Soitec est une société à part dans le paysage industriel français : ce sera probablement la seconde ex-start-up française de l’électronique, après Gemplus devenue Gemalto, à franchir la barre du milliard de dollars de chiffre
d’affaires d’ici deux ou trois ans. Son développement a jusqu’ici été remarquable : il s’est effectué au bon moment, avec un bon produit, dans un cadre très bien protégé par des brevets, et a été géré financièrement sans faute (malgré une
‘ incompréhension boursière ‘ qui aura duré deux ans).Fait tout à fait exceptionnel, si nous écrivons avec autant d’assurance que la société franchira la barre du milliard de dollars dans peu de temps, c’est qu’il est difficile de voir (à part un évènement violent type incendie,
tremblement de terre ou écroulement catastrophique de la valeur du dollar) ce qui pourrait remettre en cause son développement : techniquement, tout est écrit, et la société n’a pratiquement pas (et n’aura normalement pas à moyen terme) de
concurrence. Encore faudra-t-il, bien sûr, que la gestion de la société prolonge son ‘ sans-faute ‘.Or la société grenobloise est sur le point de prendre une importante décision quant à son avenir, à savoir implanter sa nouvelle usine à Grenoble non loin de son premier site, aux Etats-Unis, ou en Asie. Comme on peut l’imaginer, il ne
manque pas de voix (et d’incitations financières), à Grenoble, pour que la société reste au pays. Mais est-ce vraiment son intérêt ?
Se développer ‘ au plus près ‘ des clients : une obligation
Son intérêt est en effet avant tout d’élargir sa base de clientèle, de renforcer ses liens avec la clientèle existante, et de tirer encore plus son niveau technologique vers le haut pour pouvoir justifier des prix de vente les plus
élevés possibles (ou des non-baisses de prix associées à de meilleures performances). Or, en restant à Grenoble, rien ne changerait pour les clients et les dirigeants de la société : il s’agirait là d’une solution de sécurité et de facilité qui
ne peut se justifier que par un risque trop grand de s’implanter ailleurs. S’implanter ailleurs ? Le choix est vite fait : la Chine est à éliminer d’emblée pour cause de trop grand risque de copie (et de marché insuffisant avant cinq ans).
Le Japon est à considérer.Mais le licencié de Soitec au Japon, Shin Etsu Handotaï, y est bien implanté. Il ne faudrait surtout pas froisser une seconde source aussi importante, et qui jouit de la confiance de ses clients étrangers et japonais (facteur essentiel
au Japon, qui demande des années de relations…). D’autant plus qu’il est de l’intérêt de Shin Etsu de faire remonter vers son grand frère technologique d’éventuelles améliorations de process imaginées au Japon. Autre lieu d’implantation
envisageable, Taiwan. Le fondeur TSMC deviendra peut-être un jour en effet la première destination des productions de tranches de Soitec (pour l’instant, ses trois premiers clients sont IBM, Freescale et AMD).Mais attention, en l’occurrence, à ne pas confondre client et lieu de livraison. TSMC fabriquera peut-être un jour 20 % de tous les Cmos produits dans le monde, mais seuls ses clients décideront si leurs circuits seront de type SOI
ou non. TSMC est un fabricant de semiconducteurs très performant mais il ne fait que ce que ses clients lui demandent. Or ce sont ces derniers qui choisissent le compromis prix/performances des circuits. Il s’agit donc avant tout d’être proche d’eux
pour les convaincre. Les coûts de transport des tranches étant négligeables, Taiwan est à rayer de la liste des lieux d’implantation possibles à court terme.
Les Etats-Unis réunissent marchés et avance technologique
Restent donc les Etats-Unis, qui, eux, offrent une foule d’avantages : ils représentent plus de 50 % de la consommation mondiale de circuits en termes de décision d’achat, directe ou indirecte. Les Etats-Unis restent le
berceau de tout ce qui est design de circuits, même si ces sociétés font de plus en plus sous-traiter leurs fabrications à Taiwan. La recherche technologique y est l’une des plus avancées au monde, simplement parce que le financement et les
compétences sont là. Comment donc ne pas souhaiter faire partie simultanément des deux élites technologiques que sont l’Europe et les Etats-Unis ?Et Intel ? Intel pourrait-il devenir client de Soitec ? N’oublions pas une chose : Intel est un mastodonte, mais il est pragmatique. Si le SOI est le meilleur substrat, il l’adoptera un jour ou l’autre. Que feriez-vous à
sa place pour rattraper le temps perdu ? Vous demanderiez probablement à Soitec de construire dans sa probable nouvelle usine américaine un deuxième bâtiment, spécialement dédié à vos besoins, éventuellement en finançant au moins partiellement
l’opération pour aller plus vite… Si vous y pensez, Intel doit aussi y penser… Au fait, le dollar est bon marché en ce moment. C’est peut-être le moment d’investir en zone dollar… puis de profiter de coûts en dollars et non plus
en euros, seule vraie menace financière pour la société dans les mois qui viennent.* Rédacteur en chef d’Electronique International
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