La gestion en ligne du personnel renforce le rôle des DRH
L’arrivée massive de nouveaux outils automatisés transforme les processus de gestion des ressources humaines. On commence à peine à en mesurer l’impact.
Tom Siebel n’est pas réputé pour être un fanfaron ou un plaisantin. Et lorsqu’il répète à l’envi que le marché de la GRE, gestion de la relation employé, dépassera bientôt celui de la relation client, il y a lieu de s’y intéresser. La GRE ?” ERM, pour Employee Relationship Management, en anglais ?” est le dernier avatar des solutions de gestion de ressources humaines. Il désigne en réalité les nouvelles possibilités d’outiller et d’automatiser des processus classiques, comme le recrutement, les évaluations, la gestion des carrières et des compétences ou, encore, la mobilité interne. L’essor ?” actuel et futur ?” de la GRE procède donc de la conjonction entre une demande opérationnelle et une technologie permettant d’y répondre.
Ne pas sous-estimer l’impact en termes d’organisation
Jusqu’à présent les systèmes de gestion des ressources humaines étaient le plus souvent bâtis sur une architecture client-serveur et un code Cobol. “Avec de tels systèmes, la mise en place par une entreprise d’une évaluation à 360 degrés, par exemple, pouvait demander des mois de développement et totaliser cinq cents ou mille jours/homme”, raconte Patrice Barbedette, fondateur de Jobpartners, éditeur de progiciels de GRE. Les technologies web, par leur souplesse de paramétrage et leur facilité de déploiement et d’usage à grande échelle, apportent une réponse convaincante. Les salariés remplissent eux-mêmes certains formulaires ; la gestion des profils permet de les répartir en populations et de fractionner les tâches entre la direction des ressources humaines (DRH), le manager direct et le salarié ; enfin, les outils de workflow donnent une idée précise de l’avancement du processus. “Dans le cas du recrutement, les candidats peuvent se tenir informés sur le site web de l’entreprise. Cela diminue drastiquement le nombre d’appels téléphoniques”, souligne Patrice Barbedette. Ces applications viennent ainsi en complément des portails de ressources humaines. Dans un premier temps, ceux-ci délivraient de l’information passive, comme l’annuaire de l’entreprise. Ont pu ensuite y être ajoutées des fonctions de self-service, où certaines tâches administratives étaient dévolues au salarié lui-même. Enfin, sont venues se greffer au portail RH ces applications de GRE, plus proches à la fois de l’activité du salarié et de la préoccupation de gestion de la DRH. Cette dernière est ainsi revalorisée dans son rôle et peut entretenir une relation plus directe et satisfaisante avec chaque salarié. “Avec de tels systèmes, on assiste à une déconcentration des processus qui aboutit à un nouveau processus pour la DRH”, résume Véronique Montamat, directeur marketing solutions RH chez Sopra.Un projet de ressources humaines en ligne (e-RH) concerne l’ensemble du personnel. Aussi son succès est-il étroitement lié à l’assentiment général. Une première source de résistance provient des opérationnels RH. “Il faut réussir à les convaincre que le déport de certaines tâches de saisie ne diminue en rien leurs attributions, mais, au contraire, qu’il valorise leur rôle”, avance Bernard Mercier, expert e-RH du cabinet de conseil Cedar. Même opération de séduction auprès des cadres. “Avec la décentralisation de fonctions traditionnellement dévolues à la DRH, ils craignent une surcharge de travail.” Inversement, les managers peuvent se sentir dépossédés par le libre accès en ligne de données autrefois de leur seul ressort. Pour les rassurer, le workflow d’approbation de certains actes ?” congés, notes de frais ?” doit reprendre à l’identique le circuit traditionnel. Les salariés technophobes peuvent aussi freiner des quatre fers quand d’autres ?” les agents de production en usine ?” ne disposent pas de poste de travail. Il faut alors prévoir la mise en place de bornes ou de télévisions interactives. Enfin, les DSI se montrent parfois force… d’inertie. “Pour certains DSI, la logique de décentralisation met à mal la cohérence globale du système d’information de l’entreprise”, constate Bernard Mercier.
Vendre et soutenir le projet en interne
Compte tenu de l’impact organisationnel, mais aussi des investissements consentis, les chefs de projet e-RH consacrent beaucoup d’énergie à vendre leur projet en interne. Conseil en RH et organisation au sein du groupe pharmaceutique Guerbet (1 050 salariés), Ludovic Devoldere a fait le choix d’un produit à faible coût (WeRH, d’Amalthis). Un argument de choc. “Le budget total se situera entre 90 000 et 100 000 euros au maximum.” Cet investissement initial bas ne le libère toutefois pas des justifications d’usage. “Le projet a été conçu, étape par étape, de telle sorte que le déploiement puisse être arrêté pour des raisons budgétaires ou techniques, ou par manque de satisfaction des salariés.” Une analyse du fonctionnement des processus RH a permis de dégager des indices de performance. “Jusqu’alors, 40 % du temps du personnel RH étaient consacrés à la saisie. Dégagé partiellement de ces tâches, il pourra se consacrer à des fonctions à valeur ajoutée.”Mais d’autres gains sont avant tout qualitatifs. Il en est ainsi du libre-accès à l’information RH, par exemple. “La décentralisation de certains actes sur les salariés est très importante, mais elle n’est pas valorisée aujourd’hui”, regrette Pascal Nicaud, responsable de l’offre performance et SIRH à la Cegos. L’automatisation et la décentralisation des tâches administratives font évoluer le rôle même de la DRH, vers le stratégique. “Si les exigences sont accrues, les DRH ont plus à s’adapter à un nouveau style qu’à une pression supplémentaire”, estime Patrick Storhaye, président de Shared Value.C’est dans cet esprit que Sodifrance a adopté le logiciel de gestion de capital humain de Trivium. “Nous ne sommes plus en réactivité, explique la DRH, Dominique Legoubey, mais en proactivité.” La cartographie des compétences internes évite les recrutements inutiles. Dans l’autre sens, la solution peut éviter un licenciement en gérant, en amont, les démêlés entre un manager et un collaborateur. Un garant de paix sociale, qui s’éloigne des habituels calculs de retour sur investissement.