Votée en l’état, la loi sur la société de l’information (LSI) pourrait donner du souci aux informaticiens. Directeurs des systèmes d’information, spécialistes de l’e-business, ingénieurs internet et éditeurs devront revoir leurs sites et la manière dont les internautes les utilisent. Ainsi, dans la version de la LSI qui vient d’être présentée en Conseil des ministres, le texte maintient l’obligation, pour les fournisseurs d’accès internet (FAI) et les hébergeurs, d’empêcher l’accès aux contenus illégaux dont ils auraient connaissance sur le réseau ou de les retirer. Autre exemple, tout éditeur de site, voire de pages personnelles, sera soumis à la formalité du dépôt légal. Ou encore, tout site de commerce électronique devra intégrer un système en deux temps, baptisé ” double clic “, pour concrétiser son acceptation de l’offre, et donc la passation officielle du contrat. Cela rassurera le consommateur quant au risque d’erreurs de manipulation de sa part.
Conserver jusqu’à un an les logs de connexion
Mais c’est surtout le flou qui plane autour de ces contraintes qui risque de retarder encore les progrès de l’e-commerce. Maître Sabine Lipovetsky, du cabinet Kahn et Associés, souligne que “même s’il ne soumet plus les FAI ou les hébergeurs à une obligation générale de surveillance des informations qu’ils transmettent ou qu’ils stockent, comme il le faisait dans ses versions précédentes, il est inquiétant que le texte mette à leur charge une obligation aux contours mal définis et hors intervention de l’autorité judiciaire“. Dès qu’ils auront connaissance du caractère ” manifestement illicite ” d’un contenu, les prestataires devront, en effet, agir promptement pour le retirer ou en rendre l’accès impossible sous peine d’engager leur responsabilité civile. “Mais sur quelles bases va-t-on juger ce caractère illicite ? ” interroge l’avocate. De même, le texte laisse toujours planer des incertitudes sur les délais de conservation des logs de connexion par les opérateurs pour les besoins de lutte contre la criminalité. Le projet fixe “une durée maximale de un an “. Mais il faudra attendre l’adoption de la loi et, surtout, un décret d’application pour éclaircir ce point. Christian Pierret, secrétaire d’Etat à l’Industrie, a précisé qu’il est “personnellement favorable à une durée de trois mois“, comme le recommande la Cnil. En matière de commerce électronique, le projet de loi transpose en droit français la directive européenne du 8 juin 2000, à quelques nuances près. La France s’est seulement autorisée à imposer le double clic “pour prévenir les erreurs et sécuriser les transactions“. De plus, en matière de publicité par voie électronique, elle adopte le principe de l’opt-out, favorable au consommateur. Les entreprises qui pratiquent les envois non sollicités (spam) feront savoir à l’internaute qu’il peut s’inscrire sur des registres d’opposition. Mais, dans la pratique, toutes ces modalités seront fixées par décret.Les plus heureux seront peut-être les fournisseurs de solutions de cryptologie. La future LSI la libéralise complètement. Les outils commercialisés ne seront plus soumis à un régime d’autorisation auprès de la Direction centrale de la sécurité des systèmes d’information (DCSSI). Ils devront simplement faire l’objet d’une déclaration auprès de celle-ci.L’élaboration du projet de loi a mobilisé une multitude d’acteurs du net et d’associations d’internautes. Ils ont été consultés, y compris à travers un forum en ligne, pendant les deux années de l’élaboration du texte. Ce qui n’empêche pas des levées de bouclier, notamment en ce qui concerne l’accès aux données publiques. Serge Chambaud, chef du département de la documentation et de l’information à l’Inpi (Institut national de la propriété industrielle) et président du Groupement français de l’industrie de l’information, regrette, par exemple, qu’il n’y ait pas de séparation entre deux problèmes distincts : l’accès du citoyen à l’information publique, d’une part, et la diffusion des données publiques vers les distributeurs publics et privés, d’autre part.
Une valeur légale pour le contrat électronique
Malgré ces imprécisions qui nécessiteront des décrets d’application, certains professionnels ou juristes mettent en avant les aspects positifs du texte. Ainsi, pour Jean-Christophe Le Troquin, délégué général de l’Association des fournisseurs d’accès, “ il a le mérite de suivre fidèlement la directive e-commerce et d’avoir inséré le principe de l’interdiction de surveillance générale des abonnés à internet“. Sabine Lipovesky salue pour sa part une “avancée dans la régulation du net“. La France, rappelle-t-elle, est le “premier pays européen à avoir élaboré un texte d’ensemble sur le sujet “. Comme l’a souligné Christian Pierret, “ la croissance actuelle de la France est due – dans une proportion de 20 % – aux TIC. Il fallait une loi pour booster leur utilisation“. Même si le projet LSI encadre le commerce électronique, s’il fait du contrat signé sur le net un contrat à part entière, et qu’il libéralise la cryptologie, peut-on le considérer toutefois comme le “texte majeur ” du Plan d’action gouvernemental sur la société de l’information (Pagsi) ? Pas vraiment, puisque les dispositions relatives aux droits d’auteur numériques n’ont pas été conservées dans le texte et que celles sur la protection des données personnelles sur internet devraient se retrouver dans la future loi Informatique et Libertés qui sera prochainement présentée en Conseil des ministres.Pour maître Olivier Iteanu, “la société de l’information ne nécessitait pas une loi de plus “. Il s’agit d’un “texte fourre-tout “, qui s’inspire de textes existants – sur la réglementation des télécommunications, sur la fraude informatique, sur les données publiques, etc. – ou qui se borne à transposer une directive communautaire. Sur l’e-commerce, en l’occurrence. “ Les dispositions sur l’accès à la communication en ligne par l’adressage et le nommage sont illusoires, souligne-t-il. En effet, tout est entre les mains du Département du commerce du gouvernement américain“. Enfin, en ce qui concerne la responsabilité des FAI et hébergeurs, “ on a légalisé un système de droit déjà stabilisé devant les tribunaux. Il n’y a déjà plus de condamnations de prestataires techniques depuis quelques années” conclut Olivier Iteanu.
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