Napster ne frémissait plus. Cette fois, le hors-la-loi de la Nouvelle Frontière, le desperado traqué par tous les shérifs du grand Capital, était mort. Le Monde l’avait même enterré dans un bel édito drapé de noir, écrit avec la mine de circonstance, celle qu’on utilise en général pour les bandits au grand c?”ur, les Robin des Bois, ceux qui volent avec classe et générosité. Car Napster n’était pas l’ennemi, juste un Arsène Lupin de l’internet, un gentleman-cambrioleur des fichiers musicaux. Napster ou le site-symbole du jeune web, lorsque celui-ci se voyait comme le dépositaire d’une nouvelle économie, plus libre, moins liée à ce que Marx appelait “le caractère fétiche de la marchandise”, où, par leur nombre croissant, des fédérations de consommateurs renversaient la valeur d’usage et d’échange des produits. Shawn Fanning avait 18 ans lorsqu’il eut l’idée de combiner un système de compression numérique (MP3) avec un logiciel d’échanges. Il voulait que les gosses puissent troquer des fichiers musicaux comme ils le font avec des billes dans la cour de récré. Ce faisant, il inventait une économie qui tirerait sa force non plus du consommateur (le gosse), ou du produit (la bille), mais du lieu du troc (la cour de récré). On ne le dira jamais assez : Fanning a failli révolutionner le monde. Mais, aussi sévère qu’un proviseur ayant voté Chevènement, l’ancienne économie a sifflé la fin de la récréation et mis le galopin au piquet. C’en était terminé du marché régi par d’autres lois que celles qu’il avait connues, on avait abattu Napster en plein hold-up idéologique. Mais, ô surprise, Napster ressuscite. Bertelsmann injectant huit millions de dollars dans l’utopie décatie. Non sans se proposer de rééduquer le délinquant : “Napster sera en pointe pour trouver un modèle d’affaires qui respecte le copyright, récompense les artistes et offre du divertissement aux consommateurs”, a déclaré le patron américain du géant des médias. Respect, récompense, offre… La déclaration a été pesée. Tous les mots de l’ordre moral économique y sont. Circulez, il n’y a plus rien à voir : Napster nest ni vivant ni mort, mais le rêve a vécu.*Journaliste et essayiste
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