L’homme n’est certainement pas aussi célèbre que Nolan Bushnell (cofondateur d’Atari), de Steve Jobs (ex-Atari, cofondateur d’Apple) ou Gunpei Yokoi (père spirituel des consoles portables de Nintendo).
Et pourtant, Gerald A. Lawson, dit Jerry Lawson, fut l’un des pionniers du jeu vidéo, à une époque où la majorité de ceux-ci étaient encore en noir et blanc, comme Pong, voire n’affichaient que du texte au lieu de graphismes, comme les premières versions de Lunar Landing.
Jerry Lawson est contemporain de Computer Space, premier jeu arcade commercial et premier jeu dont cet ingénieur américain fait la découverte, en 1971, à 31 ans. Dans la foulée, il propose un générateur de personnages aux fondateurs d’Atari, en pleine programmation de Pong, qui se résume à deux raquettes plates. En vain, ces derniers préfèrent consacrer les ressources de leur jeu à l’affichage du score. Mais il se lie d’amitié avec Nolan Bushnell et ses partenaires, et entre ainsi dans le cercle des pionniers du secteur.
L’homme qui a dit non à Steve Wozniak
Dès 1972, Jerry Lawson programme lui-même Demolition Derby, l’un des tous premiers jeux d’arcade. « Dans mon garage », se souviendra-t-il dans une longue interview à Vintage Computer & Gaming. C’est ce jeu qui lui vaut d’être embauché par Fairchild, un fabricant de semi-conducteurs qui deviendra l’un des tous premiers constructeurs de consoles.
Ces débuts balbutiants sont également l’époque des rencontres. « C’est à ce moment que deux jeunes gens sont apparus, témoignera-t-il. Nous tenions un club informatique dans un auditorium de Stanford chaque mois [le Homebrew Computer Club, NDLR]. Et deux types avaient l’habitude de venir à chaque fois avec leurs propres joujoux. L’un d’entre eux s’appelait Steve Jobs et l’autre Steve Wozniak. » Les deux ingénieurs sont alors sur le point de rejoindre Atari, qu’ils quitteront quelques années plus tard pour fonder Apple.
Anecdote moins connue, Steve Wozniak a préalablement postulé pour un poste au sein de Fairchild en 1973. Et c’est Jerry Lawson lui-même qui le retoque à l’entretien d’embauche ! « Mes collègues étaient plutôt impressionnés par lui, reconnaîtra-t-il, mais je leur ai dit que je ne l’étais pas. Je ne l’ai jamais été. »
L’invention de la console moderne
Or c’est à Fairchild, où il passe en quelques années directeur ingénierie et marketing, que Jerry Lawson apporte sa pierre à l’histoire du jeu vidéo : la cartouche.
Magnavox a lancé en 1971 la toute première console, l’Odyssey, mais elle n’a pas de processeur ni de mémoire, et d’un jeu à l’autre, les graphismes sont simulés par des caches à poser sur son écran. « C’était une blague, de mon point de vue, estimera l’ingénieur de Fairchild. Pour nous, il était primordial que notre système utilise des cartouches. »
Mais techniquement, le défi est relevé : personne n’a jamais tenté d’implémenter des jeux sur un support amovible. Or les ingénieurs de l’époque ont une crainte : que mettre et enlever les cartouches dans la console « cause une explosion des semi-conducteurs ». Mais l’équipe de Jerry Lawson parvient à mettre en place un système qui protège ceux-ci à chaque insertion. Ainsi naît en 1976 la Channel F, la première console de l’histoire à utiliser des cartouches interchangeables. La Nintendo 3DS utilise, encore aujourd’hui, un modèle relativement similaire. La Channel F est également la première console à proposer un joystick, un contrôleur digital dont Jerry Lawson a conçu le prototype. Il fondra quelques années plus tard sa propre société, Videosoft.
Un symbole malgré lui
Aujourd’hui encore, Jerry Lawson reste comme l’un des pères fondateurs du jeu vidéo moderne, même si son nom et son visage ont rarement été médiatisés. A ce titre, il passe également comme le premier homme de couleur a avoir influencé en profondeur le secteur, distinction dont s’est toujours méfié le superviseur de la Channel F. Il raconte ainsi sa rencontre en 1996 avec un ancien d’Atari, John Ellis. « Il m’a dit :
– “Al Alcorn, Nolan Bushell, Joe Keenan, tous m’ont parlé de vous. Mais ils ne m’ont jamais dit que vous étiez noir.
– Eh bien, je le suis.
– Je ne sais pas s’ils vous ont accordé un traitement de faveur ou non.
– Mais je ne me balade pas en criant que je suis noir. Je fais juste mon travail, vous savez ?”. »
Des années plus tard, il acceptera toutefois un rôle de symbole. Son fils, militait depuis 2009 pour la reconnaissance de son influence dans l’histoire du jeu vidéo, et notamment (en vain) en tant que membre d’honneur du Computer Museum, à Mountain View en Californie. « Qu’il puisse y arriver ou non, disait-il, je n’en sais rien. Mais j’ai l’impression qu’il faut que cela arrive. Je suis en train d’écrire mon histoire parce que quand les gamins noirs vont dans ce musée et qu’ils y voient l’un d’eux, cela compte pour eux. »
Jerry Lawson, est décédé ce samedi 9 avril. Il souffrait notamment de diabète, rapporte Vintage Computing & Gaming, site qui s’est lui aussi battu pour faire connaître son importance. La cause exacte de sa mort reste inconnue. Lui, en revanche, ne l’est plus, et au regard de l’histoire du jeu vidéo, ce n’est que justice.
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