- Interview exclusive du producteur de Devil’s Third, le prochain jeu du créateur de Ninja Gaiden
- La sphère japonaise du jeu vidéo est morte
- Devil’s Third : un point sur le jeu
- Systèmes de combat, de jeu et date de sortie
01net. : Vous avez eu l’occasion de connaître M. Itagaki sous deux « angles » très différents. En tant que journaliste spécialisé dans le jeu vidéo, puis en tant que collaborateur et producteur de son nouveau projet pour THQ. Comment décririez-vous ces deux expériences ? A quoi ressemble une collaboration avec cet homme décrit comme un excentrique très créatif ?
Arnaud Frey : Il est vrai que ma première rencontre avec M. Itagaki remonte à plus de dix ans, c’était lors d’un événement presse organisé pour la sortie de Dead or Alive 2. Le lendemain de la signature du contrat, j’arrivais dans ma première réunion officielle avec eux. Cela fait toujours drôle de se retrouver dans une telle situation. Qui aurait pu dire il y a dix ans, que nous allions nous revoir, mais surtout travailler ensemble sur un projet commun ?
A l’époque où j’étais journaliste, nous avions eu de vives discussions en matière de game design. En fan confirmé de Virtua Fighter, j’étais notamment assez critique sur la saga DoA (Dead or Alive). Mais aujourd’hui, je peux vous dire que c’est une personne qui veut juste le meilleur, et se donne à 200 % pour donner vie à ses concepts.
Vous savez, et c’est une anecdote authentique : M. Itagaki possède deux types de lunettes. Vous connaissez bien la première paire, celle du créateur un rien tonitruant, haut en couleurs. Mais derrière les autres, ses lunettes « business », Itagaki-san est extrêmement clair et concentré, réaliste. C’est comme si en enfilant cette paire, il se glissait dans la peau d’un businessman averti. Il faut dire que M. Itagaki a un point de vue très réaliste et sans concessions sur l’état de l’industrie japonaise. Il ne pratique pas la langue de bois, il est toujours très direct. Cela peut choquer certains, mais c’est extrêmement utile, une vraie chance, en particulier pour ses collaborateurs. On sait que l’on peut compter sur lui pour s’exprimer sans faux-semblants. C’est une expérience très enrichissante, et l’on apprend beaucoup à son contact.
01net. : M. Itagaki a jusqu’ici toujours travaillé avec des éditeurs japonais. Quels éléments vous ont mutuellement convaincus de nouer ce partenariat ? Quel a été votre rôle dans les négociations qui ont permis de concrétiser cette alliance ?
Arnaud Frey : Lors de l’E3, M. Itagaki a déclaré tout simplement que la sphère japonaise du jeu vidéo était morte. Hormis Nintendo, qui a toujours maintenu une santé insolente depuis des décennies, et une ou deux exceptions (je pense à Monster Hunter notamment), tous les autres acteurs de la scène japonaise se retrouvent avec des ventes en chute libre, un savoir-faire qui stagne, et en général des jeux bien en retrait technologiquement de ce que peuvent proposer les développeurs occidentaux.
« Le projet ne dort jamais en fait, tout comme moi ! »
M. Itagaki estime qu’il est donc naturel pour survivre de s’allier avec un éditeur étranger, étant donné que le coût des productions a explosé, et que viser uniquement le Japon comme base pour les ventes ne fonctionne plus de nos jours.
01net. : On a beaucoup parlé ces derniers temps, chez Capcom et d’autres, des difficultés de collaboration entre Japon et Occident, éditeurs et studios, etc. Quel est votre point de vue personnel sur la question ? En quoi Devil’s Third est-il un contre-exemple ? Comment décririez-vous la dynamique actuelle, le moral au sein des studios et des autres acteurs du marché japonais ?
Arnaud Frey : Vous savez, Capcom a décrit leur expérience avec Grin sur Bionic Commando comme une « première », au niveau de la relation entre un développeur et un éditeur établis sur deux continents différents.
Juste pour information, cela fait maintenant plus de dix ans que THQ et Yukes (studio japonais) travaillent ensemble sur la série des SmackDown vs RAW (en plus d’UFC, une relation cependant plus récente). Le plus difficile dans ce genre de relations étant de jongler avec le décalage horaire, maintenir le flux des informations, et s’assurer que tout le monde soit au courant des dernières directives. C’est un travail titanesque, car cela signifie qu’il y a toujours quelqu’un dans le monde qui travaille à faire avancer le projet. Le projet ne dort jamais en fait, tout comme moi !
Cela implique naturellement des pipelines de production et l’adoption d’habitudes spécifiques, le développement et l’utilisation d’outils bilingues, etc. Les Japonais ont dans l’ensemble une vision très limitée de l’outsourcing (sous-traitance), qui se résume essentiellement pour eux au fait de confier le développement complet d’un projet à des spécialistes de l’outsourcing comme Tose, qui sont de plus loin d’offrir des services bon marché. Cela a de nombreux effets pervers, que l’on rencontre notamment chez Square Enix. Regardez par exemple ce qui s’est passé avec les derniers opus de Dragon Quest. Square s’est entièrement reposé sur Level-5, et de nombreux postes clés ont disparu ces dernières années. Résultat ? Il semblerait que plus personne chez Square Enix ne sache faire un Dragon Quest. Et c’est maintenant Level-5 qui se retrouve en position de force, dans une situation qui leur permet par exemple de nouer une alliance avec le célébrissime Studio Ghibli sur Ni no Kuni, développant ainsi leur propre variante de Dragon Quest en liaison avec le plus grand studio d’animation japonais !
01net. : Danny Bilson et Itagaki-san ont tous deux confirmé que THQ Core laissait une grande liberté créative à Valhalla sur le développement du jeu. Cependant, il s’agit visiblement d’une étroite collaboration. Quel est exactement le rôle de la division japonaise de THQ dans le développement, et votre rôle en particulier ?
Arnaud Frey : Nous essayons de développer un maximum de nouvelles IP (franchises). Darksiders est un très bon exemple pour les titres récents. Notre rôle chez THQ est de donner le maximum de liberté et de moyens à Valhalla pour qu’ils puissent faire ce qu’ils savent le mieux faire : un titre qui vous scotche devant votre écran !
Notre collaboration apporte de nombreux éléments utiles à THQ. Par exemple, le fait que nous soyons à l’origine de franchises comme HomeFront, RedFaction, ou Company of Heroes, nous permet d’utiliser directement des éléments issus de ces jeux, en faisant ainsi gagner beaucoup de temps à l’équipe d’Itagaki, qui peut ainsi se consacrer à l’essentiel plutôt que de perdre du temps à créer des éléments que nous avons déjà en boutique.
Par exemple, le tank que vous voyez dans la bande-annonce est directement tiré de HomeFront. Nous veillons ainsi à ce que M. Itagaki ait les moyens de ses ambitions. Comme l’équipe de Valhalla est plus expérimentée sur le développement Xbox 360 que PS3, THQ a par exemple fourni des consultants spécialisés sur la PS3, qui viennent ainsi ponctuellement enrichir les ressources du studio pour garantir la meilleure qualité possible.
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