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La Bourse va faire monter les prix des “semis”

Les investisseurs font pression sur les sociétés de semiconducteurs pour qu’elles augmentent leurs bénéfices. Ils finiront par avoir gain de cause… au détriment des acheteurs.

Il existe des modes en Bourse comme ailleurs, et le monde industriel est de plus en plus condamné non seulement à en tenir compte, mais aussi parfois à les subir. Jusqu’en 2000, les investisseurs n’exigeaient aucun
dividende des sociétés technologiques, par essence en forte croissance : un dollar non versé en dividende était en effet réinvesti par les sociétés, ce qui contribuait à accélérer leur croissance, donc à augmenter la plus-value réalisée lors de
la revente des actions.En 2000, les financiers ont même entretenu les spéculations en acceptant d’acheter des actions à des niveaux correspondant parfois à plus de cent fois les bénéfices des sociétés. Le bien-pensant voulait alors que, demain, les
actions vaillent encore plus cher : ‘ pas question de louper de bonnes occasions de plus-values ‘.Presque tout le monde s’est fait surprendre par le retournement. Que s’est-il passé depuis en Bourse pour les sociétés de semiconducteurs ? La première réaction a plutôt été de se dégager d’un secteur à la
santé aussi aléatoire, donc dangereux : les cours se sont écroulés.Pendant trois ans, les investisseurs ont attendu un ‘ retournement ‘… qui a fini par arriver. Mais, déception, ce retournement, dit ‘ de 2004 ‘, n’a pas donné lieu à des
bénéfices plantureux, loin de là. Or, malgré cela, 95 % des analystes du secteur évoquent dès maintenant un ‘ haut de cycle déjà derrière nous ‘. Ils expliquent à qui veut l’entendre que le
semiconducteur est devenu une industrie mature, avec une croissance de long terme désormais à un chiffre.Ce secteur devient donc comparable à d’autres secteurs de croissance semblable, la pharmacie par exemple. Et les investisseurs de découvrir que, dans ces conditions, même aujourd’hui, les actions du semiconducteur coûtent
plus cher en Bourse que les autres.Ils n’ont pourtant pas vraiment envie de se dégager du secteur. Ils sentent bien, intuitivement, que le potentiel reste énorme, même s’il est devenu de bon ton de ne parler que de cette future croissance à un chiffre.
D’où leur réaction : ‘ Messieurs les CEO, nous restons engagés auprès de vous, mais générez-nous du free cash-flow. ‘Pour les CEO en question, cela change tout : autrefois, les analystes avaient les yeux rivés sur les marges brutes, c’est-à-dire avant investissements (entre autres). Maintenant, ils doivent les avoir aussi sur leurs
bénéfices après investissements (entre autres également). Ce qui est lourd de conséquences : pour satisfaire le monde de la finance, ils taillent dans leurs investissements.Nous avons vu que le mouvement s’est engagé au début de cette année (voir notre numéro du 7 octobre). Depuis, ST a annoncé à son tour des baisses d’investissements, et même TSMC s’est montré très prudent sur ce
thème : le monde du semiconducteur risque d’investir non plus 25 % de son chiffre d’affaires à moyen terme, mais peut-être 17 % ou même moins. A une époque où, qui plus est, les prix des circuits sont faibles, donc les
chiffres d’affaires sous pression. Le sous-investissement devient patent.

Moins d’investissements = pénurie

La situation est-elle tenable ? Si la croissance de la demande en nombre de pièces se stabilisait, peut-être. Mais la croissance des secteurs consommateurs a retrouvé une forme historique depuis quelques mois ; nos lecteurs
réguliers le savent, nous ne croyons pas qu’un seul des secteurs porteurs traditionnels (informatique dont carte à puce, grand public, télécoms, automobile) puisse voir sa croissance passer en dessous de 10 % dans les mois à venir, sauf
peut-être les télécoms filaires. Ce qui correspond à au moins 14 % de croissance par an pour le nombre de semiconducteurs à livrer hors effets de stocks.Enfonçons le clou : à notre avis, nous n’avons pas encore atteint un haut de cycle car il n’y a eu ni vraie pénurie ni flambée des prix. Pour nous, 2002 et 2003 ont été seulement des années de récupération du crash de
2001. Ce n’est que depuis quelques mois qu’un nouveau cycle de croissance s’est engagé, avec ses petites fluctuations de conjoncture habituelles.Et comme le sous-investissement a été, et va être, notoire dans les mois qui viennent, la pénurie qui s’annonce dans un an ou trois risque d’être sévère : il faut se souvenir en effet que les sociétés de
semiconducteurs divisent leur budget investissement en trois parties : la mise à niveau de l’existant, l’extension des capacités en cas de forte demande, et enfin la création de nouvelles usines ; c’est ce dernier poste qui
va être touché, avec des conséquences à inertie de deux ans.Lorsqu’il y aura flambée des prix, les investisseurs se réjouiront sûrement a posteriori du bon tour qu’ils auront joué à cette industrie. Mais pas les acheteurs de semiconducteurs !* Directeur de la rédaction d’Electronique International HebdoProchaine chronique jeudi 25 novembre

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Jean-Pierre Della Mussia*