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La gestion de la chaîne logistique: réguler l’écosystème de l’entreprise

Sanjiv Sidhu, président et cofondateur d’i2, revient sur le développement sans précédent qu’ont connu les progiciels de gestion logistique dans les années quatre-vingt-dix.

La planification industrielle et la logistique ne sont pas des problématiques nouvelles dans l’industrie. Historiquement, la première demande fut de gérer la complexité et de disposer d’informations fiables. Puis il s’est agi d’améliorer l’efficacité de la chaîne. Le constat fut alors qu’une optimisation globale est toujours plus performante que la somme d’optimisations locales. Il fallut donc disposer d’outils, de concepts et de méthodologies qui permettent non plus d’améliorer indépendamment chaque phase du cycle de production et de distribution, mais de l’appréhender dans sa globalité. C’est ce à quoi se sont attelés des éditeurs comme Manugistics ou i2 au début des années quatre-vingt-dix en développant le concept de “supply chain management”, ou gestion de la chaîne logistique globale, et en promouvant les solutions de type APS (Advanced Planning Systems). Sanjiv Sidhu, fondateur d’i2 en 1988, revient sur cette histoire.Lorsque vous avez fondé i2, quel était l’état de l’art en matière de gestion de la chaîne logistique ?Sanjiv Sidhu : A l’époque, ce que l’on trouvait sur le marché, c’était des solutions du type MRP II (1). Et ceux qui avaient de nouvelles idées en matière de gestion logistique étaient dans l’impossibilité de réussir. De nombreuses entreprises ont pu constater que les solutions de type MRP II étaient finalement contre-productives : elles généraient trop d’inventaires et des cycles trop longs. Les éditeurs de progiciels de gestion intégrés, qui étaient déjà puissants, faisaient la promotion des solutions MRP II. L’American Production and Inventory Control Society (2) également. Il y avait, dès lors, un défi très important à relever en matière d’éducation.Diriez-vous que le packaging sous forme de progiciel et la puissance accrue des machines sont les deux facteurs qui ont permis l’émergence de la chaîne de gestion logistique, alors que, pour la plupart, les algorithmes d’optimisation existaient déjà ?Sanjiv Sidhu : Ce sont effectivement les deux facteurs d’émergence. Mais il a fallu se rendre compte que les algorithmes linéaires n’étaient pas applicables à tous les problèmes. Notre idée a été de développer des algorithmes d’optimisation sous contraintes, issus des recherches en intelligence artificielle et de la recherche opérationnelle. Un autre point fondamental a été la représentation sous forme d’objets de la chaîne logistique, qui a permis une nouvelle approche des problèmes et de leur modélisation. Mais, sans l’augmentation de la puissance de calcul, cela aurait été impossible.L’une des idées à l’origine de l’essor de la gestion de la chaîne logistique n’a-t-elle pas été de regrouper les fonctionnalités qui étaient la spécialité d’acteurs de niche ?Sanjiv Sidhu : Il existait, en effet, de nombreux acteurs spécialisés dans la planification, dans l’ordonnancement, dans le transport, et nous avons procédé à des acquisitions pour acquérir ces compétences. La consolidation du marché a ainsi permis une gestion de bout en bout du cycle, qui va de la commande à la livraison, et a donné naissance à des concepts élargis, comme la disponibilité à la demande (available-to-promise). Ce sont ces concepts qui ont mené à l’idée de supply chain management. Il ne faut pas non plus sous-estimer les efforts en recherche et développement, qui ont permis d’améliorer considérablement les outils.A quel type d’entreprises s’adressaient prioritairement les outils de gestion de la chaîne logistique ?Sanjiv Sidhu : De façon générale, le supply chain management s’adresse à toutes les entreprises qui servent des biens physiques à leurs clients. Certains secteurs ont été plus réceptifs que d’autres, car leurs besoins étaient plus pressants. Par exemple, ceux où les cycles sont courts, comme ceux qui touchent aux hautes technologies ; ceux qui immobilisent de lourds capitaux, comme l’acier ou l’automobile ; et ceux où les biens sont périssables ?” en particulier, le secteur agroalimentaire.Le marché s’est alors développé au point que les éditeurs de PGI se sont ralliés au concept. Cela a-t-il modifié la perception de la gestion logistique ?Sanjiv Sidhu : Lorsque les éditeurs de PGI ont abandonné MRP II ?” il y a environ quatre ans ?” pour promouvoir nos idées, cela a donné un coup de fouet au marché. Tout à coup, il n’y avait plus personne pour dire aux entreprises que nous étions dans l’erreur. Malgré une concurrence plus importante, les choses sont devenues beaucoup plus faciles. D’autant que les éditeurs de PGI étaient très proactifs en faveur des solutions de gestion de la chaîne logistique, car ils voyaient leurs revenus traditionnels décliner, et il leur fallait un relais de croissance.Néanmoins, les éditeurs de PGI ne tiennent-ils pas un discours différent du vôtre ?Sanjiv Sidhu : Si, car ils évitent, bien entendu, de promouvoir la gestion logistique au détriment du PGI. C’est pourquoi ils expliquent que celui-ci est un prérequis impératif. Une fondation est, certes, indispensable. Mais ce qui compte essentiellement, c’est le modèle de données sous-jacent à l’application. Ce n’est donc pas forcément un PGI. Or, cette idée est très répandue, et c’est l’un des exemples de résistance culturelle que nous rencontrons. Une autre résistance liée aux PGI est le scepticisme qu’ils ont généré. Dans de nombreuses entreprises, l’implémentation n’a pas été un franc succès, ou bien elle n’a pas apporté les bénéfices escomptés. De ce fait, les gens sont réticents à passer à la suite et à se lancer dans de nouveaux projets.Il a fallu dix ans pour que l’idée de supply chain se répande, et c’est un concept relativement simple et tangible. Combien de temps faudra-t-il pour que des concepts émergents, comme les places de marché ou le travail collaboratif, se généralisent ?Sanjiv Sidhu : Si vous considérez l’adoption de démarches qualité dans les entreprises, cela a nécessité beaucoup d’éducation, presque un lavage de cerveau pour les managers. Il en va de même pour le supply chain management et internet. Le rythme d’adoption sera certainement de plus en plus rapide, et c’est très excitant. Mais on est encore bien loin de l’utilisation du plein potentiel de ces technologies. Internet est extrêmement important pour les entreprises, et sa valeur n’a pas changé avec la conjoncture. Mais il est impossible d’appréhender un tel changement sans faire d’erreur. La procédure d’apprentissage est itérative, et nous sommes dans une phase de retour d’expérience. De plus en plus, la valeur ajoutée est entre les mains de partenaires, et l’inefficacité trouve son origine dans les relations entre les acteurs. Seule une meilleure communication peut y remédier. Et, pour cela, internet se révèle justement un extraordinaire outil.Quelle évolution voyez-vous dans les années à venir ?Sanjiv Sidhu : Je pense que les PDG seront de plus en plus impliqués dans l’opérationnel. Cela signifie que certains dirigeants seront moins focalisés sur la stratégie à long terme et que le seul respect des budgets ne suffira pas à les contenter. La vitesse devenant prépondérante, les méthodes de management traditionnelles sont inadaptées au pilotage de l’entreprise. Il faudra détecter plus rapidement les événements susceptibles d’avoir un impact sur l’entreprise, être en mesure de décider et d’agir rapidement, et pouvoir transmettre facilement les directives. Ce sont les trois étapes que nous estimons être primordiales à l’avenir. Les outils devront se rapprocher des managers et suivre les processus de détection, de décision et d’exécution. Les projets qui fonctionnent le mieux sont ceux vendus à un groupe de personnes ayant une véritable volonté de changement. Si le PDG en fait partie, c’est encore mieux. Mais ce qui est vraiment capital, c’est la capacité des personnes en charge du projet à mener ce changement.(1) Le concept de MRP II (Manufacturing Resources Planning) a succédé au MRP (Material Requirements Planning), dont il élargissait le spectre. Il s’agit d’outils robustes, exclusivement dédiés à la planification industrielle.(2) L’American Production and Inventory Control Society (Apics) est un grand organisme de formation professionnelle américain, spécialisé dans les métiers liés à la production.

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Jean-Baptiste Dupin