L’Eurobike 2022, le salon allemand dédié au cyclisme, a été l’occasion de constater une petite révolution dans le monde du vélo électrique : l’arrivée en masse des dispositifs anti-blocage de roues, également appelés ABS. Simple mode de passage ou tendance de fond appelée à durer ? Pour répondre à cette question, nous avons interrogé les principaux acteurs du marché.
L’ABS sur le vélo, ce n’est pas une invention récente. L’industrie du cycle a depuis longtemps tenté d’imiter l’automobile, mais jusqu’ici les solutions proposées n’ont pas rencontré le succès escompté. La faute sans doute à un équipement inadapté à la pratique ou trop contraignant à l’usage. Mais l’explosion du vélo électrique semble avoir changé la donne. Celui-ci rendrait l’installation des systèmes ABS plus facile et, par conséquent, leur développement. En effet, la VAE est sur le point d’imposer une technologie certes pas nouvelle, mais étrangement absente des vélos jusqu’ici.
Blocage de la roue avant, relevage de la roue arrière = accident typique à vélo
Les études d’accidentologie en matière de vélo sont nombreuses et variées, mais toutes s’accordent sur un point : la majorité des accidents intervient dans des situations de freinage. Ainsi, en vélo électrique, 58 % des accidents surviendraient lors d’un freinage et 39 % des chutes seraient causées par le blocage de la roue avant (Empirical Survey on Bicycle Accidents to estimate the Potential Benefits of Braking Dynamics Assistance Systems, International Cycling Safety Conference 2015, Hanovre). En effet, lors d’un blocage de la roue avant pour cause de freinage intensif, on constate généralement une perte d’adhérence (dérapage, voire glissade), et dans les cas les plus graves, le soulèvement de la roue arrière qui peut entrainer une chute par-dessus le guidon, ô combien redoutée par les cyclistes.
Pour éviter ce phénomène, l’industrie automobile a mis au point depuis plusieurs dizaines d’années un dispositif, devenu obligatoire depuis : l’ABS. Son objectif : empêcher le blocage des roues et éviter toute perte d’adhérence. Ainsi, avec un meilleur contrôle du freinage, le risque d’accident est réduit. Il en serait de même au volant d’un guidon si l’en on croit certaines études. En effet, selon une étude réalisée par Bosch, 29 % des accidents de vélo pourraient être évités si les cycles impliqués étaient équipés d’un système ABS.
L’ABS sur les vélos, ça fonctionne comment ?
Le fonctionnement est assez similaire à celui des voitures. Pour éviter le blocage de la roue, le frein n’exerce pas une pression constante sur le disque, au contraire, il procède par plusieurs micro freinages successifs. Pour savoir à quelle cadence il faut libérer du liquide de frein et donc actionner les mâchoires, il est nécessaire de procéder à un calcul. C’est à cela que sert le boîtier d’ABS qui équipe ces nouveaux systèmes.
Les solutions divergent quelque peu d’un équipementier à un autre, mais ont généralement une base commune : un capteur de vitesse est placé sur la roue avant et arrière, il transmet ses informations à une unité centrale qui, elle, correspond avec un actionneur. L’interprétation des différentes données est propre à l’algorithme de chaque solution ABS, mais le résultat final est identique : en fonction de l’analyse des données récoltées, l’actionneur ajuste par intermittence et en temps réel la pression du frein avant et évite ainsi le blocage de la roue.
Concrètement, dès que le système perçoit une différence de vitesse de rotation entre les deux roues, il détermine la quantité d’huile nécessaire à injecter dans la durite du frein pour freiner sans bloquer la roue avant. Dès lors que celle-ci ne se bloque plus, la roue arrière ne peut se lever. Le freinage est également plus doux et plus progressif, ce qui implique parfois un léger temps d’adaptation, en VTT par exemple.
À noter également que le dispositif d’ABS ne peut se déclencher à une vitesse inférieure à 6 km/h et qu’il est nécessaire de disposer d’un affichage lumineux lorsque le système s’active. Ce dernier est intégré dans l’interface de l’afficheur dans la très grande majorité des cas. Enfin, quel que soit le système d’ABS utilisé en vélo, l’utilisateur est libre de le laisser actif ou de le désactiver.
ABS pour vélo : quelles sont les solutions disponibles ?
L’ABS sur les vélos électriques connait un regain d’intérêt récent et pour cause, il fait fi des principaux griefs qui lui sont faits en termes d’encombrement et de complexité. Un VAE étant par définition plus lourd et déjà équipé d’un afficheur, il est en mesure d’intégrer plus facilement un équipement supplémentaire qui n’aura finalement que peu de conséquence sur son poids global.
L’une des références de l’industrie en matière d’ABS sur les vélos s’appelle Blubrake. Il s’agit d’une société italienne fondée en 2015 et qui propose aux différents fabricants des solutions sur mesure. Blubrake dispose de systèmes qui peuvent être adaptés sur les fourches ou directement intégrés dans le cadre, comme sa dernière solution, l’ABS G2. Le Stromer ST5, un VAE suisse premium, sorti l’an dernier, est le premier vélo électrique commercialisé à intégrer cette solution. Mais la marque équipe également d’autres acteurs plutôt haut de gamme tels que Crescent, Bianchi et Trefecta. Ginevra Gargantini, directrice marketing chez Blubrake, explique que l’avantage de la solution italienne est « la possibilité de s’adapter à un grand nombre de VAE, à partir du moment où ils disposent de freins à disques, et d’un afficheur permettant d’indiquer lorsque le système ABS est actif ». Ce dernier point est une obligation légale qui existe également en voiture et à moto.
L’Italien n’est pas le seul sur le marché. SABS, par exemple, dispose de ses propres solutions dont une partie développée pour des freins à patins. Et, depuis cet été, donc, les deux accessoiristes majeurs du vélo électrique, Bosch et Shimano, proposent également « leur » solution.
Pour quel type de vélo l’ABS est-il utile ?
A priori, l’ABS serait un atout pour n’importe quel type de vélo électrique. Que ce soit sur un cycle urbain, un vélo cargo ou même un vélo de route, un meilleur contrôle du freinage, notamment en cas d’urgence, ne peut être superflu.
Les apports de l’ABS paraissent particulièrement intéressants dans le cas des VAE urbains et des vélos cargos. Les deux s’utilisent la plupart du temps en ville, là où les situations de freinage sont récurrentes. Le cargo ajoute à l’équation un facteur poids non négligeable.
Le cas le moins évident est celui du VTT où le mordant et le contrôle total sur les freins ont leur importance. Selon la directrice marketing de Blubrake, le système correspond certes mieux aux débutants, mais pas seulement. En VTT, il peut être nécessaire de bloquer la roue, mais principalement l’arrière, l’idéal reste de maintenir la roue avant en rotation. Si l’impact de l’ABS est moins évident sur un vélo de descente ou un trail, il n’en demeure pas moins intéressant. Des propos là aussi confirmés par Bosch qui pousse cette logique au point de développer des modes de freinage ABS spécifiques à chaque utilisation. Nous y reviendrons.
Comment Bosch et Shimano vont-ils imposer l’ABS sur les VAE ?
Ce qui est intéressant, c’est que les deux principaux motoristes de l’industrie du VAE ont choisi de pousser leur solution ABS au même moment, cet été. Shimano et Bosch ont opté pour des stratégies similaires. L’allemand s’est appuyé sur le spécialiste du freinage Magura, un incontournable du freinage, là où l’accessoiriste japonais a opté pour un partenariat avec Blubrake, le fabricant italien spécialisé dans les systèmes anti-blocage de roues. Pour rappel, Bosch et Magura sont intimement liés puisqu’ils collaborent par ailleurs dans le cadre d’une joint venture. Il semble donc tout à fait logique que les deux entreprises allemandes marchent main dans la main sur ce projet.
Shimano + Blubrake : l’avantage de l’intégration
La solution de Shimano repose entièrement sur le procédé développé par Blubrake. Elle peut être, au choix, intégrée au cadre ou venir se poser sur la fourche. Elle est évidemment disponible pour l’ensemble des fabricants de vélo qui utilisent des motorisations Shimano et offre l’avantage de fonctionner de paire avec les systèmes de freinage de l’accessoiriste japonais.
Cette compatibilité avec un grand nombre de dispositifs de freinage ainsi que la reconnaissance du savoir-faire de Blubrake sont deux avantages évidents de cette solution.
L’autre atout crucial du système de Blubrake utilisé par Shimano, c’est de pouvoir être intégré au cadre, là où la solution de Bosch reste visible et potentiellement endommageable en cas de chute.
Le système de Bosch : plus polyvalent, mais toujours visible
Bosch n’en est pas à sa première tentative pour imposer l’ABS sur les vélos. L’accessoiriste s’était plié à l’exercice en 2018, en s’associant (déjà) à Magura. Trop volumineux, le boîtier à placer sous le guidon n’avait pas rencontré le succès espéré. Mais le système semble être arrivé à maturité aujourd’hui, notamment parce qu’il a gagné en discrétion et en poids.
En effet, la nouvelle solution de Bosch consiste en un boitier de 217g à fixer sur la fourche, il contient le dispositif électronique, relié à un afficheur Kiox qui est présent de toute manière pour piloter l’assistance électrique. Étonnamment, Bosch n’offre pas de solution toute intégrée aux fabricants alors même qu’il dispose d’un équipement similaire dans l’industrie moto qu’il domine outrageusement. Néanmoins, certains fabricants, particulièrement de vélos cargo, pourraient très bien s’essayer à cacher le boîtier. En attendant, c’est sur les fourches de la plupart des vélos concernés qu’il viendra s’accrocher. Et si pour l’instant le dispositif se limite au kit de freinage Magura, Bosch travaille déjà avec d’autres accessoiristes pour rendre sa solution plus compatible.
Malgré ces deux épines dans le pied, Bosch dispose d’un avantage non négligeable sur son concurrent : sa polyvalence. En effet, le dispositif de l’Allemand intègre quatre réglages différents en fonction du type de vélo sur lequel il est adapté. Pour le dire autrement, l’ABS se comportera différemment selon qu’il est intégré à un vélo cargo ou un VTT. Les fabricants auront la possibilité de choisir le nombre de profils de freinage qui seront accessibles à l’utilisateur. C’est probablement la marque Cube qui va proposer les premiers vélos dotés de l’ABS allemand, à priori dès la fin septembre.
L’ABS a-t-il un impact sur l’autonomie ?
Connecté à une unité centrale, à la batterie et à l’afficheur, le système ABS a besoin d’énergie pour fonctionner. De fait, il est possible de se demander si son utilisation peut réduire l’autonomie d’un VAE. Bien évidemment, il est impossible de quantifier précisément l’impact de l’ABS sur la batterie dans la mesure où il est difficile, voire illusoire, de prédire le nombre de fois où celui-ci va s’activer. Qui sait à l’avance combien de freinages d’urgence il aura à effectuer sur son trajet ?
Selon le porte-parole de Blubrake, l’impact sur l’autonomie est assez faible dans la mesure « où le système ABS ne sollicite la batterie que quelques millisecondes, lorsqu’il s’active. Sa consommation est d’environ 100W mais sur des intervalles très courts, ce qui réduit son impact sur la batterie ». Ces propos nous ont également été confirmés par Bosch. Le porte-parole de l’accessoiriste allemand précise également qu’au même titre que l’éclairage, l’ABS fait partie des fonctionnalités pour lesquelles les batteries gardent une réserve d’énergie. Dans le cadre des optiques, on considère par exemple que lorsqu’on arrive à court de batterie, celles-ci peuvent encore fonctionner deux heures, approximativement. L’ABS étant considéré comme essentiel à la sécurité au même titre que l’éclairage, il bénéficie du même avantage.
L’ABS est-il réservé aux cyclistes débutants ?
Comme d’autres évolutions techniques par le passé, l’ABS est parfois taxé d’être un dispositif réservé aux débutants. Bien qu’il s’agisse effectivement d’une assistance au freinage, elle n’est pas seulement utile à ceux qui découvrent ou qui reprennent le vélo après plusieurs années d’arrêt. Il s’agit certes d’une technologie qui permet de rassurer l’utilisateur, mais elle peut être utile au plus grand nombre. Même les cyclistes confirmés sont parfois contraints de réaliser des freinages d’urgence pour éviter un obstacle ou une collision !
Il apparait que quel que soit le type de vélo, la présence de l’ABS peut-être un atout en termes de sécurité. En définitive, l’ABS n’est pas seulement utile aux débutants, mais il peut aider certains à franchir le pas pour prendre la route et d’autres à remonter en selle. En pleine période qui voit d’explosion des ventes de vélos à assistance électrique, ces dispositifs anti-blocage semblent voués à perdurer.
Enfin, s’il fallait faire un parallèle avec la voiture, où l’ABS existe depuis 40 ans ou encore la moto, il conviendrait de rappeler que les arguments contre le système étaient les mêmes que ceux que l’on entend aujourd’hui concernant le vélo. Si son adoption a pu être lente sur l’automobile ou la moto, il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui l’ABS est un équipement obligatoire sur ces deux modes de transport.
Est-il possible d’ajouter un système ABS sur un ancien VAE ?
Avec un système tel que l’ABS la question du « retrofit » se pose comme une évidence. En d’autres termes, les systèmes anti-blocage de roue actuels peuvent-ils être adaptés sur des VAE plus anciens ? En théorie, dans le cas d’un système tel que celui de Blubrake, rien n’empêche de monter un kit ABS à partir du moment où le vélo dispose de freins à disques. Idem pour le système de Bosch dès lors que les freins sont en Magura. Ça, c’est pour la théorie. Dans les faits, cette pratique est tout simplement interdite dans la mesure où elle remettrait en question l’homologation du vélo. C’est ce qui explique la position officielle des fournisseurs d’ABS qui affirment pour le moment que leurs systèmes sont incompatibles avec les anciens VAE.
Néanmoins, chez Bosch on reste attentif aux possibilités de faire évoluer la loi dans la mesure où le processus technique du « retrofit » est largement maîtrisé.
Quel est le prix d’un système ABS ? Fait-il flamber le tarif du vélo ?
Un accessoire de plus, c’est souvent synonyme de quelques centaines d’euros supplémentaires sur la facture, surtout lorsqu’il s’agit d’une nouveauté. Les systèmes d’ABS ne pouvant être vendus seuls, leur prix est fixé par le fabricant. Pour avoir un aperçu du surcoût lié à cet équipement, il suffit de regarder le prix de vente d’un même modèle lorsqu’il est équipé d’un ABS ou non. Après un léger comparatif, il nous parait raisonnable d’affirmer que le prix d’un système anti-blocage de roue se situe entre 400 et 500 euros en fonction de la solution, ce qui est loin d’être anecdotique.
Ce chiffre est à mettre en corrélation avec le prix d’achat moyen d’un vélo en France (environ 2 000 euros) ou en Allemagne et aux Pays-Bas (2 800 euros). Il s’agit d’un surcoût important, certes, mais il a deux vertus difficiles à quantifier : il rend le VAE plus accessible aux débutants. Il améliore la sécurité (voire peut sauver des vies).
Les solutions étant pour l’instant limitées et la technologie somme toute récente sur les vélos, il faudra sans doute patienter quelque temps avant de voir son prix baisser. Pour autant, l’ABS pourrait bien s’imposer dès à présent.
L’ABS sur les vélos sera-t-il un jour obligatoire ?
L’arrivée de l’ABS dans l’univers du vélo est une évolution majeure qui semble appelée à durer. Selon toute vraisemblance, l’ABS devrait se multiplier sur les futurs VAE. Que ce soit sur des vélos de ville, des cargos ou même sur de VTTAE, les dispositifs anti-blocage de roue pourraient cette fois s’imposer au cycliste comme une évidence. Ce qui rend possible aujourd’hui cette évolution, c’est un ensemble de facteurs qui va de la progression des systèmes ABS à leur réduction en poids et en taille. Enfin, l’engouement récent pour le vélo électrique n’est pas non plus anodin et préside au choix des différents acteurs du marché de pousser pour le développement de cette technologie. Néanmoins, aussi pertinent soit-il en termes de sécurité, l’ABS représente encore aujourd’hui un surcoût important dans la conception d’un VAE. Ce frein à son développement, c’est sans doute ce qui empêche encore que l’ABS soit considéré comme une évidence sur un vélo électrique.
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