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La hantise du retour sur investissement gagne les fournisseurs

Pour aider les entreprises à évaluer la rentabilité de leurs dépenses informatiques, les éditeurs proposent des solutions de calcul du ROI prêtes à l’emploi. Mais simples gadgets et vrais indicateurs se côtoient.

Il y a encore un an, les directions informatiques pouvaient procéder à des investissements élevés sans calculs savants ni justifications détaillées à l’appui. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les ratios issus des concepts de “retour sur investissement” (ROI) et autres “Total Economic Impact” (TEI), qui croupissaient depuis bien longtemps dans les sociétés de conseil, ont maintenant trouvé preneur. Et ce tant chez les fournisseurs que chez leurs clients. “L’année dernière, la mode était à l’implémentation en quatre-vingt-dix jours. Cette mode du ROI est, en partie, une réponse au 11 septembre et à la chute d’activité qui s’en est suivie”, avance Alexandre Gultzgoff, chef de projet chez Aventis Pasteur MSD. “Les entreprises ?” surtout américaines ?” nous demandent désormais de prouver que nos logiciels peuvent leur permettre d’accroître leurs revenus”, ajoute Mark Ritacco, Senior Market Analyst chez Business Objects.

Le TCO est un modèle mature

Le ROI s’appuie sur le coût total de possession (TCO) et sur les bénéfices qu’apporte la solution acquise. Aujourd’hui, le modèle du TCO semble acquis par tous. Même si “des problèmes peuvent encore subsister, liés au manque de culture financière des services informatiques, note Jean-François Oppliger, analyste au Giga Information Group. L’analyse des coûts n’y est pas aussi au point qu’au sein de l’entreprise elle-même “.Il s’avère néanmoins que le TCO ne suffit pas à convaincre les directions opérationnelles et que le recours au ROI est devenu un passage obligé pour le directeur informatique. Selon l’analyste du Giga, une étude d’Ernst & Young révèle que 40 % des sociétés américaines conduisent aujourd’hui des “business cases” pour déterminer le ROI de leurs investissements informatiques, contre 15 % seulement il y a trois ans. Et c’est là que les fournisseurs sont entrés dans le jeu en proposant à leurs clients des ratios “prêts à l’emploi “. Excepté en France, où les éditeurs ne semblent pas très pressants, au dire des directions informatiques. “Je ne me rappelle pas que Peoplesoft ou Siebel aient mis en avant le ROI de leurs logiciels pour infléchir notre choix, se rappelle Jean-Noël Toeloose, chef de projet gestion de la relation client (GRC) chez Vedior Bis. Siebel nous a juste transmis des études Gartner sur le ROI appliqué à la GRC. ” Et pour le chef de projet d’Aventis Pasteur MSD, “le sujet n’a pas été abordé de façon formelle “.

Des outils de calcul à profusion

Entre aide véritable apportée aux directions informatiques clientes et argument marketing, le travail d’élaboration de ces ratios tend à devenir un segment à part entière du marché du génie logiciel. Il existe en effet, aujourd’hui, une myriade d’outils plus ou moins sophistiqués, proposés par les éditeurs eux-mêmes ou par les sociétés de services, ou développés par des start up comme Alinean. A leur plus simple niveau de complexité, certains de ces outils se trouvent même sur les sites internet de beaucoup de vendeurs de logiciels. L’entreprise ?” cliente ou simple prospect ?” peut entrer sur un formulaire de une ou deux pages le nombre de ses employés, les temps de travail, les salaires… et, comme par magie, les économies réalisées se chiffrent illico à plusieurs millions de dollars. Difficile de leur accorder un quelconque crédit. Editeurs auteurs du gadget et utilisateurs en ont bien conscience : “Les calculateurs ne sont que des outils marketing basés sur des coûts relevés aux Etats-Unis et sur des études de Gartner, s’amuse Alexandre Gultzgoff. Ces outils peuvent éventuellement servir à faire passer le message à la direction, mais personne n’est dupe.”En revanche, une fois convaincue de l’utilité de calculer son ROI, la direction informatique peut tenter de le chiffrer elle-même et de concevoir ses propres ratios de productivité. Toutefois, certains DSI éprouvent des difficultés à se charger du fardeau, arguant qu’une telle approche ne fait pas partie de leur formation initiale. “Le calcul du ROI n’est pas une science uniformément maîtrisée”, formule ainsi avec pudeur Laurent Carrière, directeur avant-vente de Siebel France.Pour les DSI, la solution consiste alors à faire changer de main le mistigri. Et, dans ce cas, à recourir à des consultants indépendants ou aux éditeurs présents dans la short-list. Sans oublier toutefois, là encore, que clients et fournisseurs sont, par définition, dans une relation marchande : “Un conflit d’intérêt évident existe entre les vendeurs fournissant une projection du ROI de leurs propres produits. Un éditeur a-t-il déjà conseillé à un client de ne pas poursuivre un projet en se basant sur cette projection ?”, écrivait en 2001 Louis Columbus, du cabinet AMR Research. En d’autres termes, la question à résoudre est de savoir comment établir une réelle relation de partenariat dans une situation concurrentielle.

Le calcul du ROI doit se faire en toute indépendance

Toute l’ambiguïté liée à la vente de solutions complexes dont l’efficacité dépend de choix organisationnels connexes se retrouve, en effet, dans cette problématique : il faut tenir compte à la fois des données externes et des pratiques propres à l’entreprise. Or, ce travail d’analyse s’effectue rarement en quelques jours. Même si les éditeurs se disent, bien sûr, prêts à aider leurs futurs clients. “Nous ne faisons pas payer nos projections, car nous estimons que cela fait partie de notre travail”, explique Laurent Carrière de Siebel France. Chez i2, une équipe est également fin prête à assister les faibles en maths. Dans le cas de ventes indirectes, les partenaires intégrateurs disposent de documents préparés par les fournisseurs, auxquels ils pourront se référer pour la préparation des modélisations. Ils se proposent même, comme le cabinet de conseil britannique Cedar, partenaire de Peoplesoft, de développer une méthodologie de calcul de ROI pour le compte de l’éditeur ?” en l’occurrence, sur le terrain des applications collaboratives. Ces modélisations dépassent de loin les gadgets du web : “Un business case sérieux, c’est beaucoup de feuilles Excel qui nous servent à collecter un nombre de données non négligeable”, précise Jean-Paul Brigot, responsable de la partie conseil en management chez Cap Gemini Ernst & Young. Cette récolte de données dure entre un et trois mois. Et même plus si lesdites informations ?” relations avec les fournisseurs, état du marché, etc. ?” doivent être glanées à l’extérieur.En conséquence de quoi, il est bien évident que les petits éditeurs n’ayant pas d’assise financière suffisante et ne disposant pas d’appuis chez les intégrateurs n’ont ni les ressources ni les moyens nécessaires à la constitution du modèle de ROI. “En dessous de 100 000 euros, la construction des modèles ?” en prenant en compte la collecte d’information aussi bien par l’éditeur que par l’utilisateur ?” n’est pas très probante”, assène Jean-François Oppliger. SSII et gros éditeurs se basent de plus en plus sur des chiffres, des valeurs et des équations plus approfondies que les simples moyennes du marché dans lequel évolue l’utilisateur. C’est d’autant plus vrai dans les projets concernant l’infrastructure logicielle, comme l’intégration des applications d’entreprise.Si une baisse significative des stocks est un indice tangible et chiffrable en monnaie sonnante et trébuchante, il n’en va pas de même pour tout : “Le calcul du ROI est beaucoup plus difficile à réaliser dans le domaine des ressources humaines que dans la production ou la réduction d’inventaire”, admet Lucas Heymans, responsable stratégie produit RH pour l’Europe du Sud chez Peoplesoft. Alors, les entreprises jouent la prudence. Ainsi, chez Vedior Bis, les calculs ont pris systématiquement en compte les hypothèses basses : un marché plat, une estimation prudente des taux de fidélité et de transformation des prospects en clients. “Il ne faut pas oublier que le calcul du ROI se base sur des hypothèses. Au début du projet, un business case n’est constitué que de chiffres que l’on a devinés. En exagérant, on pourrait presque dire que tout cela ne repose sur rien de réel”, conclut l’analyste du Giga.

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Olivier Discazeaux et Renaud Edouard