L’été dernier, lors du rassemblement nautique Brest 2000, qui accueille les plus beaux bâtiments du monde, la mise à l’eau du bateau en granit de Jean-Yves Menez fut l’un des clous de la manifestation. Il faut dire que le spectacle de cette embarcation en pierre évoluant dans la rade brestoise avait de quoi surprendre. Ce qui aurait également étonné les curieux, c’est d’apprendre que les lignes et volumes de cette barque, aux allures de vestige antique, avaient été calculés grâce à l’informatique. En effet, c’est en utilisant un logiciel destiné aux modélistes et aux navigateurs amateurs que Jean-Yves Menez, un Breton de 47 ans, a pu mener à bien ce projet fou : transformer un bloc de granit de 35 tonnes en un bateau de 3 tonnes, long de 4 mètres, et capable d’évoluer sur les flots, à la voile ou à la rame.
Modélisé sur un simple PC
Dans cette aventure technique et artistique, l’ordinateur a permis d’effectuer une taille précise et d’arriver, dès la première tentative, au résultat voulu. Jean-Yves Menez a tout d’abord élaboré deux prototypes de 4 et 7,5 kg afin de vérifier la validité du projet. La flottabilité de ces modèles réduits l’a conforté dans ses intentions. Mais le pari était loin d’être gagné : autant il est aisé de manipuler quelques kilogrammes de granit pour juger à l’?”il si les proportions sont bonnes, autant cela devient une gageure lorsque l’on est face à un bloc de plusieurs dizaines de tonnes. Le problème n’est pas tant la densité du granit (il est plus léger que l’aluminium), que le fait qu’il se travaille en bloc et non en feuilles. De ce fait, l’erreur ne pardonne pas. Le sculpteur doit être sûr de chacun des coups qu’il assène, sous peine de voir ses efforts réduits à néant, s’il fragilisait la matière en la creusant excessivement. C’est pourquoi, alors qu’il n’a rien d’un spécialiste de l’informatique (il ne possède pas d’ordinateur), Jean-Yves Menez a utilisé un logiciel de carène, servant à dessiner la coque des bateaux et “qui permet de concilier choix esthétiques et impératifs de navigation”, comme l’explique son concepteur, Eric Collard, ingénieur en mécanique des fluides. En outre, celui-ci a fait profiter le sculpteur de son savoir en informatique. Travaillant de concert, l’artiste et l’ingénieur ont ainsi pu modéliser la carène du vaisseau de granit en trois dimensions et en tester les caractéristiques hydrostatiques. A chaque étape, ils se sont assurés du respect des règles de jauge et de la stabilité de la coque. Le logiciel (vendu en version de base quelque 500 F, soit 76 ?, alors que ses concurrents professionnels peuvent atteindre 300 000 F, ou 45 735 ? !) a même pris en compte dans ses calculs le fait que le bateau naviguerait en eau salée plutôt qu’en eau douce, ce paramètre influant sur la flottabilité. Paré de plans parfaitement fiables, le sculpteur a fabriqué des gabarits en contreplaqué avant de partir à l’assaut de la roche. A partir d’une image informatique affichée à l’écran, il ne lui restait plus qu’à sculpter un vaisseau de granit en trois dimensions.
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