Une caricature futuriste du début des années 80 se moquait du progrès. Elle montrait un homme avec un énorme index à la place de la main. Nous étions devenus des presse-bouton. Aujourd’hui, le même dessinateur pourrait représenter un gros cerveau dans un bocal. Et quelques câbles disgracieux le connectant, en passant par le Net bien sûr, à son entreprise. Nous serions réduits à l’état de pompe à information. Eh bien, fort heureusement, sans les dix petits doigts experts d’opérateurs(trices) de saisie dévoué(e)s, le plus beau progiciel de gestion intégré serait à peine plus utile qu’un clavier sans touches.Comme beaucoup d’autres, cette PMI spécialisée dans le prêt-à-porter l’a appris à ses dépens. Rassurée que ses employés n’aient plus qu’un cerveau ?” et au mieux un doigt ?”, elle a oublié le sien en s’équipant d’un système très sophistiqué de gestion des stocks. Le principe ? Le responsable logistique peut savoir, à tout moment, où se trouve telle palette de tissus, si elle a été reçue en entrepôt, si elle a été livrée en magasin, etc.Détail qui n’est pas sans importance : si aucun des télépathes de l’entreprise n’est capable d’annoncer l’arrivée d’une palette, celle-ci n’apparaît jamais sur aucun des écrans prévus à cet effet…Alors où est-elle ? Impossible à savoir. Le logisticien se gratte le cerveau avec son bel index. Il regrette le temps où ses entrepôts étaient remplis de palettes invisibles. C’était le chaos, mais c’était normal, c’était 68, quoi. Il pense sûrement qu’il devient fou puisque tout le monde ?” son patron, les informaticiens et l’éditeur du fabuleux progiciel ?” lui a assuré qu’il verrait, en temps réel, les flux de marchandises sur son écran. Une belle image fluviale. La ” traçabilité “, qu’on lui avait dit.C’est dans cette détresse que l’opérateur(trice) pointe le bout de ses battoirs pleins de doigts. Une hérésie de l’évolution de l’homo-automaticus. Il (elle) s’avance, saisit les références de la palette qui vient d’être déposée dans l’entrepôt, et sauve du même coup le logisticien de la démence.Dans la réalité, notre petit industriel du textile s’est pris une claque beaucoup plus rude. Un progiciel dont le déploiement lui coûte plus de 3 millions de francs, matériel compris. Lui qui n’a pas de budget informatique défini. Un projet d’environ un an. Pour lui qui vit sur le court terme.Et au final, cette réflexion mi-hésitante, mi-décidée, du responsable de projets : “Il faudrait plus de personnes à la saisie… Nous allons agrandir nos locaux… Nous allons nous doter d’une plate-forme de réception plus efficace.”Une caricature réaliste pourrait représenter un homme muni de quarante doigts, version digitale de Shiva.Prochaine chronique le lundi 25 septembre.
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