On croyait les stars du cinéma immortelles. Pourtant, leur sort ne tient qu’au devenir de la pellicule qui les a figées et qui, elle, n’est pas éternelle. Le Celluloïd, obtenu à partir de nitrate de cellulose, employé depuis les frères Lumière jusqu’aux années 50, peut subir des dégradations graves, voire irréversibles, lorsque les films ne sont pas conservés dans des conditions appropriées. Ses successeurs (triacétate de cellulose et polyester) bien que plus stables et ininflammables, posent grosso modo les mêmes problèmes.
En effet, trop d’humidité fait tourner au vinaigre le triacétate le plus robuste. Quant à la chaleur, elle donne la fièvre au Technicolor et le tournis à la pellicule, sans compter les attaques de bactéries, de champignons et autres farfadets chimiques voleurs de couleurs. Les manipulations diverses de la pellicule sont également la porte ouverte à toutes sortes d’outrages, telles que rayures, taches ou encore poussière. Dans bien des cas, il est donc nécessaire de reconstituer tout ou partie des ?”uvres détériorées (ou avant qu’elles ne le soient…) dans un but de pure conservation, ou pour une nouvelle exploitation : sortie en salle, édition sur cassette ou DVD. C’est ce à quoi s’emploient depuis plusieurs années des institutions publiques comme l’Institut national de l’audiovisuel (INA), les archives du film du Centre national du cinéma (CNC), ou les détenteurs de catalogues de films.
Un travail titanesque
Certains, depuis presque dix ans, font appel à des sociétés spécialisées pour restaurer des chefs-d’?”uvre du muet et des débuts du parlant. Les techniques numériques y font progressivement leur entrée en complément, voire en remplacement des techniques photochimiques traditionnelles.
Ainsi le service de restauration numérique de Centrimage à Ardillères (Essonne) s’est attelé depuis trois ans à la restauration de la collection Will Day pour les Archives du CNC (courts et moyens métrages du début du siècle) et à la remise en état de bandes réalisées par Etienne Jules Marey, précurseur du cinéma, pour la Cinémathèque française.
Dans un autre grand laboratoire de la région parisienne, une dizaine de personnes travaillent dans la plus grande discrétion à la restauration de films à succès des années 60 que l’on reverra un jour au cinéma ou à la télévision… aussi neufs que s’ils venaient d’être tournés. On se souvient de Blanche-Neige et les sept nains de Disney, une vieille dame née en 1937 et reliftée en 1992 par les magiciens de Cinesite, une filiale de Kodak à Hollywood, qui avait ainsi inauguré en beauté son système de restauration tout numérique, Cinéon.
Comment s’effectue ce travail de restauration ? D’abord, un opérateur spécialisé visionne une copie du film (obtenue à partir du négatif original) afin d’identifier les parties détériorées et d’établir un premier devis pour le client. Celui-ci décide ensuite des priorités en fonction de son budget. Une fois le planning établi, on passe le film au scanner. Bien entendu, il ne s’agit pas des scanners pour micro mais d’un appareil plus sophistiqué. Cette opération consiste à numériser image par image – donc à créer un fichier pour chacune d’elles – l’ensemble du fragment à restaurer. On utilise pour cela un scanner de type Cinéon de Kodak, Klone de Cintel ou de marque Oxberry qui numérise une image en 15 secondes en moyenne.
Suivent les opérations de restauration proprement dites, qui dépendent du type de défaut à corriger. Chez Centrimage, on utilise à cette fin le logiciel Limelight, fonctionnant avec Windows NT. Il est employé pour traiter de façon automatique certains défauts. C’est ainsi qu’il détecte les rayures et se charge de les éliminer. De même, il “nettoie” l’image d’éventuelles poussières et corrige même les effets de flou et les tremblements.
Bain de jouvence numérique
Mais ce traitement automatique ne suffit pas : de multiples autres défauts nécessitent l’intervention d’un opérateur qui effectue un travail de retouche photographique. Face à son écran, avec un logiciel, l’opérateur se livre à un véritable ouvrage de sorcier en traitant le film photogramme par photogramme : ici, il élimine à l’aide d’une tablette graphique des taches blanches provoquées par des moisissures et des défauts d’émulsion ; là c’est un voile fantôme pouvant se confondre avec des éléments de l’image originale qu’il va falloir atténuer ou éliminer, etc.
Lorsque des photogrammes viennent à manquer (ils sont tellement ab”més qu’il a fallu les supprimer), le restaurateur doitcréer les images absentes par interpolation graphique, ou morphing. Cette technique, employée généralement pour les effets spéciaux, consiste ici à fabriquer de toutes pièces un photogramme en mélangeant les images précédentes et suivantes.
La séquence ayant subi son bain de jouvence numérique est alors montrée au client qui donne (ou non) son accord. Intervient alors la troisième et dernière phase du travail de restauration : le transfert des images informatiques sur film. On utilise pour cela un imageur, comme le Solitaire, un appareil qui, par un procédé inverse du scanner, imprime chaque image de source numérique sur la pellicule vierge. Cette opération nécessite de 20 à 25 secondes par photogramme. Une fois développés, les fragments de film restaurés viennent se substituer aux parties endommagées correspondantes dans la bo”te renfermant le négatif original. C’est à partir de ce négatif qu’on pourra tirer de nouvelles copies pour le cinéma ainsi qu’un master vidéo. Bourvil et De Funès auront alors encore de beaux jours devant eux
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