En presque trente ans, Tim Berners-Lee a vu son invention, le Web, tenir toutes ses promesses de libération de la parole et de révolution de la communication. Mais il a également été témoin de la montée en puissance de géants tentaculaires qui, s’éloignant d’une vision utopique, s’abreuvent de nos vies numériques pour grossir et faire fortune.
Voilà pourquoi le directeur du W3C travaille en sous-marin depuis plusieurs années sur un projet avec quelques comparses du MIT pour développer un outil, qui, espère-t-il, libérera le Web et ses utilisateurs.
Power to the people !
Solid est « un projet open source visant à restaurer le pouvoir et l’influence des individus sur le Web », écrit-il dans un post sur Medium. Comment compte-t-il s’y prendre ? En changeant « le modèle actuel où les utilisateurs confient leurs données personnelles à des géants numériques, […] comme nous l’avons tous découvert, ce n’était pas dans notre meilleur intérêt », explique-t-il avant d’affirmer le credo de sa nouvelle aventure. « Solid est la manière dont nous faisons évoluer le Web de façon à restaurer un équilibre – en donnant à chacun de nous le contrôle complet sur ses données, personnelles ou non, d’une manière révolutionnaire. »
Alors que Facebook comptait 2,23 milliards d’utilisateurs actifs au deuxième trimestre 2018 et que le scandale Cambridge Analytica a donné un bel aperçu de ce que à quoi pouvait servir le réseau social, l’urgence d’une telle action paraît évidente.
Pour la mener à bien, Tim Berners-Lee suit une voie qui troublera peut-être nos âmes de Français, puisqu’il crée une société commerciale, Inrupt, dont l’objectif est de porter le développement de Solid. Toutefois, l’ingénieur britannique espère bien que sa société ne sera que la première d’une multitude d’entreprises qui s’inscriront dans ce projet open source et chercheront à arracher les données des utilisateurs des mains des géants actuels du Web.
Rééquilibrer le combat pour la vie privée
Dans les faits, Solid permet aux utilisateurs de choisir où leurs données sont stockées et qui a accès à quelle partie de ces informations. Inrupt propose un Pod (pour Personal Online Data storage, ou stockage d’informations personnelles en ligne), une sorte de sanctuaire sécurisé où sont stockés vos noms, adresses, mais aussi des photos personnelles, pourquoi pas, et même des documents officiels. Tout ce que vous gardez dans le cloud actuellement ou sur un disque dur chez vous, tout ce qui transite par les serveurs de WhatsApp, de Facebook ou ceux de Google Drive, pourra se retrouver dans ce pod, hébergé aussi bien sur le serveur d’un prestataire Solid que sur une machine chez vous. Ensuite, les applications Web ou mobiles iront chercher les infos nécessaires et pourront y accéder à plusieurs en même temps.
Plutôt que de confier vos données à une, deux, trois applications, vous déciderez quelle application accède à quoi, sans que vos informations ne quittent votre pod. Le Web est réinventé et décentralisé.
En défenseur du Web libre, Tim Berners-Lee souhaite que la prochaine étape de sa création repose sur des standards et outils validés par le consortium W3C. Les éléments techniques nécessaires au développement d’applications et services Solid sont d’ores et déjà dans les mains des développeurs. Un passage sur Twitter ou dans les forums d’Inrupt suffit à convaincre qu’il y a un réel engouement pour cette nouvelle plate-forme. Il en faudra pour arriver à changer le cours de la Toile.
Un sursaut individuel
Une énergie forte, un soubresaut du côté des développeurs, mais pas seulement. Solid nécessite évidemment que les utilisateurs aient la volonté de se réapproprier leur vie numérique et également qu’ils fassent un petit effort d’imagination. Car, pour l’heure, Solid n’en est qu’à ses tout premiers pas. Il suffit de se créer un compte et d’accéder à son pod pour s’en rendre compte.
Tim Berners-Lee en est conscient que tout est encore à inventer, les usages, l’écosystème (applications et hébergements) et même les modèles économiques autour de cette nouvelle plate-forme. Néanmoins, ayant appris de son expérience, le créateur du Web souhaite cette fois recommencer en mettant la protection des données au cœur du projet et le pouvoir entre les mains des utilisateurs.
Une chance unique nous est offerte. Soyons vigilants et prêts à saisir la balle au bond. Comme l’écrit Tim Berners-Lee à la fin de son message : « le futur est toujours bien plus grand que le passé ». Le combat mérite d’être mené.
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