L a chute récente de la valeur des titres des entreprises d’e-commerce fait l’objet de plusieurs interprétations. D’abord, nombre d’entreprises du secteur souffraient de modèles d’affaires mal conçus. Ensuite, le marché a fini par réaliser que les coûts du commerce électronique allaient être plus importants qu’on ne l’avait initialement pensé (par exemple la publicité ou l’entretien récurrent des sites). Enfin, les moteurs de recherche ou de comparaison de prix utilisés sur le réseau des réseaux créent les conditions d’une concurrence féroce.De fait, si les consommateurs sont capables de découvrir aisément les tarifs de tous les marchands, la pression concurrentielle fait tendre les prix vers les coûts marginaux. Si les technologies de production sont à coût marginal constant, mais nécessitent des dépenses fixes, les entreprises ne parviennent pas à recouvrer ces dernières. Les comparateurs de prix vont-ils nous faire tendre vers la concurrence parfaite, si chère aux économistes, en éliminant les frictions imputables à l’information imparfaite dont disposent les consommateurs ?Une étude récente du MIT, présentée à la conférence sur l’industrie du logiciel, organisée en janvier par l’Institut d’économie industrielle de l’université de Toulouse, apporte de passionnants éléments empiriques sur cette question. Glenn Ellison et Sara Fisher Ellison ont étudié les comportements des internautes américains qui achètent des barrettes de mémoire pour ordinateur via le site Pricewatch. Selon les chercheurs, ces acheteurs manifestent une sensibilité extrême au prix, avec une élasticité prix de la demande estimée à 50. Autrement dit, une diminution de 1 % du prix donne lieu à une augmentation de la demande de 50 %. Un record en la matière.
Piéger le consommateur
On peut néanmoins s’attendre à ce que les entreprises, dont les profits sont écrasés par cette concurrence presque parfaite, développent des stratégies de défense : des stratégies de brouillage (“obfuscation “), précisent les auteurs de l’étude, qui ont observé que les entreprises présentent souvent des produits de faible qualité, à très bas prix, pour attirer le client vers leur site. Ensuite, elles tentent de les convaincre d’acheter un produit de meilleure qualité, mais nettement plus cher.Cette stratégie n’est pas facilement déjouée par un moteur de comparaison de prix. Et si on lui apporte plus de sophistication, le marchand s’adaptera, et rendra sa stratégie encore plus complexe. S’ensuit une course effrénée entre l’amélioration des comparateurs de prix et les stratégies de brouillage des entreprises. Quelle sera l’issue de ce phénomène de surenchère ? Difficile à dire, si ce n’est que pour des produits simples et uniquement définis, l’avantage sera probablement du côté des consommateurs. Pour les produits plus complexes, en revanche, les entreprises pourront sans doute maintenir une incertitude coûteuse sur la distribution des prix.De fait, en étudiant la demande de modules mémoire de haute et moyenne qualité, Glenn Ellison et Sara Fisher Ellison obtiennent une élasticité prix croisée négative pour ces biens. Traduction : une diminution de prix des barrettes mémoire de moyenne qualité conduit à une augmentation de la demande des modules de haute qualité. Un résultat surprenant, car on s’attend à une élasticité croisée positive pour des biens substituts. Il peut toutefois s’expliquer par la stratégie de brouillage. En abaissant le prix du bien de qualité moyenne, on ne diminue pas la demande du bien de haute qualité. En effet, on attire davantage de clients sur le site. Des chalands qu’on convainc ensuite d’acheter un produit de meilleure qualité.*Professeur à l’université des Sciences sociales de Toulouse, au sein de laquelle il dirige l’Institut déconomie industrielle.
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