Il y a cinq ans, 90 % des communications ne duraient que quelques minutes. Désormais, une part grandissante dure plusieurs heures et est constituée essentiellement d’échanges de données vers Internet. Elles saturent les coûteux systèmes conçus uniquement pour la voix. Dès lors, les opérateurs se sont employés à dévier le trafic de données vers des commutateurs spécialisés. Les analystes estiment que si, jusqu’à présent, le trafic de données n’avait occupé que peu de bande passante, il devrait consommer 95 % de toute la bande passante disponible en 2005 !
Aux géants des télécoms, les petits génies de la commutation IP
Cette évolution explique la ruée des équipementiers historiques vers les petits génies de la commutation IP. Alcatel a payé le prix fort pour s’offrir Packet Engine et Xylan ; Ericsson a racheté ACC et Torrent Technologies, tout en misant sur Juniper Networks, tandis que Lucent s’enorgueillit des acquisitions d’Ascend Communications et de Nexabit. Nortel Networks a raflé Bay Networks, et Siemens a créé Unisphere en réunissant des start-up telles que Castle Networks et Redstone, achetées à prix d’or. D’autres start-up tentent encore leur chance, seules, à l’instar d’Ennovate Networks, qui s’attaque à l’Europe.Depuis ces rachats en cascade, le trafic de données explose, tandis que la voix ne progresse que dans de faibles proportions. A terme, pourquoi ne pas transférer tout le trafic téléphonique vers des supercommutateurs de données ? Cisco Systems pose cette question à ses clients opérateurs. Mais, Nortel Networks est, lui, passé à l’acte le premier en déployant un réseau téléphonique tout IP, en Espagne, pour BT. Cisco n’en poursuit pas moins sa stratégie d’encerclement en gagnant, à coups d’échanges d’actions, l’appui des cabinets de conseil et des sociétés de services les mieux cotés auprès des opérateurs et des grandes entreprises. Ses récents investissements auprès de KPMG et de Cap Gemini en témoignent. Il s’agit de former une force de vente que rien n’arrête sur la voie de la nouvelle économie.Les flux de données, devenus incontournables, drainent donc les technologies novatrices dans leur sillage. La diminution des revenus, avec la concurrence sur la téléphonie, et la nécessité d’une réduction des frais d’exploitation ont déjà conduit les opérateurs à une transformation partielle de leur parc de commutateurs. Celle-ci se fait sur la base d’une intégration croissante des réseaux IP. Cegetel, le numéro deux français des télécommunications, fait reposer l’essentiel de son développement futur sur ce créneau. Les flux Internet ” gratuits “, fédérés par les FAI, sont encore souvent canalisés en parallèle des réseaux professionnels des opérateurs, mais ce ne sera bientôt plus le cas. Les communications à moindre coût ont favorisé la multiplication d’applications IP, du portail d’entreprise aux échanges du commerce électronique, et le potentiel est énorme.
Une première mutation qui annonce une métamorphose
Les opérateurs en place souhaitent verrouiller ce trafic avant que de nouveaux entrants, dotés de simples réseaux en fibre nue, mais équipés de passerelles IP sur SDH (Synchronous digital hierarchy), ne cannibalisent une bonne partie de cette manne. Mais le problème est complexe, car il s’agit de faire cohabiter des passerelles hétérogènes avec l’existant avant de remplacer, à terme, les gros commutateurs traditionnels, dits de classe 5, conçus essentiellement pour la voix en mode circuit. Paradoxalement, cette évolution vers IP n’est pas une révolution, car, depuis toujours, les réseaux ont dû régulièrement muer pour accueillir de nouveaux trafics.Dans les années 80, la plupart des grandes entreprises se sont ainsi équipées de liaisons spécialisées, afin de réduire leurs coûts téléphoniques et sécuriser leurs échanges de données. Les réseaux privés X.25, où la sécurité et le routage sont intégrés, ont rencontré la faveur des banques et des assurances. Ils ont permis le développement d’un très grand nombre de services en France, tout particulièrement le Minitel, qui s’est appuyé sur ce réseau, dès le début des années 80, autorisant l’ouverture de services comparables, dans l’esprit, à ceux offerts dix ans plus tard sur Internet. En ce qui concerne la téléphonie, les mutations n’ont pas cessé non plus.Ces mêmes années ont été marquées par les multiplexeurs temporels (TDM, Time division multiplexing) associant les flux voix et données dans un même tuyau. Ce fut ensuite au tour des réseaux Frame Relay de s’imposer. Aux Etats-Unis d’abord, et progressivement dans les pays en voie de développement et en Europe, car sa sécurité était inférieure à celle du X.25. Malgré ses lacunes, le Frame Relay répondait au besoin en bande passante lors de l’interconnexion de réseaux locaux distants. Les passerelles de voix sur Frame Relay se sont alors multipliées, souvent à l’insu des opérateurs, et jusqu’à ce que certains d’entre eux se décident à ouvrir officiellement des services de ce type.
Le transport des données, structuré autour de la qualité de service
Désormais, le vent a tourné et c’est au tour des réseaux IP d’être infiltrés insidieusement par la téléphonie. Ce nouveau marché devrait atteindre les 15 milliards de dollars en 2003, selon les analystes du cabinet d’études Piper Jaffray. Des chiffres qui motivent l’empressement d’une multitude d’intervenants.Au c?”ur du réseau des grands opérateurs, les infrastructures SDH, au début des années 80, convoyaient l’essentiel des communications, qu’il s’agisse de données ou de voix. Pour mieux gérer la congestion et faciliter l’optimisation des trafics, la commutation ATM s’est peu à peu installée à partir du milieu des années 90. Car il ne s’agit pas tant de transporter les données que de maîtriser la qualité de service autour de ces transferts. ATM pouvant se superposer au trafic SDH, leur combinaison est devenue un gage de sécurité. Le rachat récent de Newbridge par Alcatel témoigne du succès de la formule.
Alcatel, de l’aveu même de son PDG, Serge Tchuruk, souffrait d’une offre étroite dans le domaine ATM. Avec Newbridge, son offre opérateur devient incontournable, même si elle reste perfectible en ce qui concerne IP. L’accumulation de technologies, répondant à la nécessité de proposer des services de téléphonie adossés à des services de données différenciés ?” lignes louées, X.25, Frame Relay, ATM et accès Internet ?”, a conduit les opérateurs historiques à juxtaposer des équipements distincts pour chaque réseau. Cela oblige à prévoir de vastes espaces de stockage, à utiliser de multiples logiciels de surveillance et à mettre en place des équipes techniques dédiées.Les services téléphoniques, eux, réclamaient des commutateurs de classe 5, de plusieurs millions de dollars pour des options avancées tels que les numéros Vert, le transfert d’appels, l’assistance ou les téléconférences. Si les locaux techniques des opérateurs télécoms (central offices) ont accueilli sans rechigner cette hétérogénéité, la commutation de paquets devrait permettre de transporter tous ces types de trafics sur un seul c?”ur de réseau.
Les cycles de développement ultracourts dans le monde Internet
La première génération des central office souffre d’un autre mal, souligne Infonetics Research, un cabinet d’études californien : les délais très longs nécessaires au déploiement de nouveaux services. Les applications doivent, en effet, être programmées sur les commutateurs téléphoniques ou sur des n?”uds spécifiques, les Service control points (SCP), fournis par l’équipementier. Les modifications prennent alors des années, tandis que les coûts associés s’envolent. En comparaison, les applications Internet sont réalisées en quelques semaines, à moindres frais et sur des matériels banalisés.L’irruption de la téléphonie en mode paquets devrait réduire de façon importante ces cycles de développement. On retrouvera, alors, les services traditionnels de la téléphonie ?” messagerie vocale, renvoi d’appels, identification de l’appelant, etc. ?” enrichis par la fusion d’Internet avec la voix. Avec le WebAlert, le réseau téléphonique préviendra d’un événement survenu sur le Web, tandis que, avec le WebCall, on téléphonera sur Internet via une page Web. Pour Infonetics Research, une deuxième génération de central offices est émergente. Elle associe certaines fonctions telles que le routage IP et la commutation ATM, ou les commutations Frame Relay et ATM, ou bien encore, la commutation téléphonique TDM et la commutation ATM. Ces nouveaux châssis sont proposés par des start-up comme Sonus Networks, Taqua Systems, Castle Networks ou Salix Technologies. Apparaît alors un nouveau composant féderateur : le softswitch. Véritable chef d’orchestre, ce logiciel, hébergé sur une station de travail ou au c?”ur des commutateurs, contrôle les services offerts par le réseau.Un des derniers arrivés, Tachion Networks, apporte un niveau d’intégration ultime en réunissant toutes les fonctions d’un central office dans un seul système. Critiquant les offres de Sonus et de Salix, qualifiées de ” propriétaires “, Tachion pousse son Fusion 5000 Broadband Services Switch, qui, pour sa part, associe commutations Frame Relay, ATM, IP à des services de téléphonie pour un raccordement sur une boucle SDH. Son atout est le déploiement rapide de réseaux multiservices. Un argument qui fait mouche auprès des nouveaux opérateurs, contraints d’agir dans l’urgence.
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