Dans Web-la-Ville, les vengeurs masqués se nomment ” Multitude “. Ils interviennent dans les forums. Envoient des courriers électroniques saignants. Se font les défenseurs du système d’exploitation machin contre l’hydre Maxihard. Critiquent à droite à gauche, pas forcément sans bonnes raisons, les propos de ceux qui écrivent sur le Web, que ce soit à titre personnel ou professionnel. Bref, ils exercent leur légitime droit d’expression. Mais ils ne signent pas.La majorité des courriels que je reçois, surtout lorsqu’ils sont virulents et m’accusent d’être vendu à l’un ou à l’autre (et plus souvent à l’un qu’à l’autre), ou de dire n’importe quoi, émanent de boîtes gratuites, ou carrément fantaisistes, et comportent des pseudos poétiques ([email protected], [email protected], [email protected], [email protected]). Quant aux interventions sur les forums, elles sont souvent anonymes.Comment remercier ces chers contributeurs ? Comment leur dire que j’apprécie l’intérêt, même critique, qu’ils portent à mes productions ? Comment leur dire que j’aimerais bien voir leur tête dans un bocal de formol !Ce qui me dérange, ce n’est pas le pseudo en soi, c’est le comportement de celui qui me parle et qui ne me donne pas le moindre moyen de lui répondre. Un peu comme si quelqu’un était venu pendant la nuit graffiter mon écran.Je me demande ce que garantit cette non-signature. Pourquoi celui qui se donne la peine d’écrire sur un forum ne se déclare-t-il pas ? Peur des représailles ? Même dans un débat en chair et en os, c’est assez rare que les intervenants en viennent aux mains, alors, ici, en l’occurrence, je me vois assez mal aller filer une baffe à mon contradicteur à travers une liaison IP, même haut débit.Souci démocratique ? Dans le vote, l’anonymat est bien là pour garantir la liberté de choix de chacun, l’égalité de tous et l’absence de délit d’opinion. Oui, mais, justement, les limites d’un vote, c’est qu’on n’y discute plus, on y est amené à choisir entre l’une ou l’autre personne ou décision. Un forum n’a pas la même fonction, c’est un outil de réaction ou d’échange d’opinions. Celui qui ne me donne pas de moyens de lui répondre ne me donne pas de moyens d’échanger, il met la relation en sens unique.Le pire, c’est que cet état de fait est totalement officialisé. Les administrateurs de forums se font fort de préciser que les participants sont en droit de conserver l’anonymat le plus total.Ma grande peur, là dedans, c’est le syndrome du mur de chiottes. Dans les bars sympathiques, les toilettes sont constellées de gribouillages, de débats oiseux, de déclarations d’amour brumeuses et d’aperçus philosophiques fracassants. La direction laisse faire. L’important, c’est que la clientèle vienne boire des coups, si ça les amuse de se défouler, tant que ça ne dérange pas le service… C’est à sens unique ? Bien entendu, et alors ? On n’est pas là pour avoir des idées.
Sauf que, à ce compte, Internet n’est plus un espace d’échanges, cest un comptoir de bistro.Prochaine chronique le jeudi 5 juillet
2001
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