L’étude de l’ADN, de plus en plus automatisée, a permis d’accumuler un nombre important de données au cours des dernières années. En parallèle, l’informatique est donc devenue un outil indispensable. La tendance s’est accélérée avec les différents programmes de séquençage de génomes. Car il faut désormais analyser et décrypter l’énorme matériel génétique brut accumulé dans des banques de données. De fait, une nouvelle approche de la biologie est née, dite “bio-informatique” ou biologie “in silico”. Le terme s’est rapidement popularisé à l’aune des rêves et des sommes colossales qu’il pourrait générer pour l’industrie pharmaceutique. Certains évoquent même une pénurie de ressources dans ce secteur. Qu’en est-il exactement ?
Des offres d’emploi encore limitées en France
En regard de l’informatique de gestion, la demande reste limitée dans ce secteur. A titre d’exemples, les grands noms de l’industrie des biotechnologies ?” Rhobio, Biogemma, Aventis CropScience, etc. ?” et pharmaceutique ?” Pfizer, Aventis Pharma, etc. ?”, gros recruteurs potentiels, ont des équipes bio-informatiques constituées de plusieurs dizaines de personnes à l’échelon national. Leur structure grossit certes régulièrement, mais pas de façon exponentielle. “Entre la fin 2001 et le début 2002, l’embauche d’informaticiens a été d’environ cinq personnes”, indique ainsi Marie-Aude Julien, responsable des ressources humaines au centre de recherche et développement français de Pfizer, l’un des cinq plus grands industriels pharmaceutiques. Ce chiffre était sensiblement le même en 2001. L’activité bio-informatique proprement dite représente une quinzaine de personnes, dont trois chercheurs, pour un total de trois cent cinquante employés travaillant dans le centre de recherche.Chez Aventis Pharma France, on avance des chiffres du même ordre de grandeur. “L’équipe de bio-informaticiens se compose de trente-cinq à quarante personnes. Le plan d’embauche prévu, mais qui doit être révisé, en concerne pour l’instant quatre”, précise Luc Canard, responsable du département bio-informatique au centre de recherche parisien de la société franco-allemande. Pour expliquer ces chiffres plutôt modestes, Jean-Jacques Codani, président-fondateur de Gene-IT, société qui a développé un logiciel de comparaison de séquences commercialisé aux grands de l’industrie, indique : “Les cycles d’investissement en R&D de l’industrie pharmaceutique sont lents ?” de l’ordre d’une dizaine d’années. Les sociétés de biotechnologies de taille moyenne, c’est-à-dire comptant de trente à cent salariés, n’ont, quant à elles, pas pris la mesure des possibilités de la bio-informatique.”Dans la recherche publique, le recrutement est très spécialisé. Il est presque uniquement constitué de titulaires de doctorat, de préférence en bio-informatique. “La plupart de nos étudiants ne se voient d’ailleurs proposer que des CDD dans ce secteur”, constate Bernard Michot, responsable du DESS de bio-informatique de Toulouse, créé voilà deux ans et demi. Quant aux postes proposés, on en dénombre une vingtaine par an au concours du CNRS, et seulement un en 2001 à l’Inserm. Chiffres auxquels il faut néanmoins ajouter des postes d’accueil d’ingénieurs de grandes écoles pour des projets temporaires. Le principal vivier d’embauche est à chercher du côté des start up. Et notamment dans les huit génopoles implantées en France. Car les jeunes entreprises de biotechnologies échafaudent souvent leurs propres équipes de bio-informaticiens.
Deux profils principaux coexistent
Des sociétés éditrices de logiciels d’analyse ou d’extraction de données apparaissent également. Mais leur développement est encore trop limité pour que le marché de l’emploi décolle véritablement. Il est, de toute façon, difficile de dresser les contours de ce dernier, tant le personnel englobé sous l’appellation bio-informatique varie d’une société à l’autre. “La bio-informatique, personne ne sait vraiment ce que c’est, affirme sur le ton de la boutade Jean-Loup Risler, responsable du laboratoire du CNRS Génome et informatique à Evry. On y trouve une multitude de profils.” Néanmoins, de façon schématique, deux types de scientifiques, situés chacun à un bout du spectre de compétences, y coexistent. D’un côté, le biologiste qui, après un cycle d’études supérieures en sciences de la vie, a acquis un vernis informatique. Il est parfois baptisé “bio-analyste” pour souligner le fait que son rôle est dévolu à l’analyse directe des données issues du génome.De l’autre, on trouve l’informaticien sensibilisé aux structures du vivant et chargé de la conception et de l’intégration des logiciels et données : l’administrateur de bases de données, les spécialistes du workflow et de la gestion des connaissances, et, plus classiquement, l’administrateur de réseaux et des serveurs. Ils sont chargés d’intégrer des données hétérogènes et de les redistribuer à l’ensemble des chercheurs. Entre ces deux extrêmes, on trouve des spécialistes en biométrie (statisticiens), voire des physiciens pour certaines applications de modélisation développées dans le milieu académique. Cette diversité de profils est moins grande dans les grands laboratoires pharmaceutiques, qui privilégient le recrutement de thésards en bio-informatique pour leurs unités de recherche. Mais aussi, depuis peu, de bac + 5 à double compétence scientifique et informatique, tels les jeunes diplômés sortis des DESS ou DEA créés ces deux dernières années, qui enseignent à des étudiants en biologie les rudiments des langages Perl, Java et XML, très utilisés en bio-informatique.
Un besoin de plus en plus marqué en informaticiens
Les jeunes diplômés sont généralement intégrés, comme chez Pfizer, aux équipes informatiques. Ils interviennent en tant que support des chercheurs qui explorent les données issues du séquençage du génome humain, afin de trouver plus rapidement de nouvelles cibles thérapeutiques, et qui mesurent les abondances relatives de certains gènes.Si le développement de ce domaine ne se situe pas, pour l’instant, à la mesure des espérances, une pénurie de compétences existe bel et bien. Il s’agit d’abord des profils expérimentés, tels les chefs de projet à double compétence. Principale raison à cela : la plupart des formations (DESS ou DEA) informatique et biologie n’ont que trois ans d’existence. Mais la denrée rare est avant tout l’informaticien capable de comprendre les fondements de la biologie. Pourquoi ce besoin ? “D’abord parce que les volumes de données doublent plus vite que la puissance des processeurs. On manque d’outils d’analyse. Des programmes de plus en plus performants sont nécessaires pour les exploiter. Ce qui dépasse le cadre des compétences d’un biologiste formé à l’informatique”, estime Guy Vaysseix, directeur du centre de ressources Infobiogen. Ce besoin est en outre guidé par la nécessité d’intégrer des données biologiques fortement hétérogènes.Difficile toutefois, pour les entreprises du secteur, d’attirer des informaticiens. “L’informaticien ne pense pas spontanément à se diriger vers le domaine des biotechnologies”, analyse Marie-Jo Villegas, consultante du cabinet de recrutement Asymptotes Conseil. De plus, les perspectives de carrière ne sont pas aussi bien définies que dans l’informatique de gestion. Pour répondre à cette pénurie, des formations de niveau bac + 5 enseignant la biologie à des informaticiens se créent à leur tour. Reste à savoir si cet informaticien d’un nouveau genre va vraiment s’orienter vers ce secteur. On constate, en effet, une légère hémorragie du côté des biologistes récemment convertis à l’informatique en DESS. Beaucoup sont attirés par les salaires alléchants et les perspectives de carrière en SSII.
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