“Il est créé un service public de la diffusion du droit par l’internet.” L’article 1er du décret publié le 7 août 2002 au Journal Officiel ne manque pas d’ambition. Ce décret prévoit notamment la mise à disposition gratuite d’informations qui concernent a priori tous les citoyens : la Constitution, les codes, les lois et actes à caractère réglementaire. Des textes qui étaient déjà accessibles sur le net à titre gracieux, notamment sur le site Legifrance.com. L’innovation du décret, signé en août par Jean-Pierre Raffarin, réside surtout dans l’annonce de la mise en ligne des décisions et arrêts du Conseil constitutionnel, de la Cour de cassation, du Conseil d’État et du Tribunal des conflits, en attendant celles des cours d’appels.Certes, le nouveau site juridique gouvernemental est opérationnel depuis le 15 septembre à l’adresse Legifrance.gouv.fr. Mais les rédacteurs de son décret de naissance se sont bien gardés d’indiquer la date à laquelle les jurisprudences seront consultables sur le réseau. Car, au-delà de la volonté politique, son arrivée sur la toile risque tout de même de buter sur des problèmes matériels.À titre indicatif, les 27 cours d’appel françaises rendent chaque année quelque 250 000 arrêts, qui comportent chacun de quatre à soixante-dix pages tapées à la machine à écrire. Comment fait-on pour les numériser ? La solution serait sans doute de ne pas présenter l’intégralité des décisions effectivement prononcées. Mais alors, qui se chargera d’effectuer le tri et selon quels critères ? Le décret précise que le site internet reprendra les arrêts et jugements “des juridictions administratives, judiciaires et financières qui ont été sélectionnés selon les modalités propres à chaque ordre de juridiction “. Comprenne qui pourra…
Des licences à titre gracieux
Autre point non réglé par le décret du 7 août : la question de la rémunération. En effet, depuis une trentaine d’années, le Conseil d’État et la Cour de cassation arrondissent leurs fins de mois en commercialisant leurs arrêts auprès d’éditeurs privés. Des sommes qui échappent même au contrôle de la Cour des comptes. Quid de ce régime, alors que l’article 4 de la nouvelle réglementation prévoit que “les licences sont accordées à titre gracieux “. D’ailleurs, les professionnels du droit s’attendent à faire effectivement des économies. “La possibilité de consulter en ligne l’intégralité des archives de la Cour de cassation et du Conseil d’État devrait à terme nous faire économiser environ 10 000 euros par an, et un millier d’euros en ce qui concerne l’accès aux documents d’actualité”, estime Jean Gasnault, directeur de la documentation chez Gide Loyrette Nouel, l’un des principaux cabinets d’avocats français.La baisse du coût des technologies et la multiplication des clients contribuent aussi à baisser la facture. “Le prix à payer pour diffuser les données du recensement de 1999 a été divisé par dix par rapport à celui de 1990”, estime Michel Jacod, le directeur de la diffusion et de l’action régionale à l’Insee. Une économie appréciable, dans la mesure où l’institut de statistiques procède, sans véritable logique de profit, à la rediffusion de données publiques depuis une vingtaine d’années, et que le produit de ces ventes ne représente que quinze millions d’euros. Peu de chose au regard de ses 259 millions d’euros du budget annuel.Last but not least, reste à savoir comment résoudre le problème de l’anonymat des décisions de justice : afin d’éviter que, par la simple mention d’un nom propre sur un moteur de recherche, on puisse retrouver les pièces judiciaires et dans lesquelles un patronyme est cité. Car si les décisions rendues récemment ne mentionnent pas les noms, ce n’est pas le cas du stock des années passées. Selon la loi, la Cour de cassation et le Conseil d’État disposent dorénavant de deux ans pour biffer l’identité des parties pour les contentieux qui remontent aux années quatre-vingt. Il est intéressant de noter que les États-Unis n’ont pas opté pour l’anonymat des actes de justice.Cette mise à disposition de l’information juridique devrait inciter les éditeurs privés à améliorer la qualité de leur offre. “Ceux qui se contentaient de reprendre le contenu du “Journal Officiel” ne pourront plus le faire sans apporter de valeur ajoutée, prévient Pierre Seydoux, rédacteur en chef du Recueil Dalloz, l’une des revues juridiques de référence. Ils devront y ajouter par exemple des jurisprudences ainsi que des analyses de doctrine rédigées par des experts ou des universitaires.” Une perspective que réfutent par avance les opposants à cette mise à disposition plus ou moins gratuite d’informations, et à la compilation des décisions de justice. “L’article 5 du Code civil est formel, insiste cet habitué des greffes des tribunaux de commerce. Le droit français précise bien qu’aucun magistrat n’est lié par une décision rendue précédemment par un tribunal dans un cas similaire. Contrairement au régime anglo-saxon qui fonde son modèle juridique sur la jurisprudence déjà existante. Alors à quoi bon les mettre sur le réseau ?” Pourtant, si le net pouvait contribuer à un peu de transparence, cela vaudrait la peine d’essayer.
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