Il y a quelques années, Nike avait marqué l’histoire du slogan publicitaire avec le célèbre “Just do it “. Soudain, la marque s’impliquait dans le mode de vie du consommateur au point de se poser en guide spirituel. Par la suite, les déclinaisons n’ont pas manqué, jusqu’à la fameuse devise d’Apple : “Think different “. Pensez différemment. Ce slogan d’Apple, déconnecté de l’informatique, définissait une attitude générale, à laquelle pouvaient s’identifier les utilisateurs de la marque à la pomme.Aujourd’hui, Apple nous emmène plus loin : le nouvel iBook est “Votre vie à emporter “. Le spot publicitaire présente une multitude d’applications multimédias réalisables avec le portable. Musique, photos, vidéo, communication, agenda : tout est possible.Malgré l’antagonisme ancestral des deux marques, ce film est très similaire à celui de Microsoft consacré à XP. De la même façon, le nouveau système d’exploitation de Microsoft est vendu comme une sorte de boîte à outils numérique avec ce slogan : “Surprenez-vous”.Apple, comme Microsoft, s’adresse directement au consommateur en préjugeant de son adhésion à ce mode de vie numérique. Il y a encore quelques mois, Microsoft s’interrogeait : “Jusqu’où irez-vous ?” Désormais, les deux entreprises considèrent que nous sommes arrivés : nous serions tous devenus des homo numericus. Par conséquent, cela devrait nous sembler naturel que notre vie tienne dans un parallélépipède de 2,2 kg.On nous présente comme un rêve devenu réalité de pouvoir filmer son goûter d’anniversaire avec une webcam, d’ajouter une bande-son en MP3 et un nez rouge aux photos de la grand-mère, de discuter en direct avec le cousin d’Amérique et de stocker le tout sur un CD-ROM à regarder indéfiniment lors des longues soirées d’hiver. La liberté de pouvoir enfin réaliser tous nos fantasmes informatiques est assimilée à la liberté tout court : dans la publicité Microsoft, affranchis de toute contrainte, les personnages volent.Mais aussi fascinantes soient-elles, aussi utiles soient-elles, les machines ne sont que des outils, pas des substituts de la réalité. Un voyage n’est pas plus réductible à quelques clichés en 24 x 36 cm qu’en 1024 x 768 pixels. Le traitement numérique n’est qu’une projection, une réduction plane et aseptisée de la réalité. Personne ne devrait se réjouir d’une telle évolution, qui semble pourtant à l’?”uvre, comme en témoignent ces touristes qui ne regardent plus qu’à travers l’?”il de leur caméscope.Comment accepter que la vraie vie, la réalité d’un individu, d’un lieu et d’un moment, ne soit plus consacrée qu’à enregistrer ? Que l’on n’apprécie bientôt plus les choses en direct, mais différées et déformées par le traitement numérique ? Qu’on ne savoure que plus tard tous ces moments désormais “à emporter “, comme le dit si bien Apple ?Malgré ce qu’essaient de nous faire croire, ou ce que feignent de croire, les vendeurs de technologie, la vie nest pas une extension de fichier. La vie ne sera jamais, espérons-le, la vie.com. Ce serait tellement déprimant…Prochaine chronique jeudi 13 décembre 2001
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