en entretenant chez eux, jour après jour, une personnalité infantile. Quelle force de caractère leur faudra-t-il pour s’arracher à un marketing qui les aura veillés comme une mauvaise fée depuis le berceau ! Il aura guidé leurs goûts pas à pas, les maintenant dans l’illusion de l’individualité, mais, pour répondre à un souci de rentabilité, avec un objectif évident d’uniformisation. Le marketing de masse cherche à vendre la même chose à tout le monde, le marketing one to one cherche à vendre à chacun la même chose.
(*) Chronique publiée sur www. 01net. com
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