Croissance économique inégalée, population démesurée, Internet géant. Et si demain, c’était la Chine le nouveau maître du réseau mondial ?
Imaginez un pays où 485 millions de personnes sont déjà sur Internet, mais dont plus de la moitié de la population n’est pas connectée et où près de 320 millions d’internautes accèdent au réseau en mode mobile. Un pays qui découvre les joies du microblogging en multipliant par quatre le nombre d’utilisateurs en six mois, pour atteindre près de 200 millions d’inscrits, et où pratiquer l’e-commerce est devenu aussi courant que d’aller à l’épicerie du coin. Ce pays, c’est la Chine, qui affiche une Toile en pleine santé, à la hauteur de sa croissance économique et de son territoire. Alors que le réseau local reste à la fois connecté de manière minimale au reste du monde et qu’il est surveillé de très près (lire l’encadré ci-contre) .
L’émergence d’acteurs locaux Vus de chez nous, ces chiffres démesurés donnent vite le tournis, mais ils ont surtout pour conséquence l’émergence d’acteurs locaux devenus en quelques années des géants de l’Internet à la chinoise. Moteurs de recherche, réseaux sociaux, plates-formes de microblogging ou encore d’e-commerce “ made in china ” ont ainsi réussi à s’imposer face aux grands noms de la Toile mondiale. Des géants qui lorgnent pourtant sur le juteux marché local et ont, souvent avec peu de succès, tenté de le pénétrer, à l’image de Google, Yahoo! ou eBay.Pourquoi ont-ils échoué dans l’empire du Milieu ? Pourquoi les entreprises chinoises ont-elles mieux réussi ? Quelles sont leurs spécificités ? Comment font-elles pour séduire les internautes locaux ? Ont-elles des ambitions au-delà de la Chine ? Un petit tour d’horizon comparatif s’impose pour mieux comprendre l’Internet en Chine et l’émergence d’entrepreneurs locaux dont on n’a pas fini d’entendre parler.
Une toile dans la Toile Contrôle de l’information ou chasse aux dissidents, les autorités chinoises ne sont pas près de changer leurs habitudes et ont aménagé l’accès local à Internet en conséquence. Résultat : plutôt qu’un réseau ouvert sur le monde, Pékin a mis en place un système qui ressemble à un immense intranet sous haute surveillance et connecté a minima vers l’extérieur. Physiquement, le pays est relié par fibre optique au réseau mondial via un câble sous-marin en provenance du Japon et un autre venant de Hongkong. A ces deux points d’entrée, un imposant pare-feu, également appelé la grande muraille numérique de Chine, a été mis en place. Chaque requête vers l’extérieur y subit un filtrage sophistiqué et pourra être bloquée si elle pointe vers des contenus prohibés contenant des termes suspects comme “ Tibet libre ” . La censure chinoise s’adapte vite aux nouvelles technologies permettant de contourner ce pare-feu, bloquant proxy et autres VPN encryptés à mesure qu’ils apparaissent. Un jeu du chat et de la souris qui devrait continuer avec les progrès informatiques incessants. En interne, sur le méga-intranet chinois, la situation n’est guère meilleure. Des dizaines de milliers de fonctionnaires scrutent en permanence la Toile locale alors que les sites fournissent sans sourciller les informations pour remonter vers les “ cyberdissidents ” et font de l’autocensure pour éviter tous problèmes. Dans ces conditions, on comprend mieux que les internautes chinois privilégient l’aspect ludique d’Internet plutôt que la possibilité d’y exprimer une opinion ou d’y chercher une information pertinente !
Baidu versus Google Pas de Web sans moteur de recherche et pas d’Internet en Chine sans Baidu, le moteur préféré des Chinois. Créée en 2000 par Robin Li et Eric Xu spécifiquement pour les recherches en mandarin, l’entreprise table sur son excellence locale. Son slogan de départ face à Google, “ Baidu connaît mieux le chinois ” , résume la stratégie. C’est donc parce qu’il était meilleur dès le début que le moteur s’est imposé pour truster aujourd’hui plus de 70 % des requêtes en Chine. Plus obéissant aux ordres de la censure, mais aussi plus prompt à proposer des liens de téléchargements quasi illégaux (MP3, DivX…), Baidu reste numéro 1 malgré un scandale lié à sa stratégie publicitaire. Fort de sa suprématie, le moteur chinois proposait en effet, jusqu’en 2009, d’acheter une place privilégiée dans les résultats sans pour autant avertir qu’il s’agissait de publicité. Conséquence : le site a fini par faire apparaître des distributeurs illégaux de médicaments en tête de classement, et s’est retrouvé au centre d’un véritable cyclone médiatique. L’entreprise a beaucoup perdu en crédibilité auprès des internautes chinois suite à cette affaire, mais reste la référence locale. Elle a depuis fait son mea culpa et un sacré ménage en vue d’acquérir une nouvelle respectabilité dont elle a besoin pour s’ouvrir à l’international. Baidu a ainsi annoncé récemment un partenariat avec Bing, le moteur de Microsoft, pour le traitement des requêtes locales en anglais et serait en pourparlers avancés avec Facebook.
Sina.com, le Yahoo! à la mode pékinoise “ Quel bazar incompréhensible ! ” serait certainement la première remarque d’un Occidental découvrant la page d’accueil de Sina.com. Et c’est bien là que réside la force de cette plate-forme, qui répond ainsi aux standards locaux du site Web. En comparaison, Yahoo! semble moins intuitif et plus pauvre en contenus aux yeux des internautes chinois.
Lancé en 1999 par Wang Yan, et dirigé depuis 2006 par Charles Chao, le portail s’est d’abord spécialisé dans l’information et l’actualité pour ensuite développer son offre autour de l’Internet social. Avec de très nombreux services (messagerie instantanée, blogs, plate-forme d’actualité, jeux…), l’agrégateur chinois revendique aujourd’hui pas moins de 280 millions d’utilisateurs enregistrés et plusieurs milliards de pages vues chaque jour. Une des stratégies gagnantes de Sina pour s’imposer en Chine est d’avoir su attirer des célébrités locales de tous bords qui y ont ouvert leur blog, ce qui n’a pas manqué de séduire le grand public. Parmi les nouveautés pour le groupe, l’incroyable succès de Sina Weibo, le site numéro 1 de microblogging en Chine (lire page suivante) .
Youku et Tudou, des YouTube sous contrôle mais pas trop… YouTube étant totalement censuré, la place était libre pour des sites locaux similaires. Les plus importants sont aujourd’hui Tudou.com et Youku.com , lancés respectivement début 2005 et fin 2006, et qui attiraient en 2010, pour l’un, 170 millions de visiteurs uniques par mois et pour l’autre, plus de 230 millions. Contrairement à YouTube, dont les contenus vidéo sont souvent produits par les utilisateurs eux-mêmes, Tudou et Youku sont plus centrés sur la diffusion d’émissions de télévision et de films. Cela tient surtout au fait que la censure locale analyse scrupuleusement les vidéos proposées par les internautes mais également à la manière dont les Chinois abordent ces services. Plus qu’un moyen d’expression personnel, les plates-formes de diffusion en ligne sont avant tout des lieux de divertissement qui viennent remplacer le poste de télévision. Ce qui explique que les sites chinois soient des pionniers en matière de publicité en ligne, de technologies liées à l’Internet mobile mais aussi de piratage ! Jusqu’à peu, il était très simple de visionner les dernières nouveautés hollywoodiennes ou du sport en direct sur Tudou ou Youku, car les autorités s’intéressent peu au respect des droits de propriété intellectuelle. Les deux sites affichent néanmoins des ambitions à l’international, en particulier pour lever des fonds, et sont obligés de se montrer plus vigilants pour éviter des poursuites hors de Chine. Le catalogue “ piraté ” a donc fondu rapidement ou n’est plus accessible pour les internautes étrangers, tandis que des négociations sont en cours pour obtenir des droits de diffusion appropriés. Plutôt que d’être totalement absentes du marché chinois en dehors du piratage, les productions internationales semblent préférer obtenir quelques revenus publicitaires en ligne et surtout gagner en visibilité sur la Toile locale. Il y a donc fort à parier que l’avenir de la vidéo et de la télévision à la demande passera par la case Chine, et que le reste du monde s’habituera vite à venir sur Tudou et Youku.
Sina Weibo, le Twitter puissance Chine Sina Weibo est sans doute l’exemple le plus frappant d’une réussite fulgurante sur la Toile chinoise. Twitter étant totalement censuré en Chine depuis juillet 2009, la plate-forme de microblogging de Sina.com pouvait s’étendre tranquillement. Et le PDG du groupe, Charles Chao, n’a pas attendu longtemps puisqu’il a lancé Sina Weibo dès le mois d’août de la même année ! Un an plus tard, le site annonçait 10 millions d’inscrits et affiche aujourd’hui le nombre époustouflant de plus de 140 millions d’utilisateurs. Sina Weibo capte donc l’essentiel des 200 millions de microbloggeurs chinois, bien loin de ses concurrents locaux comme Sohu. Les raisons de ce succès sans précédent ? En premier lieu, le recours à une technique éprouvée sur Sina.com, à savoir la pêche aux célébrités. Pop stars, acteurs célèbres, animateurs de télévision, mais aussi représentants de l’Etat et entrepreneurs de renom, sont aujourd’hui dans le top 10 des comptes VIP et ultrasuivis sur Sina Weibo. Même Tom Cruise a désormais son compte, un signe qui ne trompe pas ! Autre raison du succès de ce site, des services adaptés et prisés des internautes locaux, comme la possibilité d’échanger des images et des vidéos ou encore de participer à des jeux en faisant suivre des messages promotionnels. Plus globalement, l’échange de messages courts convient bien à la fois à la langue et à la culture chinoise. On dit beaucoup plus de choses en 140 idéogrammes qu’en 140 caractères latins et les conversations du type “ Tiens, il fait beau ” , “ Ah, tu es revenu ? ” … font partie de la vie courante dans le pays. Fort de son succès local, Sina Weibo s’imagine déjà aux commandes du microblogging à l’échelle planétaire et a annoncé le lancement d’une version en anglais d’ici la fin de l’année.
Taobao terrasse eBay Créé par Jack Ma, le fondateur du fameux site d’e-commerce pour professionnels Alibaba.com , Taobao.com s’est imposé aujourd’hui comme la plate-forme de référence pour la vente en ligne entre particuliers en Chine. Le site représentait 2,5 % du total des ventes au détail du pays en 2010, ce qui en fait le plus grand supermarché d’Asie, loin devant des géants de la distribution classique en Chine, comme Carrefour. Au lancement de Taobao en 2003, la version chinoise d’eBay captait pourtant 80 % du marché avec des moyens financiers bien supérieurs. La recette pour battre l’américain ? Faire exactement l’inverse pour mieux répondre aux attentes des clients chinois. Le point le plus important étant sans doute la gratuité des services de base pour tous, alors qu’eBay faisait payer les vendeurs, sans oublier la possibilité de contacts directs entre acheteurs et vendeurs, interdits par le groupe de San Jose. Avec ses 370 millions d’utilisateurs à la fin 2010, Taobao cherche aujourd’hui à se diversifier et cible les marques reconnues avec Taobao Mall. Lancé en 2008, ce service propose une plate-forme de vente en ligne vers les particuliers aux grandes enseignes locales et internationales, comme Adidas, Gap… Un concept particulièrement attrayant, d’autant que les achats groupés en ligne sont très à la mode en ce moment en Chine. La suite logique pour Taobao, c’est l’ouverture à l’international, mais le groupe privilégie pour le moment le développement de son empire en Chine avant de partir à la conquête de l’e-commerce mondial.
Kaixin, RenRen et Douban, les Facebook du Céleste Empire Avec son demi-milliard d’utilisateurs, Facebook fait partie des rares sites à pouvoir rivaliser avec la Toile chinoise mais, bloqué depuis 2009, il reste l’un des grands absents en Chine. Un vide qui, une fois de plus, s’avère bénéfique pour des entreprises locales puisqu’il existe aujourd’hui non pas une, mais plusieurs copies plus ou moins conformes du site de Mark Zuckerberg. Les deux réseaux sociaux les plus utilisés s’appellent RenRen et Kaixin001, lancés respectivement en 2006 et 2008. Avec une base de plus de 100 millions d’utilisateurs, RenRen est prisé des étudiants et collégiens chinois, qui ont plébiscité ses jeux en ligne, comme Farmville, où le but est de cultiver virtuellement des légumes et surtout de dévaliser les potagers de ses amis quand ils sont absents. De son côté, Kaixin001 attire les jeunes cols blancs chinois des zones urbaines et annonçait plus de 50 millions d’utilisateurs en 2010. Malgré un design plus sobre que RenRen, le réseau doit son succès à un engouement identique pour les jeux en ligne et a repris des applications très populaires sur Facebook, comme Sell your friends, qui permet tout simplement de vendre ses amis au plus offrant… Les deux réseaux sont actuellement en perte de vitesse, dépassés par le phénoménal succès de Sina Weibo, et vont devoir se montrer innovants pour convaincre à la fois le public local et les investisseurs. Hybride mutant entre Facebook et Myspace, Douban est un réseau social chinois, lancé en 2005, spécialisé en culture (musique, cinéma, littérature). En 2010, il revendiquait déjà 30 millions d’utilisateurs. Pas d’écoute ou de visionnage en direct sur Douban, contrairement à Myspace, car le site se veut avant tout une plate-forme de débats et un relais en ligne pour une culture urbaine alternative émergente dans le pays. Un positionnement qui lui vaut d’être particulièrement scruté par la censure locale. Si cette dernière accepte timidement les spectacles alternatifs, elle ne veut pas entendre parler de discussions autour d’œuvres “ déviantes ” abordant des sujets tabous comme les massacres de Tian’anmen en 1989 ou la corruption des autorités.
🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp .