“La gestion de la relation client actuelle, c’est-à-dire la globalisation de l’approche du client, a pris corps en 1997-1998”, estime Hervé Drevot, associé chez Valoris en charge de la gestion de la relation client. Avant cette date, les entreprises avaient une approche départementale. Les forces de vente disposaient de leurs propres outils pour gérer leur relation avec les clients, et le marketing aussi. Il est donc logique de voir régner des logiciels ciblant uniquement un service de l’entreprise dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. Avec quelques figures emblématiques comme Brock Control Systems (fondée en 1984) pour la gestion du flux des données clients, le Français Marketic One (fondé en 1988) pour l’automatisation des campagnes marketing, ou encore Remedy (créé en 1990) pour le support client ?” ou help desk. “Tout cela créait une mosaïque d’objets hétérogènes”, résume Hervé Drevot. Il ne faut pas oublier que, avec ces outils, coexistaient des logiciels développés en interne et des développements spécifiques réalisés par des SSII.
Une richesse de fonctions grandissante
Un capharnaüm que résume le cabinet d’analyses Gartner en rappelant que les développements internes représentaient encore 26 % des logiciels de GRC en entreprise l’année dernière, contre 36 % de suites et 38 % de solutions composites. Quand les entreprises ont compris l’intérêt de consolider toutes les données clients contenues dans le système d’information dans l’entreprise, les éditeurs ont dû suivre le mouvement et étendre leur couverture fonctionnelle. A partir des années 1996 et 1997, les offres se sont étoffées avec l’arrivée d’éditeurs américains tels que Siebel ou Vantive. Depuis cette époque, la richesse fonctionnelle de leurs logiciels n’a cessé d’augmenter. Pour y parvenir, les éditeurs ont souvent procédé par croissance externe. Ainsi Siebel, dont la suite est réputée pour la richesse de ses modules applicatifs, n’a-t-il pas tout créé ex nihilo. Il a successivement acheté Scorpus en 1998 en vue d’ajouter un module de service client, Opensite Technologies en avril 2000 pour son système d’enchères, Onlink Technologies en août 2000 pour son configurateur, et encore Janna Systems en septembre 2000 pour son outil de personnalisation. Il n’est pas le seul à avoir suivi cette stratégie. “Il y a eu beaucoup d’abandons. La consolidation est importante, et les acteurs des PGI ou des réseaux ne sont pas restés inertes”, rappelle Hervé Drevot. Baan a commencé la chasse en acquérant en 1996 Antalys, puis, en 1997, Aurum et Beologic.
L’omnipotence est impossible
En 1999, Nortel a acheté Clarify, Peoplesoft s’est offert Vantive, et Mosaix est passé dans le giron de Lucent. Pour sa part, SAP a pris une participation dans Kiefer & Veittinger en 1997 et a mis la main sur les logiciels de gestion de la relation client d’Infinite Data Structures en 2001. De son côté, Oracle, pourtant peu réputé pour ses acquisitions, s’est adjugé Versatility et Concentra en 1998. Autre grand des PGI, J.D. Edwards vient tout juste de se doter de sa technologie GRC en prenant le contrôle de Youcentric. Reste que ces acquisitions ne sont pas encore toutes digérées. “Les différents canaux sont cloisonnés depuis des années. L’effort de normalisation à fournir pour les regrouper est encore très important”, avance Hervé Drevot. Et d’ajouter : “Les acteurs tendent tous, depuis quelques années, à unifier le noyau applicatif de leurs solutions.” Sans compter qu’ils ont aussi dû gérer le passage du client-serveur à l’architecture web.En outre, quelques études remettent en question cette boulimie. Le cabinet d’analyses Gartner estime ainsi que, en 2004, du fait des nouveaux modèles de vente, des besoins spécifiques aux industries, des nécessités fonctionnelles et des spécificités régionales, les grandes entreprises intégreront des composants logiciels en provenance de vendeurs multiples. Car, de toute façon, tous les éditeurs n’auront pas les moyens d’arriver à cette omnipotence. Gartner pronostique que moins de 10 % des acteurs de la GRC pourront ainsi proposer des suites comprenant les fonctions de vente, de service client, de base de données marketing et de commerce électronique en 2004.Cette prédiction se vérifie dans les ventes actuelles de logiciels. Selon IDC, le marché de la GRC reste encore fortement dominé par les outils dédiés à la gestion des services et du support client ?” segment à partir duquel a été créé le concept de gestion de la relation client ?”, et à la gestion des ventes. Ils représentent, en effet, respectivement 33 et 32 % du total de l’offre de GRC. Les outils dédiés à la gestion des actions marketing suivent avec 18 %. Tout cela n’empêche pourtant pas la plupart de ces mêmes cabinets d’analyses d’encenser les suites logicielles. “Les bonnes solutions de GRC couvrent le cycle de vie du client, et cela quel que soit le canal d’interaction”, confirme Hervé Drevot.En matière de canal d’interaction, ces suites ont d’ailleurs encore des progrès à faire dans l’intégration du web. Sur internet, il est pourtant désormais techniquement possible d’exécuter les trois volets d’une relation client : gestion des forces de vente, support et service client et gestion de campagnes marketing. La relation client dite électronique ?” l’e-GRC, pendant français de l’i-CRM ?” sort de sa marginalité et commence d’ailleurs à percer. Selon les dernières estimations d’IDC France, les ventes de licences d’outils de ce type pesaient près de 17 % du chiffre d’affaires licences du marché français des progiciels de GRC en 2000 (925,4 millions de francs au total), alors qu’elles n’étaient pas représentatives en 1999. Soit une croissance quasiment multipliée par trente.Malgré tout, ces outils ne sont pas arrivés à maturité sur le plan technique. Les éditeurs de logiciels d’automatisation des campagnes marketing ont encore du mal à gérer de front l’afflux des données entrantes, leur examen, leur comparaison avec celles d’autres bases de données et, enfin, la réactualisation de l’action marketing en temps réel ?” affichage de promotions, réorganisation des pages et des bandeaux, etc. Ainsi, les spécialistes des centres d’appel n’intègrent pas encore en masse les nouvelles fonctions apparues ?” messagerie instantanée (chat) ou navigation assistée (co-browsing). Les configurateurs, eux, ne tiennent pas tous compte ni des incompatibilités du choix du client ni des stocks. Peu d’outils sont, par exemple, capables de préciser au client la date de livraison, et encore moins de proposer des alternatives en cas d’indisponibilité du produit demandé.
Une ouverture plus grande aux bases de connaissances
Les logiciels décisionnels ne sont toujours pas non plus à la hauteur de leurs promesses. Tout le monde s’accorde pour dire que l’analyse de données ne s’effectue pas instantanément. “Autant l’interaction avec le client doit se faire en temps réel, autant vingt-quatre heures sont un délai raisonnable pour analyser les données, jugeait Greg Bowman, de Broadbase, interrogé par 01 Informatique en juin dernier. Il faut les traiter, les nettoyer, enlever les doublons et les erreurs.” L’enjeu est important : “L’intelligence, c’est le nerf de la guerre”, paraphrase Hervé Drevot. Qui ajoute : “Quand une entreprise sait ce qu’elle fait avec son client, c’est déjà extraordinaire. Quant à savoir quelle est la part de marché des concurrents avec ce client, ce qu’il achète…” Dans les prochaines années, l’accent devrait donc être mis sur les bases de connaissances. Les éditeurs devraient de plus en plus permettre d’interfacer leurs produits avec des bases de données externes, de type Dun & Bradstreet. Une autre tendance forte apparaît au niveau de la verticalisation de l’offre, c’est-à-dire de l’adaptation des solutions aux industries. L’éditeur Onyx dispose, par exemple, de suites adaptées aux secteurs des télécoms, de la santé, des services financiers et des hautes technologies. Pivotal, lui, vise plutôt les industries manufacturières, de la santé, des places de marché électroniques et des services financiers. Siebel est, encore une fois, très bien placé en commercialisant sa suite pour de nombreux secteurs, tels que les sciences de la vie, la communication, le secteur public, l’énergie, les transports, la finance, la grande consommation, les assurances, la santé et l’automobile. Une étude d’IDC confirme le bien-fondé de cette approche et rappelle qu’en France les secteurs des services aux entreprises (télécoms, banques…) a permis aux éditeurs de générer près de 70 % de leurs ventes de licences en 2000, tandis que l’industrie ne représentait que 20 % de leurs revenus.
Des projets difficiles à mener
Intelligents, interactifs, intégrant les technologies du web… et finalement, usines à gaz. Pour Gartner, la réussite d’un projet de relation client tient dans la capacité à intégrer les technologies GRC aussi bien aux systèmes d’information des clients et fournisseurs qu’au workflow de l’entreprise, aux applications achetées et développées en interne, à l’infrastructure téléphonique ou à internet. Ainsi, les données recueillies dans un centre d’appel basé sur les technologies web sont censées être exploitables aussi bien par les outils de configuration que par des logiciels d’automatisation des forces de vente avant d’être réinjectées dans le système d’information après analyse. Mais cela ne va pas sans mal. Depuis quelque temps, les plaintes des entreprises concernant ce type de logiciels se multiplient. Pointés du doigt par les directeurs informatiques, les vendeurs ?” accusés de vendre des solutions inadaptées aux besoins réels de leurs clients ?” et les sociétés de services, qui ne sauraient pas comment intégrer les produits. Du côté desdits fautifs, la réponse ne se fait pas attendre. Comme pour les progiciels de gestion intégrés, les responsables du système d’information se tourneraient vers les logiciels les plus en vue, mais aussi les plus difficiles à mettre en ?”uvre. Et ce sans se soucier des réels besoins de leur entreprise. Quels que soient les coupables, le résultat est là. Le Meta Group estime que la moitié des projets de GRC échouent avant même d’avoir décollé. “Les logiciels de gestion de la relation client concernent l’entreprise tant au niveau des processus que sur les plans humain et technologique. Ils bouleversent totalement la structure organisationnelle et culturelle de l’entreprise”, avertit Wolfgang Martin, du Meta Group. L’entreprise est quasiment dans l’obligation de faire appel à des compétences externes. On peut, dès lors, comprendre qu’un cabinet d’analyses comme IDC s’attende à ce que le marché européen des services autour de la GRC passe de 13 milliards de dollars en 2000 à 43 milliards en 2005. Heureusement pour les éditeurs, les entreprises qui ont réussi à mettre en route les logiciels s’avouent plutôt contentes de leur choix. Et elles s’attendent à des gains réels en termes de fidélisation des clients et de réduction des coûts. Des avantages que devraient considérer les quelque 50 % d’entreprises européennes et 24 % de sociétés hexagonales ?” toujours selon IDC ?” qui considèrent comme peu stratégique l’installation d’un logiciel de gestion de la relation client.
🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.