Les Européens sauront-ils se donner les moyens de défier les États-Unis sur le plan de la technologie ? “Oui, mais à condition de changer de stratégie”, répond la Commission européenne dans son sixième Programme cadre de recherche et développement (PCRD), en cours de discussion au Parlement de Strasbourg. Tous les quatre ans, le PCRD définit en effet les grandes orientations de la politique de recherche européenne. Pour le programme 2002-2006, actuellement examiné en première lecture par les eurodéputés, les technologies de l’information représentent, avec 3,6 milliards d’euros (23,6 milliards de francs), le premier poste de dépenses et la seconde priorité de la politique de recherche de l’Union européenne, derrière la science génomique.
Nouveaux terrains de conquête
Un effort budgétaire qui s’inscrit dans la continuité des plans précédents, mais qui inaugure une nouvelle stratégie de filière, grâce à laquelle l’Europe compte donner la réplique aux Américains à l’horizon 2010. “Nous avons fait le choix de concentrer notre aide sur les investissements à haut risque de l’ère post-PC”, annonce, conquérant, Gérard Comyn, responsable des programmes recherche et développement à la direction générale pour la société de l’information.Le diagnostic est clair : l’Europe doit accepter de s’être laissée distancer dans la première génération de technologies symbolisées par la domination de Microsoft dans le “package software” (logiciels). Elle doit en revanche investir dans la construction d’un nouveau secteur industriel, fondé sur son avancée technologique dans l’environnement mobile. Une stratégie de la sélectivité et de l’anticipation, seule capable, explique-t-on à Bruxelles, de contre-balancer la puissance d’investissement américaine (les États-Unis investissent trois fois plus que l’Europe dans la recherche high-tech). En ligne de mire, le réseau nouvelle génération, le “next generation web” : reconnaissance vocale et interface gestuelle, agents communicants embarqués, géolocalisation et miniaturisation des puces et des terminaux d’accès. “L’objectif est de rendre invisible l’interface machine et de favoriser un usage naturel et sans effort des technologies”, explique Gérard Comyn. Pour la Commission, c’est le sens historique de la technologie made in Europe, mère de la mobilité avec la norme GSM et la première interface grand public sur internet avec le World Wide Web.
Un volet prioritaire
“La Commission européenne a un rôle clé à jouer pour l’émergence des technologies d’internet deuxième génération en Europe”, explique Bertrand Heynard, directeur financier de Cybion. La société développe un agent conversationnel(*) en langage naturel, pour lequel elle a obtenu une aide communautaire dans le cadre du cinquième PCRD. “Les banques et les capital-risqueurs ne sont pas prêts à financer seuls ces projets”, ajoute-t-il. Reste que les financements européens ont encore du mal à intégrer les sociétés émergentes qui, en raison de leur petite taille, ne sont pas bien représentées à Bruxelles. “Aujourd’hui, les grands groupes ont de plus en plus tendance à sous-traiter la recherche à des PME qui manquent de visibilité européenne”, assure Laurent Balaine, PDG de Telisma, une société spécialisée dans les technologies de reconnaissance vocale.Pour la Commission, le principal levier d’action des hautes technologies en Europe reste la mise en réseaux des programmes de recherche nationaux et la mise en place d’une grille européenne des ressources informatiques (lire ci-dessous). C’est, à Bruxelles, le volet “prioritaire” à partir duquel doit se structurer l’Espace européen de la recherche, tel qu’il sera annoncé à Dusseldörf, en Allemagne, le 4 décembre prochain, par Philippe Busquin, le commissaire européen à la Recherche.(*) Un agent conversationnel est un agent intelligent, c’est-à-dire un programme informatique autonome, évolutif et mobile, proposant à son utilisateur une interface représentée sous la forme d’une ” tête parlante ” et fonctionnant par le dialogue : l’utilisateur émet des requêtes et l’agent conversationnel lui répond.
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