Derrière le singulier de la « reconnaissance faciale » se cachent différents usages. « Pour un débat à la hauteur des enjeux », la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) fait le point, dans une note publiée le 15 novembre, sur une technologie qui suscite autant de fantasmes que d’inquiétudes. L’autorité indépendante plaide pour un encadrement législatif strict pour cette technologie – pour l’instant hors cadre.
Deux motifs : authentification ou identification
Cette technologie biométrique de reconnaissance des visages peut remplir fondamentalement deux objectifs : l’authentification ou l’identification. Autrement dit, la reconnaissance faciale peut être une simple comparaison de visages ou une captation d’une physionomie au milieu d’une foule. La Cnil rappelle, par ailleurs, qu’il s’agit d’une méthode probabiliste d’estimation de correspondance entre deux visages. Donc, qui inclut une marge d’erreur.
La Commission insiste également sur le fait que la reconnaissance faciale n’est pas synonyme de vidéo intelligente. Elle distingue les vidéos dites « intelligentes » qui sont capables de détecter les visages et la reconnaissance faciale qui est une fonctionnalité logicielle, et peut donc agrémenter des appareils divers et variés : caméras, base de données photos, logiciel de traitement vidéo, etc.
Reconnaissance faciale partout, protection nulle part ?
Une fois cet effort de cadrage fait, l’autorité indépendante s’attache à analyser les usages afin de délimiter les expérimentations qui se multiplient. Du commercial à la sécurité publique, la Cnil établit une classification des usages selon quatre critères : le degré de contrôle de leurs données personnelles, leur marge d’initiative, les conséquences qui en découlent et l’ampleur du traitement mis en place. Ce qui permet de respecter les deux notions clés du RGPD, à savoir le libre consentement et la proportionnalité.
Parmi les usages qui sollicitent l’authentification, la Cnil énumère les applications domestiques, largement plébiscitées (par exemple pour déverrouiller nos smartphones), mais aussi d’accès à un service tiers public ou privé (l’application publique Alicem) ou à un service commercial à distance (l’ouverture d’un compte en banque) et, enfin, le contrôle d’accès physique à un lieu – c’est ce qui est déjà en place pour passer les douanes (programme international PARAFE).
6⃣ Troisième objectif : rappeler le cadre s’imposant aux dispositifs de reconnaissance faciale et à leurs expérimentations. Tout usage, y compris expérimental, de la #ReconnaissanceFaciale devra donc respecter ce cadre juridique modernisé. pic.twitter.com/9V7krsuyhQ
— CNIL (@CNIL) November 15, 2019
Ces usages centrés sur l’authentification d’un visage ne posent pas les mêmes enjeux que ceux soulevés par les procédés de l’identification, c’est-à-dire la captation d’un visage sans démarche active de l’usager.
Ce n’est pas un traitement « anodin »
Par ailleurs, l’identification, elle-même, peut donner lieu à des applications nombreuses et plus diverses. Jusqu’à présent, parmi les cas d’usages constatés ou envisagés en France ou ailleurs en Europe, la Cnil évoque notamment les applications suivantes : la reconnaissance automatique de personnes présentes sur une image aux fins d’identifier (par exemple sur Facebook) ; l’accès à des services, certains distributeurs de billets reconnaissant leurs clients par comparaison à leur base de données ; le suivi des déplacements d’une personne dans l’espace public ; ou encore la recherche de l’état civil d’une personne non identifiée (par exemple le Traitement des antécédents judiciaires mis en place en France).
Après ce listing exhaustif, la Cnil souligne les risques pour les citoyens. Du fait de la nature sensible et intime des données collectées (le visage), la reconnaissance faciale soulève des interrogations quant à la sécurisation du stockage de celles-ci. Ce n’est pas un traitement « anodin ».
Mise à mal du droit à l’anonymat
Le deuxième constat que pose l’autorité indépendante est que cette technologie sans contact est potentiellement omniprésente. En termes de risque, cela se traduit comme un potentiel contrôle à distance, tout le temps et à l’insu des citoyens. Ce qui est exacerbé par l’hyperexposition de soi sur les réseaux.
La préservation du droit à l’anonymat dans l’espace public est ainsi mise à mal. Cette technologie nous interroge sur les méthodes de surveillance utilisées par l’État. Cela impliquerait un changement de paradigme en tant que société. Dans le flux des données récoltées, on cherche de manière « indifférenciée » et non plus « ciblée ».
Cette inversion s’observe déjà dans de nombreux domaines. L’article 57 du Projet de loi finances 2020 veut permettre au fisc et aux douanes de collecter en masse les données personnelles publiées publiquement.
La Cnil rappelle : « Il n’existe aucune règle obligeant chacun à être identifié ou à s’identifier chaque seconde où il circule dans l’espace public ». Avant d’abonder : « Les atteintes à cet anonymat, par les pouvoirs publics ou par des organismes privés, sont ainsi susceptibles de remettre en cause certains de nos principes fondamentaux et doivent dès lors faire l’objet d’une réflexion approfondie ».
Une technologie encore trop faillible et onéreuse
L’ensemble des biais mis en exergue induisent, selon la Cnil, des limites techniques indépassables. Pour les avantages espérés, elle juge que la reconnaissance faciale est trop faillible et onéreuse en l’état. Et alerte sur ces points de vigilance à garder à l’esprit :
« Le coût économique des dispositifs de reconnaissance faciale doit à cet égard être très précisément documenté. Il pèse le plus souvent sur les collectivités territoriales ou sur les pouvoirs publics, dans un contexte global de rationalisation de la dépense publique, sans que le retour sur investissement soit toujours mesuré avec précision et méthode », écrit l’autorité indépendante.
La note de la Cnil a le mérite de dessiner les contours d’une technologie aussi complexe dans sa nature que diverse dans ses utilisations. Ce que devra prendre en compte le futur texte d’encadrement. Son ambition est de planter les jalons d’un débat national désormais urgent.
Source : Cnil [PDF]
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