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La justice britannique est embarrassée par les réseaux sociaux

L’omniprésence des réseaux sociaux et la caisse de résonance qu’ils forment pour les propos de tous posent problème en Grande-Bretagne, les mauvaises blagues d’antan, cantonnées aux pubs, faisant le tour du monde en quelques minutes.

Blagues de mauvais goût, propos grossiers, insultes : la multiplication au Royaume-Uni des procès de « trolls », nom donné aux auteurs de commentaires provocateurs sur Internet, suscite les critiques des défenseurs de la liberté d’expression et plonge le parquet dans l’embarras.

Réaction disproportionnée

Début octobre 2012, un internaute de 19 ans, Matthew Woods, a écopé de trois mois de prison pour avoir posté sur Facebook des blagues de mauvais goût au sujet d’une fillette disparue. Il a finalement vu sa peine réduite en appel à six semaines.

Peu de temps auparavant, un autre jeune homme du même âge, Azhar Ahmed, avait été condamné à des travaux d’intérêt général pour avoir écrit sur Facebook « Tous les soldats doivent mourir et aller en enfer ». « Des personnes tiennent en ligne des propos insultants, affreux et stupides. La société devrait évidemment s’assurer que les gens sont (…) moins grossiers.  Mais est-ce qu’envoyer des internautes en prison avec des violeurs et des malfrats violents est la chose à faire ? », s’interroge Adam Wagner, avocat et auteur d’un blog sur les questions de justice.

« Il ne fait aucun doute que les gens peuvent être harcelés et menacés de façon atroce sur les médias sociaux », notamment lors de campagnes orchestrées sur la Toile, estime Padraig Reidy, de l’organisation de défense de la liberté d’expression Index on Censorship. Mais « je pense qu’on a assisté à des poursuites judiciaires injustes. Il faut trouver un juste milieu », plaide-t-il.

Une évolution trop rapide

Dans les procès de « trolls », les juges se basent sur des lois antérieures au lancement de Twitter en 2006. Ils citent notamment une loi de 2003 interdisant « d’envoyer à quelqu’un un article indécent, terriblement injurieux ou contenant une menace ». « En 2003, il est fort possible que seul Mark Zuckerberg [fondateur de Facebook, NDLR] savait que des milliards de personnes opèreraient comme des mini maisons d’édition » via les réseaux sociaux quelques années plus tard, souligne Adam Wagner, favorable à une évolution de la législation.

Paul Chambers, employé dans la finance de 28 ans, est devenu le symbole au Royaume-Uni de la liberté d’expression sur la Toile. En 2010, il envoie un tweet qui lui vaut d’être condamné au pénal à une amende de 1 250 euros : « Merde. L’aéroport Robin Hood est fermé. Vous avez une semaine et quelque pour régler ce bordel, sinon je fais péter l’aéroport ! » Le jeune homme, qui a envoyé ce tweet de peur de manquer un vol, fait appel de sa condamnation, expliquant qu’il s’agissait d’une blague, et obtient en juillet son annulation.

Une décision qui fait date. Les juges ont estimé « que les gens avaient le droit d’être hyperboliques, insultants et peut-être injurieux sur Internet. Cela ne doit pas en soi constituer un délit », commente Padraig Reidy. Dans la même veine, le 20 septembre, le parquet a exclu de poursuivre un internaute qui avait posté pendant les JO un tweet homophobe visant le plongeur britannique Tom Daley.

Petit guide du savoir juger

Et dans le même temps, le parquet a annoncé qu’il allait se pencher sur les poursuites liées aux commentaires insultants sur les réseaux sociaux. Le but affiché est de faire des recommandations aux juges. Une façon aussi de suggérer que certaines condamnations étaient sans doute disproportionnées. « Si le droit fondamental de la liberté d’expression doit être respecté, le seuil pour les poursuites judiciaires doit être relevé, et des poursuites engagées dans le cas où elles sont dans l’intérêt public », estime le chef du parquet, Keir Starmer. Des recommandations sont attendues l’année prochaine.

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Judith Evans, AFP