Fossé numérique ?” digital divide pour les Américains ?” les termes méritent une explication : ils renvoient à l’écart entre des individus, des entreprises, des régions, des pays concernant l’accessibilité aux nouvelles technologies de la communication ou de l’information. L’OCDE a publié quelques statistiques assez éloquentes. Dans les pays membres de l’organisation, le pourcentage de la population ayant accès au téléphone privé en 1998 est de 72 %, contre 7,8 % ailleurs.Le pourcentage de la population ayant accès à internet en 2000 est de 8,2 % dans les États de l’OCDE, contre 0,08 % ailleurs, avec des taux particulièrement bas en Amérique du Sud et en Afrique. Le fossé constaté entre l’OCDE et le reste du monde croît. Par exemple, en 1997, la pénétration d’internet était 267 fois plus forte en Amérique du Nord qu’en Afrique ; en 2000 elle est devenue 540 fois plus forte.En 2000, l’accessibilité des ménages à internet est de 12 % en France, de 25 % au Royaume-Uni, et de 50 % au Danemark. À l’intérieur d’un même pays, l’accessibilité varie encore avec le niveau de revenu, le niveau d’éducation, l’âge, le sexe, la densité de population…Une première réaction à ces données consiste simplement à dire que les inégalités qui entraînent des différences d’accès à l’automobile, à la télévision ou aux voyages entraînent aussi une inégalité d’accès aux biens associés au réseau. L’inquiétude nouvelle est qu’internet puisse se trouver à la source d’une nouvelle trappe de la pauvreté à l’intérieur des pays comme entre les pays. Pourquoi ?Considérons tout d’abord la communication entre les individus, avec le courrier électronique. L’accès à internet, que l’on peut assimiler à un coût fixe, donne ensuite accès à une techno- logie d’échanges très supérieure aux anciens modes de communication et facilite la vie de réseaux de toutes sortes. Il n’est pas plus coûteux d’informer la famille étendue qu’un seul de ses membres. Il en résulte certainement une amélioration de la vie familiale et, par conséquent, du bien-être. Mais ceci n’est pas très différent de l’effet d’une plus grande accessibilité à des biens comme la lecture ou le cinéma.
Moins cher pour les plus riches
Il y a toutefois un effet de réseau, comme pour le téléphone, qui favorise les communautés riches. Car, plus la densité de participation augmente, plus les coûts unitaires diminuent. Cet effet de réseau contribue au fossé numérique. Internet permet un accès peu coûteux à toutes sortes d’informations. Il y a des informations publiques, comme des bases de données, des softwares, qui rendront les mêmes services quelle que soit la localisation. Elles favorisent même relativement ceux qui sont éloignés des centres d’information, par exemple le chercheur en informatique indien.Toutefois, un biais culturel important existe, dans la mesure où les trois quarts des sites sont en anglais, qui n’est compris que par 10 % de la population mondiale. Le biais d’utilisation du net entre l’Europe du Nord et l’Europe du Sud est certainement dû pour partie à la diffusion de la langue de Shakespeare.Lorsque l’accès à l’information est un bien intermédiaire pour la production, on comprend immédiatement le risque d’aggravation des écarts de coûts entre les pays riches et les pays pauvres. Aussi, internet est beaucoup moins utile dans un pays qui ne possède pas les infrastructures complémentaires nécessaires.Par exemple, un consommateur africain pourra accéder à Amazon, mais le coût de transport du livre jusqu’à sa localité peut être prohibitif. La trappe de pauvreté apparaît. Cette merveilleuse technologie n’est pas accessible en raison de l’absence d’autres infrastructures. Elle accroît la différence d’efficacité Nord-Sud au lieu de contribuer à l’atténuer.De même qu’une politique volontariste en matière d’éducation et de facilité d’accès est nécessaire dans les pays de l’OCDE pour éviter l’accroissement des inégalités, une politique volontariste est nécessaire à l’égard des pays en voie de développement. Toutefois, ces démarches doivent être particulièrement réfléchies, car elles pourraient conduire à des gaspillages gigantesques et des mirages ruineux.* Professeur à l’université des sciences sociales de Toulouse, au sein de laquelle il dirige l’Institut d’économie industrielle.
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