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L’ogre de la télé en ligne veut devenir incontournable dans le monde

Netflix, le site américain leader de la vidéo à la demande, prépare son arrivée en France. Mais son succès dans notre pays n’est pas assuré.

« Netflix doit devenir aux films ce que Starbucks est au café ». Nous sommes en 2002 et Reed Hastings, le patron de Netflix, ne cache pas ses ambitions au magazine Wired. Sa petite entreprise florissante de locations de DVD par correspondance vient alors d’entrer en bourse. Mais il ne compte pas s’arrêter en si bon chemin : Netflix doit devenir aussi incontournable dans le monde que la chaîne de cafés Starbucks. Dix ans plus tard, il est en passe de réaliser son rêve ! Doté aujourd’hui d’un site internet de vidéo à la demande sur abonnement (SVoD), Netflix est présent dans 51 pays et s’est même lancé depuis 2012 à la conquête de l’Europe en s’installant au Royaume-Uni, en Irlande, en Suède, au Danemark, en Norvège, en Finlande et aux Pays-Bas. La prochaine étape ? La France, probablement au mois de septembre !

Netflix multiplie les rencontres avec les représentants français

Le 4 mars dernier, le secrétaire général de Netflix David Hyman et le responsable des affaires publiques Christopher Libertelli ont été reçus à leur demande à l’Elysée par David Kessler, le conseiller audiovisuel de François Hollande. Dans la foulée, ils ont également rendu visite au directeur général de la Société des Auteurs Pascal Rogard. Des entretiens de courtoisie destinés à prendre un premier contact.

Et ce 7 janvier c’est Reed Hastings, le patron de Netflix en personne qui a sollicité une entrevue avec notre ministre déléguée l’économie numérique Fleur Pellerin sur le salon du CES de Las Vegas. Les émissaires du groupe ont même prévu de revenir dans une quinzaine de jours à Paris pour rencontrer les professionnels de l’audiovisuel et les institutions culturelles françaises.

De quoi faire trembler tous les professionnels du cinéma et de la télévision en France. Parce que Netflix a déjà séduit un vaste public à l’étranger et pourrait se révéler un concurrent redoutable. Fin décembre, il comptait déjà 44 millions d’abonnés dont 33 aux Etats-Unis. Et il ambitionne de franchir la barre des 48 millions dès le mois de mars.

Simple à utiliser sur tous les supports

Il faut dire que sa formule a de sérieux atouts. A commencer par sa simplicité et son confort d’utilisation. « Vous pouvez regarder autant de vidéos que vous voulez, quand vous voulez et où vous voulez », proclame Netflix à ses clients. Et c’est vrai : ce service de vidéo en streaming est accessible à tous moments sur de multiples supports : télévision connectée, ordinateur, tablettes, smartphones, Kindle et même console de jeu. Avec un accès illimité au catalogue de films et de productions TV.

Une sorte de Spotify ou de Deezer de la vidéo mais en plus abordable pour l’utilisateur : l’abonnement mensuel, sans engagement, coûte 6 euros aux Etats-Unis et 7,99 euros au Pays-Bas. Cela dit, à titre de comparaison, le même service proposé par Canalplay en France s’élève à 6,99 euros sur PC, Mac et iPad et 9,99 euros avec la TV en plus. Ce n’est donc pas sur les prix que Netflix pourrait faire la différence en France.

Une production audiovisuelle maison haut de gamme

Le nerf de la guerre, devrait être l’attractivité de ses programmes. L’entreprise est rentable et a les moyens de faire des acquisitions de programmes mais aussi d’investir dans des productions maisons. Et pas n’importe lesquelles ! Pour sa première série TV House of cards, diffusée en début d’année 2013, Netflix a visé dans le haut de gamme avec un budget qui aurait avoisiné les 110 millions de dollars. Résultat ? Un scénario haletant, une mise en scène léchée et des stars venues du cinéma comme David Fincher (Seven, Milenium) à la production ou encore Kevin Spacey dans le rôle principal. Un très joli coup médiatique qui a apporté à Netflix la respectabilité qui lui manquait. Et l’a fait entrer brusquement dans la cour des grands de Hollywood. Au point que Jeffrey Katzenberg, producteur et PDG de Dreamworks, cite désormais l’entreprise en exemple.

Aux Etats-Unis, le catalogue de Netflix comprend plus de 100 000 titres, séries TV et films compris. Mais le site doit aussi son succès dans les pays anglo-saxons à la mise à disposition de show TV populaires comme Top Gear. Une émission de la BBC sur le sport automobile déclinée dans de nombreux pays dont les Etats-Unis. Il faut dire que les téléspectateurs anglo-saxons ne bénéficient pas d’une offre gratuite aussi fournie que celle des Français en matière de télévision de rattrapage ou catch up TV.

Netflix pourrait obtenir les droits de séries US en exclusivité pour toute l’Europe

Plus inquiétant pour les chaînes de télé françaises, Netlifx a commencé à négocier des programmes en exclusivité à la fois pour les Etats-Unis et l’Europe. C’est le cas pour les derniers épisodes de Breaking Bad et le spin-off à venir de cette série Better Call Saul.

Non, Netflix n’est plus cet obscur loueur de DVD dont la notoriété s’était bâtie sur les petites enveloppes rouges qui acheminaient ses films par la poste ! Aujourd’hui, c’est un véritable géant de l’Internet, un studio de production et même une forme de pay TV, de télévision payante. Canada, Amérique latine, Caraïbes, pays nordiques, rien ne semble pouvoir lui résister. Et la France fait figure maintenant de proie de choix avec son public de cinéphiles. Sans compter un marché de vidéo à la demande en croissance qui a généré 251,7 millions d’euros de chiffres d’affaires en 2013, selon le baromètre NPA-Gfk. Seulement, voilà, Netflix tarde à pointer le bout de son nez. Tel l’irréductible village gaulois d’Astérix, notre pays commencerait presque à faire figure de forteresse imprenable vis-à-vis du mastodonte américain.

Voir le trailer de la saison 2 de la série House of cards :

Netflix va débarquer sur un marché déjà très concurrentiel en France

Il faut dire qu’en France, il ne sera pas le bienvenu. Toutes les sociétés qui proposent une offre vidéo basée sur le cinéma et les séries TV l’attendent à couteaux tirés. Ils craignent à juste titre de voir baisser leurs parts de marchés. A commencer par Canal plus dont le bouquet de chaînes payantes sur le satellite et le service Canalplay entreraient en confrontation directe avec Netflix. Pourtant, le groupe ne cède pas à la panique. « Nous ne craignons pas de bouleversement. Notre force est de rester généraliste et de proposer beaucoup de programmes inédits. Ce qui n’est pas le cas Netflix » nous avait confié en fin d’année dernière Manuel Alduy, le directeur cinéma du Groupe Canal plus.

Si Canal plus ne semble pas tétanisé, c’est que le marché est déjà ultra concurrentiel. Chaînes de télévision, services de VoD (paiement à l’acte) et de SVoD (abonnement), et même fournisseurs d’accès à Internet proposent déjà une offre fournie en matière de films et de productions télé. Pas sûr que Netflix arrive à se faire une place aussi facilement qu’au Royaume-Uni. D’autant qu’Amazon et Samsung étudient, eux aussi, la possibilité de lancer bientôt leur propre service dans notre pays… 

Une législation française contraignante

Autre frein à l’expansion de Netflix, la fameuse « chronologie des médias ». Un nom barbare pour une spécificité française : la réglementation des délais d’exploitation des films. Si Netflix était déjà en activité, il ne pourrait pas proposer de film plus récent que Black Swan avec Natalie Portman ….sorti en 2011 ! La règle pour un service sur abonnement : attendre 36 mois après la sortie salle pour présenter un film. Une contrainte dont ne souffrent pas les services par paiement à l’acte. Et une situation qui réjouit le groupe Orange, leader sur ce marché. « Nous présentons les films quatre mois seulement après leur sortie en salle. On propose donc un maximum de nouveautés dans notre catalogue », soulignait au mois d’octobre dernier Bernard Tani, directeur VoD chez Orange.

Des difficultés qui ne devraient pas décourager les Américains. Expert de ce marché et fondateur de l’agence What’s Hot, Pascal Lechevallier se montre convaincu de leur arrivée prochaine. Reste à savoir de quelle façon. « Il semble peu probable que Netflix s’allie, pour son lancement, avec un FAI parce que cela voudrait dire leur reverser de l’argent. On peut supposer qu’il choisira d’abord de lancer son site sur Internet ». Un choix qui comporterait malgré tout une prise de risque : le public français a pris l’habitude de consommer la télévision sur sa box dans le cadre d’offres commerciales triple ou quadruple play. Rien ne dit donc qu’il se laissera tenter par un abonnement mensuel supplémentaire à un site.

Netflix lancera-t-il sa version française depuis le Luxembourg ?

Reste une inconnue de taille : Netflix va-t-il choisir d’installer son siège social en France ou au contraire lancer sa version française depuis le Luxembourg comme il le fait déjà dans d’autres pays européens ? C’est la dernière option qu’a adopté, par exemple, son compatriote Apple pour s’affranchir de la TVA avec iTunes et se montrer plus concurrentiel. En outre, cette situation permet d’échapper au décret SMAD qui réglemente les services de médias audiovisuels à la demande. Et donc à toute une liste d’obligations comme celle de payer une contribution à la production audiovisuelle et cinématographique et de respecter un système de quotas d’au moins 40 % d’œuvres françaises. Mais dans ce cas, Netflix se mettrait à dos tous les professionnels français du cinéma et de l’audiovisuel.

Un scénario catastrophe qui ne convainc pas tout le monde. A la SACD, Jérôme Dechesne est chargé de défendre les droits des auteurs d’œuvres audiovisuelles. Et il ne croit pas, sur le long terme, à un hold-up de Netflix. « Je les vois mal rester en retrait de toute la profession. S’ils veulent faire des coups et proposer des œuvres françaises en exclusivité, ils vont devoir gagner le respect du milieu et cela passe forcément par la participation au financement de la production » envisageait-t-il en fin d’année dernière.

Et Reed Hastings semble lui donner raison. On doute qu’il ait voulu à tous prix rencontrer Fleur Pellerin et que ses émissaires reviennent prochainement à Paris pour se soustraire finalement à la légalisation française.

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Amélie Charnay